Une baleine au théâtre

mis en ligne le 28 avril 2011
Spectacle fabuleux de ce printemps au Vingtième Théâtre, 7, rue des Plâtrières (75020 Paris, métro Ménilmontant) qui mérite d’être repris tant il sort du rang.
Un véritable opéra, avec ses trois comédiens-chanteurs – et de surcroît danseurs, en particulier Amala Landré –, dont Jonathan Kerr est le compositeur.
La musique est d’un romantisme moderne, tout en lyrisme mélancolique ou en accélérations et halètements, épousant les émotions et la progression tragique.
Kerr reconnaît avoir circonscrit ses emprunts au roman à la confrontation du capitaine Achab et de la baleine.
Ce qui lui permet de mettre en lumière la dimension symbolique de cette quête. Celle d’un aventurier sans attache, qui ne reconnaît « ni dieu ni maître », et celle d’un monstre de légende incarnant cet infini dont la perspective, selon des modes variés, hante tous les hommes.
Les métaphores amoureuses peuplant les chants dédiés à la baleine mythique, qu’Achab appelle sa « belle Andalouse » (interprétée par Amala Landré, gracieuse, élégante et dotée d’un timbre de voix très prenant), montrent le caractère absolu, irrémissible et donc fatal du lien.
Cette partie chantée, majeure dans le spectacle, est soutenue par d’excellentes musiciennes : deux harpistes en alternance, Marianne le Mentec et Laurence Bancaud, une violoncelliste, Johanne Mathaly, et une accordéoniste Crystel Galli.
La mise en scène d’Erwan Daouphars est très sobre, jouant essentiellement sur les éclairages, les transparences de rideaux où disparaît et réapparaît Moby Dick, et un espace scénique délimité par des plaques en acier, avec des modules suggérant les cabines, le pont du navire, entre les pôles de miroirs où tour à tour le capitaine et le matelot Ismaël viennent contempler leur déroute comme leurs espérances.
Jonathan Kerr sait moduler sa voix jusqu’à l’extinction de souffle, danse lui aussi avec sa jambe raide, joue des mains et des postures les divers états de sa passion.
Tous ces acteurs, comme le précise la fiche du spectacle, ont un riche passé de création multiforme et de succès sur des scènes diverses. Pour Kerr, signataire d’un manifeste pour un théâtre musical populaire, depuis les cafés des ports, d’où il voulait s’embarquer pour la grande aventure, jusqu’à l’Olympia. Pour Amala, du théâtre du Ranelagh au Lapin Agile. Les chansons de Laurent Malot ont obtenu aussi divers prix prestigieux.
Un bilan des échecs littéraires de Melville, incarné par Malot, encadre le spectacle, faisant écho aux sombres pronostics d’Achab sur les errances et l’affadissement du monde à venir.
Un spectacle très inspiré, qui fera date par cette convergence de talents, d’une recherche exigeante, fidèle au classique de la littérature américaine, et d’un délire transcendant celui-ci sans le trahir.