Wirikuta ou l’essence d’une vie

mis en ligne le 1 mars 2012
1662MexiqueLa publication, le 7 février dernier, de la déclaration de Wirikuta offre ici l’occasion de faire un point sur le combat que mène, depuis plus d’un an maintenant, le peuple wixárika contre les ambitions économiques du gouvernement fédéral mexicain et l’avidité d’une multinationale.
C’est en 2010 que l’actuel président du Mexique, Felipe Calderón, cède à la compagnie canadienne First Majestic Silver Corp environ 70 % du territoire de Wirikuta (soit 6 236 hectares), en vue d’une exploitation minière qui commencerait en 2013. Cette concession, sans doute économiquement juteuse pour les patrons et les actionnaires, est bien sûr intervenue sans la consultation préalable des gens qui y vivent depuis toujours (notamment dans le village Real de Catorce), ni du peuple wixárika qui, s’il n’y habite pas, est culturellement très attaché à ces terres. En effet, depuis des siècles, Wirikuta (État de San Luis Potosí) est pour, les Indiens Wixaritari, une terre sacrée où, dans le cadre d’un pèlerinage, ils doivent se rendre au moins une fois dans leur vie. Ce désert est, pour eux, « l’origine de la vie, car là s’est levé le Soleil pour la première fois 1 ». On y trouve également le peyotl, plante médicinale importante (elle serait notamment un remède efficace contre les piqures et morsures venimeuses de scorpions et de serpents) dans la vie des Wixaritari, lesquels lui confèrent surtout des vertus spirituelles dans le cadre de rites religieux. Chaque année, bien qu’habitant à des centaines de kilomètres, les chamans Wixaritari organisent un pèlerinage à Wirikuta pour y récolter le peyotl. C’est dire toute l’importance de cette terre dans la culture de ce peuple ancestral, établi au Mexique depuis plus d’un millénaire.
Mais les projets de la compagnie minière canadienne viennent contrarier cette vieille tradition. Outre la privatisation du territoire, celui-ci sera désormais surexploité, la direction envisageant d’extraire du sol plus d’une tonne de minerais par jour (dans laquelle la compagnie espère trouver plusieurs kilos d’argent) ! Si certains habitants de Wirikuta accueillent cette installation minière comme une réponse au chômage et à la misère qui frappent la région, d’autres, et notamment les Wixaritari, s’indignent contre la privatisation d’une terre et le sacrifice d’une culture séculaire sur l’autel du profit capitaliste. L’indignation – terme bien en vogue sous nos latitudes – est d’autant plus ferme qu’en 2008, le même Felipe Calderón signait un pacte – dit de Hauxa Manaká – avec les autorités communautaires du peuple wixárika par lequel il s’engageait à préserver et à assurer la continuité de leur culture. Preuve, s’il en fallait encore, de la vacuité des promesses et des engagements des politiciens qui, au Mexique comme ailleurs, ne résistent jamais à l’appel de la rentabilité économique.
Plusieurs actions pacifiques ont déjà été menées pour exiger le départ de la compagnie minière. En mai 2011, de nombreux Wixaritari ont pris part à la marche organisée par le Mouvement pour la paix dans la justice et la dignité du poète Javier Sicilia. Leur parole s’est aussi fait entendre aux portes de l’Onu aux États-Unis et devant le siège de la compagnie minière au Canada, à Vancouver. Récemment, début février, le Conseil régional wixárika pour la défense de Wirikuta a pris la décision d’organiser « un pèlerinage traditionnel où, pour la première fois, vont confluer, à Wirikuta, les habitants de tous les centres cérémoniels des différentes communautés qui composent le peuple wixárika 2 ».
Si, pour nous autres anarchistes français, ces préoccupations spirituelles peuvent éventuellement paraître superficielles (ce qui, à mon sens, serait néanmoins un jugement sévère et trop hâtif), le problème de l’installation de cette compagnie minière est aussi d’ordre sanitaire et écologique. Comme l’explique Irene Bonilla Elvira dans son « Message depuis la Sierra Wixárika », l’extraction de l’argent contenu dans le minerai nécessite l’usage intensif de cyanure qui, à terme, « peut provoquer des difficultés respiratoires, des douleurs coronaires, des vomissements, des altérations du sang, des maux de tête et une hypertrophie de la glande thyroïde ». Elle souligne également le danger que représente la contamination de l’air et des sources d’eau par le plomb et l’arsenic également utilisés dans l’extraction de l’argent. Nous sommes donc réellement face à un problème qui va bien au-delà de celui, déjà primordial, de la survie d’une culture indienne et qui, de fait, concerne aussi bien les Wixaritari que les villageois de Real de Catorce.
À travers la récente déclaration dite de Wirikuta, les Wixaritari réaffirment leur volonté de défendre « de manière respectueuse et pacifique […] ce qui pour [eux] est l’essence de la vie » et de se battre pour préserver Wirikuta des « concessions minières qui prétendent détruire [leurs] ressources naturelles liées à [leur] façon de vivre ancestrale ». Ils avisent également les habitants de Wirikuta que leur combat « n’est pas dirigé contre leur bien-être familial et économique, et que [leur] cause est celle de la protection de l’écosystème ».
De notre côté, et depuis cette lointaine France, on ne peut qu’espérer l’instauration de rapports fraternels entre les habitants de Real de Catorce et les Wixaritari, rapports qui puissent aboutir à une solution consensuelle répondant aux deux problèmes qui se posent : la misère sociale des uns et la destruction de la culture des autres. Le tout, bien sûr, sans le parasitage de l’État fédéral et de la compagnie minière dont les priorités sont tout sauf sociales et culturelles.






1. « Message depuis la Sierra Wixárika » d’Irene Bonilla Elvira. Article publié sur le site La Voie du jaguar (www.lavoiedujaguar.net).
2. Communiqué du Front pour la défense de Wirikuta « Tamatsima Wa’haa », 4 février 2012.