Rencontre internationale sur l’objection

mis en ligne le 15 décembre 1983
C’est à l’initiative de l’Internationale des résistants à la guerre (I.R.G.) que se sont déroulées du 26 au 28 novembre 1983 les journées internationales sur l’objection de conscience à Aubure (Haut-Rhin). Etaient représentés les pays suivants : Finlande, Norvège, Suède, Danemark, Pays-Bas, Belgique, Grande-Bretagne, France, R.F.A., Suisse, Autriche, Portugal, Espagne, Pays basque espagnol, Grèce.
Plusieurs organisations d’objecteurs ou de mouvements soutenant les réfractaires à l’armée participaient aux débats. Pour la France, il s’agissait de : M.I.R. (Mouvement international pour la réconciliation), M.A.N. (Mouvement pour une alternative non-violente), U.P.F. (Union pacifiste de France), Objection collective, C.O.S. (Coordination des objecteurs de Strasbourg), A.S.O.C. (Association de soutien aux objecteurs de Thionville), Fédération anarchiste.
Le week-end de travail débuta par les rapports sur la situation des objecteurs dans ces pays. Pour les pays dotés d’une loi sur l’objection de conscience, on note en règle générale un durcissement de la législation.
La R.F.A. : depuis son accession au pouvoir, la coalition C.D.U.-C.S.U.-F.D.P. a modifié la loi sur l’objection de conscience en obligeant notamment les objecteurs à faire vingt mois de service civil, le service militaire étant de quinze mois. Cette obligation constitue une infraction au texte initial qui mettait service militaire et service civil à durée égale. Par ailleurs, les affectations vont être le monopole de l’État, les objecteurs ne pourront plus choisir l’organisme où ils veulent effectuer leur service civil. En 1982 : 60 000 demandes de statut ont été déposées contre 32 500 en 1975. Environ 4 000 demandes sont acceptées.
France : la loi sur l’objection modifiée en juillet 1983 est loin d’améliorer la situation : l’article premier du nouveau code stipule que le service est désormais l’une des formes du service national ; la commission juridictionnelle a été supprimée mais c’est le ministre de la Défense lui-même qui accorde les demandes ; en cas d’insoumission ou de désertion du service civil, un tribunal peut prononcer le retrait du statut.
Dans les pays scandinaves : le service civil fait partie intégrante de la défense puisque les objecteurs sont employés par la protection civile (pompiers, Croix-Rouge, hôpitaux…). Au Danemark, le nombre des objecteurs diminue (400 demandes en 1982) parce que l’État encourage le volontariat pour l’armée, accorde de nombreuses « libertés » aux soldats et brandit le spectre du chômage (la solde d’un soldat danois équivaut à un salaire moyen dans ce pays).
Des pays tels que la Suisse, le Portugal, l’Espagne ou la Grèce ne disposent pas encore de loi sur l’objection.
En Suisse, le dernier référendum de 1977 a repoussé par deux tiers des voix le projet de loi. Fin février 1984 doit avoir lieu un nouveau référendum sur un nouveau projet, très similaire à la loi française, et appuyé par le parti social-démocrate.
Au Portugal, les objecteurs ont un statut provisoire. Ils sont reconnus en tant que tels mais courent le risque d’être transformés en réservistes.
L’Espagne souffre encore d’une structure militaire profondément ancrée dans la société et il n’existe pas de loi sur l’objection de conscience. Du temps où il se trouvait dans l’opposition, le Parti socialiste ouvrier espagnol avait déposé un projet de loi. Mais la nouvelle loi proposée par ce même P.S. – maintenant au pouvoir – est encore plus restrictive que la précédente ! Le service civil devrait couvrir 22 à 30 mois (service militaire de 12 mois). Les objecteurs et antimilitaristes de ce pays appellent au boycott du projet de loi.
