SOS Patrons

mis en ligne le 13 janvier 2011
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Dans ce pays, il est de plus en plus manifeste que la minorité constituée des dirigeants et des possédants nous gouverne en maintenant la majorité d’entre nous sous l’empire de l’émotion. À chaque fois qu’ils nous volent, ils détournent notre attention. Rien d’étonnant alors que la presse, et Le Monde en particulier, participent à cette récente effusion d’indignations très tendance ces temps-ci.
Dans la rubrique « Décryptage » du Monde 1 sur le thème « Qu’est-ce qui vous indigne ? », Olivier Torres, le président d’Amarok 2, s’indigne de la totale indifférence face à la souffrance entrepreneuriale. Diantre ! De quoi s’agit-il ? « Patrons de PME ou entrepreneurs, ils sont deux à trois à se suicider par jour. » Ces malheureux « consultent peu les médecins car… ils n’ont pas le temps d’être malade ». Mieux encore ! En tant que travailleurs indépendants, ils ne sont pas « soumis à la médecine du travail », alors que leur « souffrance est pourtant une réalité ».
Mazette ! Mais où se trouve donc ici l’injustice caractérisée faite aux patrons et source d’indignation ? Présenté ainsi, on a du mal à discerner le manquement moral causé à ces aventuriers du capitalisme.
Je suis tenté de renvoyer cet indigné à la situation imposée aux salariés ; aux nombreux suicides ; aux plus nombreuses pathologies liées à la toxicité des produits utilisés et aux exigences hiérarchiques, ou à la précarisation du travail. Pour un peu plus de 17 millions de salariés, il y a plus de 700 000 accidents du travail chaque année. Sans oublier les millions de chômeurs et de retraités qui échappent aussi aux médecins du travail. De toute façon, ces derniers, enfants de René Louis Villermé 3, sont condamnés à mort par l’État. Il n’y en a pas suffisamment, hors de question de prêter un seul médecin du travail aux membres du Medef, de la CGPME et autre Cidunati.
La démonstration de l’écrasante et malheureuse supériorité numérique des victimes côté salariés est faite. Au-delà, posons de simples questions de bon sens à ce militant de la cause patronale (en péril ?). Qui oblige les tauliers à se mettre dans de pareilles difficultés existentielles plutôt que de choisir la belle condition salariale ? Qui interdit aux patrons de consulter leur médecin ? Le temps ? Mais, qu’ils le prennent, nom de dieu ! Le fond du problème des entrepreneurs est le suivant : ils refusent de se fixer un seuil de satisfaction à leur envie d’argent et donc une limite aux douleurs et aux sacrifices qu’ils sont prêts à s’infliger (et à imposer à leurs salariés) pour l’atteindre. Ils sont tout bonnement animés non pas par l’appétence de confort mais par la gloutonnerie de fric.
Les entrepreneurs souffrent ? Au point de se suicider ? Si c’est le cas, appelons de toutes nos forces à ce que le phénomène devienne vite une épizootie ! Je suis enclin à penser que le suicide d’un patron est peut-être l’acte d’aveu de sa mauvaise conscience révélée. Pas vous ? Non ? ! Il faudrait encore qu’ils aient une éthique ? Je me disais aussi… Alors, souhaitons que ceux de ces entrepreneurs qui échappent au suicide puissent s’étouffer dignement avec leur concupiscence. Aidons-les !

Kintpuash



1. Le Monde du 1er et 2 janvier 2011, article « Souffrance patronale », page 23.
2. L’observatoire Amarok a pour buts de « sensibiliser l’opinion publique à l’importance de la santé des indépendants, que ces derniers soient artisans, commerçants, dirigeants de PME ou professions libérales » et de « construire un pont entre les sciences médicales et les sciences de l’entrepreneuriat ».
3. René Louis Villermé est le grand-père de la médecine du travail en France.