Le Moyen-Orient pourrit lentement des virus religieux et nationalistes

mis en ligne le 6 mai 1982
Le tapage que font les petits bateaux qui croisent vers les mers australes nous fait un peu oublier le lent pourrissement de la situation au Moyen-Orient. La restitution du Sinaï à l’Égypte risque d'accentuer encore le sentiment de « normalisation » dans cette contrée où la guerre, sous tous ses aspects, fait rage et où la préparation à la guerre est devenue un sport national pour des peuples entassés sur un sol étroit et maigre, auxquels les dieux d'abord puis les fantoches qui les gouvernent ont promis la lune. Devant tout ce gâchis, nous sommes naturellement désarmés, mais il nous reste encore la faculté de comprendre et, pour comprendre, il ne sert à rien de répéter ce que rabâche la presse quotidienne avec simplement un petit coup de pouce par-ci, un petit coup de pouce par-là, pour nous différencier « avantageusement » des propagandes des États impérialistes qui s'évertuent à semer la discorde avec deux objectifs : le pétrole et la maîtrise des routes qui conduisent vers le continent asiatique.
Vieille terre de légendes, le Moyen-Orient a vu naître sur son sol toutes les religions révélées, foires aux illusions qui, depuis deux mille ans, servent de justification à tous les despotismes. Le judaïsme, le christianisme, l'islam s'y sont succédés dans le faste et la pouillerie, faisant suer des richesses de ces terres pauvres pour le plus grand profit de quelques-uns et ravalant le plus grand nombre à la clochardise mystique. Les siècles ont coulé, laissant intacts ces deux fléaux : le culte et le sabre ! Les peuples étant ce qu'ils sont, à tour de rôle, ils se sont réclamés du droit du premier occupant et de la légitimité pour opprimer les autres, et lorsque l'un d'eux a triomphé, pour entretenir les drogues que procurent la religion et la guerre, ils ont inventé de subtiles et obscures interprétations des textes « sacrés », afin de continuer à s'égorger entre eux avec entrain, pour la plus grande gloire des divinités et des despotes qui les représentent sur cette terre.
Aujourd'hui, nous en sommes toujours là ! Israéliens, chrétiens, musulmans s'opposent entre eux avec une incroyable férocité, tout en continuant à se déchirer à l'intérieur même des sectes qui les réunissent pour un lambeau de phrase attribué à des personnages mystiques dont l'existence historique est douteuse ou, et c'est le comble de la bêtise, pour des frontières qui n'ont rien d'historiques et qui ont été imposées par les grandes nations impérialistes au début du siècle en se partageant les dépouilles de l'empire ottoman !
Juifs orthodoxes, Juifs progressistes, chrétiens coptes, chrétiens orthodoxes, musulmans sunnites, chiites, druzes, maronites, alaouites qui se haïssent, constituent une mosaïque religieuse issue de la même souche hébraïque, intolérante et autoritaire, et c'est sur ces souches que les prêtres et les potentats pianotent pour assurer leur pouvoir. Si on réfléchit que ces sectes sont flanquées sur chacune de leurs ailes par les Perses (Iran) et les Égyptiens, dont le fanatisme est encore antérieur au leur et qu'à ces profondes divisions « intellectuelles », s'ajoutent d'autres divisions sociales, celles-là en castes, en classes, en « nations », on comprend pourquoi entre les deux grandes guerres mondiales l'Angleterre et la France -les deux pays impérialistes de l'époque qui avaient colonisé la région - se contentèrent d'assurer des têtes de pont dans le pays pour prendre à revers les empires centraux, en traitant par le mépris ces populations abruties à la fois par le climat et par les cultes et qui, de tout temps, avaient vu s'élever parmi elles des prophètes détraqués qui furent la plaie de l'humanité.
C'est ce fourmillement religieux issu de schismes multiples dans le cerveau fêlé de personnages vagabondant entre l'Euphrate et le Nil qui constitue le tissu de ces populations. Personne n'en parle jamais, cependant il pourrit toute la société du Moyen-Orient ! Encore faut-il ajouter à ce grenouillage né de la nuit des temps les intérêts des impérialismes modernes qui ont pris la relève de ceux qui dominèrent le début de ce siècle. Au contrôle des voies de communication s'est ajouté le pétrole qui est le sang des économies modernes. Mais, l'histoire nous le démontre, le fanatisme n'a pas attendu d'être attisé par les intérêts économiques de l'Occident pour convertir la région en un immense charnier.
De nos jours, les moyens modernes de destruction mis à leur disposition exaspèrent encore la sauvagerie de ces clans qui se disputent le pays. Guerres de conquêtes, « révolutions » de palais se succèdent sans que rien ne puisse en prévoir la fin, sinon je ne sais quel cataclysme qui raserait tout pour recommencer à zéro ! Cataclysme qui, en fin de compte, pourrait bien s'appeler la bombe atomique que les apprentis-sorciers du monde occidental introduisent à petites doses... pour voir !