En Grèce, le statut n’a pas d’existence légale, mais il est possible de faire un service militaire non armé pour motifs religieux. Le seul moyen de fuir le service militaire est de prouver que l’on est fou pour être réformé. Les peines de prison sont lourdes : dix, quinze, vingt ans selon les juges. L’objecteur de conscience reste un phénomène marginal malgré le vote favorable d’un groupe de députés, européens, grecs en faveur du projet de Macchiochi – auteur d’un projet de loi sur l’objection de conscience présenté au Parlement européen.
Seuls les Pays-Bas n’ont pas connu beaucoup de changement au cours des cinq dernières années. Le service civil dure 18 mois et peu de demandes sont refusées. Les objecteurs semblent satisfaits de leurs affectations et chose curieuse, les organismes accueillant des objecteurs doivent verser un forfait pour « emploi d’objecteurs » à l’État !
Après ces rapports souvent détaillés, les participants se sont répartis en cinq groupes de travail :
- L’objecteur de conscience : un droit pour l’homme. Comment améliorer le statut légal de l’objecteur au niveau international (Parlement européen, O.N.U., Europe de l’Est…).
- L’objecteur de conscience et la défense civile non-violente. Comment empêcher l’inclusion des objecteurs à la défense militaire.
- L’objecteur de conscience et la lutte pour le désarmement. Extension du concept « objection ».
- Solidarité internationale.
- Les femmes et la conscription
Chaque groupe fit une synthèse des discussions et présenta une motion finale avec des moyens de lutte, de pression immédiats ou futurs. Le secrétariat de l’I.R.G. à Londres est chargé de mettre ces motions au net et son rapport paraîtra d’ici quelques semaines.
Ces journées ont été laborieuses et riches en débats vue la présence de courants souvent diamétralement opposés sur la notion de service civil, d’alternative à la défense, d’éducation à la paix, d’antimilitarisme. Le groupe de 45 personnes réunies autour de la table se scindait en deux sous-groupes :
- d’une part, les personnes prêtes à accepter le service civil, à le cautionner, à tout mettre en œuvre pour lui donner des structures visant à l’éducation à la paix sans entrevoir (naïvement ou volontairement ?) la récupération de ce service par l’État ;
- d’autre part, les intransigeants qui refusent service militaire et service civil, dans le sens du refus du service à l’État. Et curieusement ce sont ceux-là qui ont parlé… d’antimilitarisme et du choix tactique de l’État pour lequel il est préférable de permettre légalement à des individus de refuser le service militaire (purge de l’armée d’éventuels gêneurs) tout en maintenant les servitudes nécessaires pour une bonne éducation du citoyen.
Il a été pénible de faire sortir la discussion des sillons étroits du désarmement de l’Europe nucléaire, de la phraséologie des « deux blocs » et d’orienter les propos vers le problème de la militarisation de la société en général, des guerres conventionnelles et des armements traditionnels. Certains réussissent toujours l’exploit fantastique de parler de désarmement sans même évoquer l’armée, ou de crier « Vive la paix, à bas la guerre ! » sans s’être jamais réellement interrogés sur les causes de la guerre.
C’est pourquoi – et la coupure a été nette entre la Fédération anarchiste et nombre d’autres groupes présents – l’antimilitarisme libertaire revêt une dimension que l’on ne retrouve ni chez les socialistes humanistes ni chez les pacifistes ou les écologistes, puisque notre opposition à l’armée et à la militarisation de la société ne se cantonne pas uniquement à des « émotions » ou à des faits particuliers, mais prend toute sa signification dans le rôle qu’elles jouent et parce qu’elles empêchent l’instauration d’une société égalitaire.
Des campagnes d’actions continueront tout au long de 1984 pour sensibiliser l’opinion publique sur la situation des objecteurs, l’escalade militaire et la psychose de guerre. Rendez-vous a été repris pour l’année prochaine pour refaire un bilan par pays et pour étudier l’impact des campagnes.

Martine (liaison Bas-Rhin)