Sous la pression de la base, Force Ouvrière se gauchise

mis en ligne le 1 mai 1959
La presse d’information a souligné le fléchissement à gauche que le congrès confédéral F.O. a imprimé à l’organisation syndicale. Ce fléchissement s’est concrétisé par trois résolutions : une sur l’Algérie, qui réclame la négociation « sans préalable ni exclusive », l’autre qui réprouve la théorie gaulliste capital-travail, la troisième qui « met en garde contre les actions communes avec la C.G.T. » et qui peut, peut-être, prêter à confusion, mais qui est pourtant un pas considérable sur les motions ratifiées aux précédents congrès confédéraux qui « interdisaient ». Cette motion laisse sur ce problème les mains libres aux syndicats de pratiquer « l’unité d’action en prenant quelques précautions ». C’est la raison pour laquelle certains d’entre vous l’ont votée.
L’entente dans le Congrès entre les différents courants qui voulaient arracher la Confédération à son immobilisme, ne fut pas harmonisée et on peut le regretter. Si néanmoins des résultats concrets et inespérés ont été atteints, on le doit à une « insurrection » des syndicats de la base contre les positions des bureaux fédéraux et confédéraux. Ceux-ci d’ailleurs devaient rapidement prendre leur revanche et au C.C.N. qui suivit le congrès, qui est chargé d’élire la commission exécutive et qui est composé des secrétaires d’U.D. et de Fédérations, tous les candidats de l’opposition furent battus.
Le Bureau confédéral a donc pratiquement les mains libres. Il peut faire la politique définie par le congrès en s’appuyant sur les motions adoptées presque toutes à l’unanimité et dans l’enthousiasme ou rejeter cette ligne en s’abritant derrière un C.E. sur mesure.
Seule la vigilance, la pression constante des organisations de base le maintiendra dans la voie choisie par le congrès, dans l’opposition intransigeante contre le système économique et social que nous subissons.
Soyons sûrs que les militants anarcho-syndicalistes et syndicalistes-révolutionnaires dont nous donnons ci-dessous des extraits des interventions à la tribune, y veilleront.

Extraits de l’intervention du camarade Alexandre Hébert :
« Camarades, mesurez-vous, je n’ai pas l’intention de passionner un débat sur lequel nous avons dans le passé beaucoup discuté. Ce que je voudrais dire, c’est qu’il convient d’avoir bien présent à la mémoire, les exigences de la période actuelle. Il faut le dire, et le dire courageusement à la classe ouvrière, qu’aujourd’hui cette période est dominée par une constatation qu’il nous faut malheureusement faire : le rapport de force n’est pas en sa faveur. Par conséquent, cela implique pour les militants syndicalistes conscients, un double intérêt, d’abord renforcer l’indépendance, assurer l’indépendance totale de notre mouvement syndical à l’égard de toute menace d’intégration dans l’appareil de l’Etat. Je pense que nous pouvons rendre hommage à ce qui a été fait par la C.G.T.-F.O. sur ce plan.
2° Il faut renforcer la cohésion interne de la C.G.T.-F.O., j’avoue que je n’aurais pas pris la responsabilité d’aborder le problème de l’action commune, mais il est posé par nos camarades du Bureau confédéral, et je pense que leur texte répond à une préoccupation normale. Lorsque nous faisons une action commune avec la C.G.T. -il est quelquefois, nous le savons bien dans les usines, nécessaire de le faire- il faut toujours faire preuve de prudence, on ne peut pas faire un bout de chemin avec les staliniens sans avoir présent à la mémoire, quels sont leurs objectifs, surtout à un moment où pour des considérations extérieures à la classe ouvrière, ils peuvent être amenés demain à tenter d’entraîner celle-ci sur la voie de l’action aventuriste.
En conséquence, et surtout parce que j’ai le souci de renforcer notre C.G.T.-F.O., parce que face à un capitalisme agressif, face à un patronat qui n’a rien compris, qui ne renonce à rien, il faut d’abord et surtout renforcer notre propre unité, unité dans nos rangs, je voterai le texte qui nous est proposé par le Bureau confédéral. »

