À propos du saccage de Radio-Libertaire : le pouvoir d’État pourrit tout ce qu’il touche

mis en ligne le 3 septembre 1983
Le socialiste Jospin, protestant avec indignation à la télévision contre l’attentat commis au siège de son parti, et se réclamant vertueusement de la liberté d’expression, à l’instant où les janissaires du gouvernement socialiste mettaient à sac le local de Radio-Libertaire et détruisaient tout le matériel servant aux émissions : le voilà bien le vrai visage de la perversion du pouvoir, quel que soit le parti qui l’exerce.
Autrefois, on brûlait les livres hérétiques, on brisait les presses des journaux d’opposition ; aujourd’hui, sous le règne de M. Mitterrand, on détruit les radios libres.
Il y a un peu moins de trois ans, le pouvoir alors en place interdisait la radio de l’opposition socialiste. J’étais cité Malesherbes avec quelques camarades, non pas que nous fussions socialistes, mais nous étions pour la liberté, et l’événement nous concernait. Devant cet abus du pouvoir, les militants socialistes criaient leur indignation contre le gouvernement de M. Barre, et ils étaient certainement sincères.
Aujourd’hui, les mêmes hommes ont chaussé les bottes du gouvernement de Giscard d’Estaing, et à notre colère se mêle un peu de tristesse devant la dégradation de l’esprit que le pouvoir produit de par le monde sur tous les hommes qui ont réussi à s’emparer de la machine d’État.
« Le pouvoir est maudit, c’est pour cela que je suis anarchiste », s’écriait Louise Michel devant les Versaillais qui la jugeaient pour sa participation à la Commune. Et elle avait raison, nous le mesurons chaque jour.
Je ne me suis jamais fait d’illusions sur ce mariage contre nature du socialisme et de l’économie capitaliste libérale, mais on pouvait espérer que les socialistes au pouvoir, instruits par les durs échecs de leur passé, ne recommenceraient pas la politique d’Ebert, le socialiste allemand qui, en 1919, écrasa le mouvement révolutionnaire avant de livrer le pays à la réaction. Mais, il faut bien nous en convaincre, le socialisme, à l’échelle mondiale comme dans notre pays, capte les révoltes, les canalise vers des voies sans issue, avant de détruire ceux qui résistent à leur fusion dans un État qui les absorbe.
Devant le local de la rue André Barsacq, nous étions une centaine, réveillés aux aurores, pour regarder la soldatesque détruire avec délices ce matériel construit sou par sou par des militants et qui représentait, dans le flot des radios libres, le symbole de la liberté, et je me rappelais les paroles d’Édouard Herriot à la Chambre des Députés en 1945 : « Lorsque le mouvement anarchiste peut s’exprimer, nous sommes sûrs que la liberté est bien réelle dans le pays. »
La liberté fait peur au personnel politique qui s’est coulé dans les rouages de l’État et qui est promu au rôle de classe dirigeante. La liberté, l’égalité, la justice sociale, qui sont les marches qui lui permirent de se hisser au pouvoir, sont devenues un danger permanent, et ce pouvoir n’aura de cesse de les avoir mis dans les fers. Triste destin de ces partis se réclamant du socialisme, qui peuplèrent les prisons et qui sont devenus les gendarmes de l’ordre capitaliste !
C’est nous, les militants de la Fédération anarchiste, qui payons le prix de la « normalisation » du Parti socialiste et de ses alliés. Demain ce seront les travailleurs dans les usines ; plus tard, si la situation économique s’aggrave, ce sera la population tout entière qui règlera la note présentée par M. Mitterrand ou par ses successeurs, et une fois de plus, ici ou ailleurs, la boucle sera bouclée. La suite, nous la connaissons : les partis de gauche ayant fait leur travail pour sauvegarder les intérêts du capitalisme, celui-ci n’ayant plus besoin d’eux, leur enverra la flicaille, la même qui a envahi par un petit matin les locaux de Radio-Libertaire pour faire taire une voix qui est la voix de la dignité humaine.
On voudrait avoir un amer sourire devant ces apprentis-sorciers qui s’emparent de l’État, outil de répression, et qui, finalement, sont les victimes de leur connerie. Mais nous n’en avons pas la force car nous savons bien que chaque fois qu’on touche à la liberté des hommes, même lorsque les victimes furent elles-mêmes des ennemies de la liberté, c’est l’esprit humain tout entier qui se trouve ravalé.
Les hommes libres, qu’ils fussent ou non libertaires, avaient salué la présence de Radio-Libertaire comme une manifestation de l’évolution de la pensée. Ils ont accueilli sa destruction comme une régression et ils attendront que, dans le ciel politique où les nuages s’amoncellent et les orages éclatent, une petite voix perce à nouveau à travers les médias revêtus de l’imprimatur pour affirmer que, contre toutes ces machineries inventées par les groupes de pression et que couronne l’État, c’est l’homme qui demeure l’essentiel et que sa liberté, qui ne peut être monnayée, est inaliénable.
Nous ferons en sorte que leur attente soit courte.