Le retour de l’enfant prodigue : après le Congrès de la CFDT

mis en ligne le 1 décembre 1967
La cérémonie qui au cours d’un des derniers Congrès vit « l’abjuration » des hommes qui avaient fondé le syndicalisme chrétien avait été pénible. Quelques années ont permis aux fidèles du « Révérend père » Descamps de reprendre leur souffle et leur souplesse proverbiale a aidé à ce rétablissement spectaculaire. Purifiée par ce bain de Jouvence, l’unité avec la CGT, le Congrès qui vient de se tenir à Issy-les-Moulineaux a été à la fois dans la « ligne » et dans le « vent ». Dans la « ligne » d’un syndicalisme « empoté et atrophié », dans le « vent » du syndicalisme politisé.
Et pourtant les bons pères du « syndicalisme sécularisé » avaient fait un effort pour rechercher à travers l’immobilisme syndical traditionnel une personnalité qui justifie l’existence, parmi d’autres, de cette Centrale syndicale au titre pompeux : la CFDT Voyons donc les travaux de ce Congrès que les militants animèrent avec l’ardeur brouillonne des néophytes.
Interventions nombreuses, venant en partie d’une minorité qui comme les minorités des autres Centrales syndicales cherche à compenser sa faiblesse numérique par le nombre de ses interventions à la tribune. Interventions de détail sur les revendications usuelles. Interventions parfois teintées d’un socialisme qui prend sa source chez Mitterrand ou au PSU. Démagogie intense directement copiée sur les méthodes de la CGT et qu’accompagne un respect des traditions libéralistes sans grande efficacité, héritées, elles de FO Et lorsqu’on lit le compte rendu de ce Congrès, on a bien l’impression qu’il fut le retour de l’enfant prodigue dans le giron du syndicalisme de notre époque. Et comme les autres centrales, les ex-chrétiens se heurtent eux-mêmes à la carence, à l’impossibilité congénitale de proposer les solutions que l’évolution économique impose, à la classe ouvrière si elle veut sortir du ghetto économique dans lequel la société l’enserre.
En réalité, comme ses rivales, la CFDT borne son ambition à installer le moins mal possible des travailleurs dans les structures sociales que le régime capitaliste nous impose, s’en remettant au ciel, pour le reste, c’est-à-dire pour le principal, L’ÉMANCIPATION DES TRAVAILLEURS.
Cependant, il fallait d’ailleurs s’en douter, l’action commune que pratique la CFDT avec la CGT ne s’est pas déroulée sans heurts et sans grincements de dents. Dame, les cocos, eux, quoiqu’on en dise ne sont pas devenus des anges, si on en croit quelques interventions de militants sur la réserve. Mais quoi, il faut faire « prolo », s’encanailler un peu, mêler la soutane avec le bleu de chauffe, en un mot se dédouaner, faire oublier quelques souvenirs, comme leur attitude pendant la grève des Cheminots de 1961, qui ne furent pas toujours exemplaires.
Cependant lorsqu’on lit les interventions des militants de la base on y sent de la conviction, de l’ardeur. Mais leur raisonnement, qui laisse de côté la partie essentielle du syndicalisme qui est la transformation des structures, rend leurs efforts dérisoires. Hurlant des revendications qui sont bien étudiées, mais qui ne peuvent pas s’inscrire dans le cadre de l’économie capitaliste, ils sont obligés d’avoir recours pour rendre leur solution vraisemblable à l’action politique. Et c’est peut-être là, le véritable drame de ces jeunes militants du syndicalisme mini-chrétien, coincés entre la foi, qu’ils déposent au seuil du syndicat pour la récupérer lorsqu’ils en sortent et les nécessités révolutionnaires ; ils s’en tirent par un pas de deux avec la CGT et une risette à la Fédération de la gauche. Ils sont également paralysés par le décalage qui existe entre eux, militants politisés du syndicalisme et enclins à un certain activisme et leurs troupes qui dans les usines, les chantiers et les bureaux, sont restées au syndicalisme de collaboration avec les patrons qui fut la véritable raison d’exister du syndicalisme chrétien, il y a cinquante ans.
La CFDT est sans avenir. Elle est destinée suivant les oscillations politiques à se fondre dans la CGT, ou dans le syndicalisme réformiste. Son absence de fond doctrinal la condamne à l’intégration aux régimes successifs qui se suivront à la tête du pays.
Les autres Centrales sont dans le même cas, direz-vous. Minute ! Les autres centrales ont des perspectives révolutionnaires qui devraient leur permettre de bousculer les structures de façon à réaliser leurs revendications. Elles ne se servent pas de leurs fonds idéologiques révolutionnaires, la Révolution à la CGT comme la Charte d’Amiens à FO ne sont plus que des souvenirs, c’est certain. Mais cela est une autre histoire et cette histoire ne doit pas nous masquer les responsabilités des travailleurs derrière la responsabilité de leurs dirigeants.

Montluc