Extrait de l’intervention de notre camarade Suzy Chevet :
« … Nous sommes solidement attachés au principe fédératif de notre Confédération. Nous y tenons farouchement. Il ne nous suffit pas que cette confédération soit démocratique et libre, où chacun, de quelque opinion, de quelque conviction religieuse, philosophique ou politique qu’il vienne, a sa place avec une égale justice et une égale considération. La cellule vivante de notre confédération est le syndicat de base, changer ce principe fédératif, c’est remettre en cause tous les principes de notre syndicalisme. N’oubliez pas, camarades, que le principe fédératif est le garde-fou contre toute aventure et nous ne permettrons pas qu’on y touche.
Quant aux camarades fonctionnaires qui se refusent à payer les timbres aux U.D., je leur dis sans ambages, c’est une malhonnêteté. Ils sont rentrés à F.O. n’ignorant rien de sa structure et des obligations qu’elle comportait… Ah ! camarades fonctionnaires, vous vous privez d’un beau plaisir en voulant ignorer nos U.D. Si vous saviez quelle foi, quel ferme attachement à la cause ouvrière on y trouve, lorsque après des séances de « commission exécutive » de fonctionnaires ou après deux ou trois heures d’horloge, d’une façon utile et indispensable certes, on a discuté sur les indices des fonctionnaires, sur leurs petites indemnités spéciales, sur ceci, sur cela… qu’il est bon de se retremper au creuset d’où sont parties toutes nos luttes syndicales… Ensemble avec les terrassiers, les maçons, les boulangers, etc. etc., bien des fois j’ai retrouvé une foi courageuse et vivante pour rester une bonne et vraie syndicaliste.
Et puis, camarades, si vous êtes là aujourd’hui, siégeant dans ces grandes assises, avec des congés exceptionnels accordés par vos administrations respectives, n’oubliez pas que vous le devez à tous ces pionniers du syndicalisme qui ont jalonné de leur sacrifice, jour après jour, année après année, la route des conquêtes syndicales, luttant coude à coude avec leur Bourse du travail pour que le syndicalisme ait la place qu’il occupe aujourd’hui. »

Extrait de l’intervention du camarade Jean-Philippe Martin :
« … Ainsi, tant bien que mal nous minimisons le discrédit apporté dans un domaine généralement considéré comme chasse gardée des communistes. Je vous fais grâce des détails, des vicissitudes de notre action, mais j’attire votre attention sur le bâtiment car cet exemple met en évidence l’importance et l’utilité des U.D. que d’aucuns se plaisent à contester et aussi parce que je me permets de penser que nous sommes tous ici des bâtisseurs, et non seulement des bâtisseurs soucieux d’ériger des édifices verticaux monstrueux, à l’échelle des fédérations, parodiant certaine méthodes américaines qui, d’ailleurs, se passent de ce que l’on appelle là-bas les « cols blancs ». Nous coopérons au sein de notre U.D. pour renforcer et consolider ce que nous appelons la charpente de cette organisation fraternelle des travailleurs, et dont la confédération constitue la clef de voûte et les unions la poutre maîtresse ; au-delà de cette structure élémentaire, il y a ce que nous n’avons pas encore assez développé, à savoir les unions locales. Dans tout Paris, comme dans toutes les villes de notre pays, il devrait y avoir une pépinière d'unions locales qui permettraient de tisser cette trame qui aboutirait en définitive à cette éducation morale, à cette connaissance technique qui affranchiraient les travailleurs et leur permettraient d'aboutir à la dépossession du patronat. »

Extrait de l'intervention du camarade Lucien Hautemulle :
« On oublie que nous devons nous déterminer nous-mêmes sur tous les problèmes de notre compétence et sur les plans revendicatifs et gestionnaires selon l'esprit inspiré en 1906 par la Charte d'Amiens préconisant la lutte à mener contre les forces d'exploitation de l'homme, qu'elles soient privées ou d'Etat, pour la disparition du salariat et du patronat.
C'est ainsi qu'ayant été l'un des défenseurs en 1906 de la Charte d'Amiens, j'entends lui rester fidèle et proclamer que, si les parlementaires que nous avons le droit comme syndicalistes de contrôler et non pas de suivre, sont incapables par des lois de nous donner satisfaction ou reculent devant nos revendications et nos buts; nous avons le devoir de les combattre, et à défaut d'un bouleversement économique et social dans l'ordre en faveur de la classe ouvrière, de l'appeler à s'émanciper une bonne fois au moment favorable qui se présentera, avec l'aide de ses cadres, au moyen de la grève générale qui comptant tous les secteurs publics, fonctionnaires et privés, ne pourra être que révolutionnaire, chose possible en 1936 si les cadres avaient été syndiqués et organisés. »
Nos camarades Marcel Caballero, Rino, Societto ont également fait d'excellentes interventions, qui ont été très écoutées.

Suzy Chevet,
et extraits des interventions d’Alexandre Hébert, Suzy Chevet, Jean-Philippe Martin, Lucien Hautemulle