Les travailleurs seraient-ils ininflammables ?

mis en ligne le 16 février 2012
Il était une fois dans un grand magasin parisien dont je tairais le nom… Nous sommes en début de semaine, il fait froid mais le soleil est au rendez-vous. Une météo de station de ski, en quelque sorte. Mais, moi, je bosse dans ce grand magasin parisien dont je tais le nom. Pas moyen, donc, d’en profiter, d’autant que, ce jour là, c’est le sous-sol qui m’attend. Tout se passe plutôt bien. Journée normale : on arrive au boulot, on prend un café, on pointe, on prend sa caisse, on descend, on s’installe, etc. La routine, quoi. Et puis l’élément perturbateur intervient, ce truc « béni » qui vient rompre la monotonie du taf, qui vous sort de la torpeur du caissier, qui vous change des clients chiants qui veulent des réductions sur tout et qui ont l’art de ne prendre que les articles qui n’ont pas de code-barres. Cet élément qu’on attend tous – comme les chrétiens le Messie et moi la Sociale –, c’est un incendie. Un treuil du rez-de-chaussée prend feu, déposant une délicate odeur de brûlé dans cette partie du magasin. Branle-bas de combat : le rez-de-chaussée est évacué, les clients d’abord, les employés ensuite (et surtout les caissiers, qui doivent finir les encaissements en cours). À ce moment-là, moi, je suis dehors. Je bois un café et je m’apprête à aller bouffer. On se demande ce qui se passe, on nous explique brièvement, mais, comme à chaque fois dans ce genre de situation, on entend tout et son contraire. En tout cas, ça pue le cramé, des dizaines de pompiers et de flics encerclent le magasin.
En général, quand il y a un incendie dans un immeuble, on évacue tout le monde. Mesure de sécurité de base, principe de précaution, et tout le toutim. Mais dans ce grand magasin dont je tais le nom, on se contente de n’évacuer que deux endroits : le rez-de-chaussée (normal, c’est là où le feu a démarré) et le dernier étage, là où travaille une partie de la direction et où est stocké le pognon. Les autres étages, en revanche, que dalle. Y compris le sous-sol, juste en dessous du rez-de-chaussée (jusque là, rien d’extraordinaire), l’un des pires endroits où se trouver en cas d’incendie (peu de sorties et des quantités de produits hautement inflammables). Certains se demandent s’ils doivent partir, mais on leur signifie que non, qu’il n’y a aucun danger. Juste un incendie au-dessus de leurs têtes…
Que le feu ait été rapidement maîtrisé, qu’il n’ait jamais représenté un grand danger, je n’en doute pas une seconde. Reste, tout de même, que le fief de la direction et du fric a été évacué quand les vendeurs et les caissiers des étages, eux, ont dû rester dans le magasin, parfois sans même avoir été informés de l’incendie. « Le fric et les petits chefs d’abord, les travailleurs ensuite » ? Eh ouais, mon p’tit gars, c’est ça la devise du salariat.

Johnny Caramelo