Aujourd'hui, la situation au Liban renferme tous les vices de la société islamique et de ses minorités. Les sectes s'affrontent, les États voisins occupent le pays, la classe dirigeante se livre une lutte sans merci, les clans cherchent des alliés à l'extérieur. Deux impérialismes, le syrien et l'israélien, clients de la Russie ou de l'Amérique installés à chaque bout de ce malheureux pays, attendent que la situation soit suffisamment mûre pour en arracher un lambeau. Tout cela sous l'étiquette de la justice, de la liberté, du droit et autres foutaises. En réalité pour établir la domination de leur secte sur la région. La situation du Liban est la préfiguration de ce que deviendra le Moyen-Orient lorsque le pourrissement nationaliste et religieux aura achevé son œuvre.
Certains lecteurs trouveront peut-être que je ne prends pas assez en compte les problèmes pratiques qui se posent à cette région comme le font nos distingués confrères; mais au Moyen-Orient, toute solution dépend d'abord de l'état d'esprit des populations et de la facilité qu'ont les classes religieuses et politiques à faire miroiter sous leurs yeux éblouis des mythes d'abrutissement qui ont fait leur preuve.
Ainsi, la guerre qui oppose l'Irak à l'Iran est une guerre entre sectes à l'intérieur du monde musulman, même si les intérêts économiques n'en sont pas absents. De toute manière, ce sont les haines de sectes qui fournissent l'élément émotionnel. Le massacre de Holms en Syrie est également une répression inspirée par des luttes entre illuminés dont les clans se servent pour accéder et se maintenir au pouvoir.
Au Moyen-Orient, il n'existe pas de solution. La foi est la matière que les grands fauves tripatouillent pour assurer leur domination. Cette situation inextricable, les commentateurs occidentaux la connaissent aussi bien que moi, pourtant ils se contentent de commenter l'événement comme ils le feraient si celui-ci se déroulait en Europe dans un climat différent. La raison, tout le monde la connaît: il s'agit pour eux de gagner des alliés dans la région en feignant d'ignorer ou même en flattant les vices de cette société décadente. Ce n'est pas par altruisme qu'Israël et les États-Unis soutiennent en sous-main l'Iran, leur ennemie, dans sa guerre contre l'Irak; ce n'est pas parce qu'elle est gagnée par les prophéties ridicules d'Allah que la Russie arme la Syrie ! Ce qui rend la situation de la région encore plus tragique, c'est qu'aux démêlés religieux qui ensanglantèrent l'Histoire viennent s'ajouter les querelles idéologiques et économiques de la vieille Europe. Et, si on comprend la politique que font les pays impérialistes, on comprend moins cette rage qu'ont un certain nombre de « socialistes » de gauche ou d'extrême-gauche à vouloir greffer leur idéologie sur ces troncs pourris que représentent les trois religions révélées qui se déchirent au Moyen-Orient.
Que peut-on espérer de personnages comme Halfez el Assad, comme Begin, comme Khomeiny et quelques-autres, dont les visées impérialistes s'arc-boutent sur le fanatisme de leur peuple ? C'est vrai qu'ils maintiennent leur population dans un état de sous-développement intellectuel, mais il est également vrai que c'est le fanatisme de ces peuples qui oriente leur méthode de gouvernement.
Le Moyen-Orient représente aujourd'hui un danger de guerre au même titre que les petits pays d'Europe centrale avant la Première Guerre mondiale et pour les mêmes raisons, car il est une route pour les affrontements régionalisés entre les impérialismes... en attendant la bombe ! Tous les efforts de la diplomatie occidentale pour geler les problèmes sont voués à l'échec. La constitution d'un État palestinien, tarte à la crème de tous nos petits gauchistes, ne ferait que rendre la situation plus dramatique; en dehors du fait qu'un État est en soi un danger supplémentaire de guerre, ce coin enfoncé au cœur d'Israël engagerait les États arabes dans une nouvelle guerre pour rejeter les Juifs à la mer. Les États-Unis ne pourraient pas accepter de perdre cette tête de pont sur la Russie orientale et ce serait la guerre avec tout l'enchaînement que cela peut supposer.
Le Moyen-Orient vit à l'heure de notre Moyen-Age chaotique. Il n'existe pas de solution, en dehors du temps. Espérer que ces peuples se lèvent pour pendre leurs tyrans, renvoyer leurs prêtres à la méditation et bouter dehors les impérialistes étrangers qui sucent leur sang est un beau rêve. Naturellement, cette masse humaine, qui grouille sur un sol trop étroit et qui essaye de faire sa place en jouant des épaules, a parfaitement le droit de vivre avec ses mythes ! Le malheur, c'est qu'ils sont multiples, qu'ils déchaînent des passions d'un autre âge et que finalement cette tolérance à vivre comme chacun l'entend se traduit par la liberté d'égorger celui qui pense autrement !
Seule la solution fédéraliste, c'est-à-dire la solution qui consiste à laisser les gens vivre où ils se trouvent, à leur manière, en passant entre eux des accords de coopération, pourrait arrêter les massacres. Mais la solution fédéraliste n'est acceptable qu'à partir de la tolérance et la tolérance est incompatible avec les passions religieuses, les différences des conditions d'existence l'autorité du chef, du prêtre et du marchand. Ce qui, dans le climat actuel, est inconcevable !
Comme souvent dans leur histoire, les hommes contemplent le Moyen-Orient, ce détonateur qui risque de mettre le feu aux poudres et embraser le monde impuissant à éteindre les flammes qu'ils ont eux-mêmes allumées.