Histoires d’enfants

mis en ligne le 6 juillet 2010
Quelques réflexions sur Les Mains en l’air de Romain Goupil et Nannerl, la sœur de Mozart de René Féret, films sortis le 9 juin, films se déroulant à des époques différentes. Pourtant, la comparaison entre deux modes de vie, d’amours et de travail, est riche d’enseignements. Les comparaisons ne se tiennent, je l’espère, pas uniquement dans mon esprit.
Dans Les mains en l’air, Goupil articule son indignation de citoyen face aux expulsions d’étrangers et proteste contre le scandale des sans-papiers, vivant dans la peur, alors qu’ils travaillent. Dans la famille française, c’est lui qui joue le père de Blaise, qui est secrètement amoureux de Milana, la petite fille tchétchène. Elle réussit tout, sait ses leçons et communique généreusement son savoir. Blaise, Milana et leurs copains sont élèves d’une classe de CM2. Quand ils comprennent que Milana risque d’être expulsée, les enfants s’organisent, trouvent des solutions alors que les parents font du sur place : le père veut essayer le piston, la mère veut trouver des solutions valables pour tout le monde. Les enfants passent à l’action alors que les parents piétinent et se déchirent sur des positions militantes ou citoyennes.
Les enfants s’organisent en s’appuyant sur leurs expériences communes : pirater des CD et les revendre, se procurer des sucreries de façon pas très catholique et tomber malade quand une interrogation menace. Des gosses débrouillards : leur action de sauvetage s’appuie sur une infrastructure planifiée d’avance pour leur plaisir et les coups durs.
Leur action réussit, Milana et ses parents ne seront pas expulsés, mais Blaise et Milana qui s’aimaient d’amour tendre et platonique ne se voient plus, ils se perdent de vue, c’est tout. Mais c’est une autre histoire.
Nannerl, la sœur de Mozart, le film de René Féret s’appuie sur l’histoire authentique des enfants prodiges Mozart que leur père Léopold exhibe partout. Nous sommes en 1766. Il ajoute autant de romanesque que nécessaire à la tragédie de cette histoire. Il nous montre la famille Mozart dans un pauvre carrosse, serrés les uns contre les autres, endurer les mauvaises routes, souffrir du froid et des dangers multiples. Allant de cour en cour, Léopold Mozart présente partout ses enfants prodiges. Il n’est pas toujours sûr de plaire, ni d’être payé. Mais les deux enfants aiment bien cette vie, alors que cela signifie travail, répétitions, travail et répétitions pour des apparitions rares et des présentations pas toujours rémunérées devant les grands de tous les cours d’Europe.
Quand Nannerl, la sœur de Wolfgang Amadeus Mozart, risque sa vie, sa pureté de jeune fille, pour un seul baiser du Dauphin, elle n’a pas de copains et de copines derrière elle. À peine ose-t-elle se confier à son amie Louise, rencontrée à l’Abbaye de Fontevrault, où les recluses se réjouissent de l’arrivée impromptue des musiciens. Louise est la fille de Louis XV. Elle a été éloignée de la cour. Pour se rapprocher de son père, elle obtient la « faveur » de prendre le voile et de devenir carmélite.
Déguisée en garçon, portant perruque et caleçon, mais maquillée comme une fille, Nannerl approche le Dauphin, alors qu’elle était chargée d’une mission délicate de messagère. Ce n’est que sous ce déguisement qu’elle est autorisée à se présenter devant la Cour. La soudaine passion qu’elle éprouve, occupe ses jours et ses nuits. Elle compose pour le Dauphin. Mais lorsqu’elle comprend que cet amour est vain, elle est seule, abandonnée de tous. Non, son frère ne se sauve pas avec elle pour l’aider à exister comme lui grâce à la musique. Pourtant, leur talent est le même. Mais l’esprit et la Loi ne sont pas de notre temps. La peur de se retrouver seule, la crainte d’être en plus laissée par ses parents, est finalement plus forte que tout. Elle qui était une enfant prodige comme Wolfgang, qui jouait merveilleusement du violon à cinq ans, qui chantait merveilleusement, renonce enfin à faire fructifier son talent. Leur père, Léopold ne lui enseignera jamais la composition. Ce n’est pas pour une fille. Elle discute. Mais elle comprend vite que cela ne mène à rien. Elle brûle ses partitions. Mais que savons-nous réellement de cette vie qu’elle a menée ? Elle avait renoncé à se consumer dans un amour impossible… Se donner à Dieu comme Louise l’avait fait n’était pas sa voie. Nannerl, la sœur de Mozart n’est pas seulement un beau film, mais aussi un hommage à une fille sacrifiée par son père à la gloire de son frère. Elle lui survivra pauvrement, mais s’appliquera à réunir et à sauver ses œuvres. Et aujourd’hui ? Les Léopold existent toujours. Les enfants prodiges et leur solitude aussi, mais pour les filles, est-ce vraiment différent ?