Un 25 avril à Turin sous le signe de la Résistance

mis en ligne le 20 mai 2010
Turin, dimanche 25 avril 1, devant le siège régional de la Lega Nord [Ligue du Nord, parti d’extrême droite], au 23 de la rue Poggio, on a pu voir une banderole qui disait « Chaque année, en mer, les lois racistes tuent des milliers d’immigrés ». À côté de la banderole était exposée une énorme tête en carton-pâte de Mario Borghezio 2 posée sur un grand sac-poubelle noir, et dotée d’une cravate verte (la couleur de la Ligue). Par terre, pèle-mêle, un tas de chaussures… tout ce qu’il reste de tant d’hommes, de femmes, d’enfants. Chaque jour, chaque heure, quelqu’un meurt en mer, avalé par les lois qui empêchent la libre circulation des personnes. Ces mêmes lois que la Ligue du Nord voudrait toujours plus dures, toujours plus féroces.
Un an s’est écoulé depuis le 23 avril 2009, quand, devant ce même siège de la Ligue du Nord, est apparu un pantin à l’effigie de ce même Borghezio, pendu la tête en bas tout comme Mussolini le fut à Piazzale Loreto. Des affiches reprenant cette illustration furent collées dans la ville. Un geste symbolique pour montrer qu’en Italie le fascisme est au gouvernement et au Parlement. Pour ces actes, deux anarchistes de la Fédération anarchiste de Turin, Maria Matteo et Emilio Penna, ont été accusés de menaces et de diffamation envers l’euro-parlementaire Borghezio. Leur procès doit s’ouvrir le 18 juin.
À un an de distance – aujourd’hui comme hier –, à l’occasion de la date anniversaire du 25 avril, on a voulu se souvenir qu’aujourd’hui le fascisme a le visage de la Ligue du Nord, que le fascisme n’est pas mort en ce lointain mois d’avril quand, dans les rues, les partisans combattaient et mourraient pour la liberté et pour la justice sociale. Sans se poser de questions.
Nos mers sont des cimetières pour ceux qui recherchent – au péril de leur vie – un futur dans notre pays. Dans notre pays, il y a des esclaves : les travailleurs immigrés qui relèvent la tête en risquant la prison et l’expulsion. Dans notre ville, il y a un camp de concentration 3 : chaque jour quelqu’un est déporté.
Cette banderole devant le siège de la Ligue a été une initiative parmi tant d’autres en cette longue journée d’informations et de luttes contre le fascisme, une journée voulue afin que ce 25 avril relie la mémoire d’hier avec la résistance d’aujourd’hui. Car, comme l’a dit Roberto Prato au cours de la désormais traditionnelle commémoration devant la plaque dédiée à la mémoire du partisan anarchiste Ilio Baroni, « la mémoire du passé est la nostalgie du futur ». Cette plaque est apposée à l’angle des rues Giulio Cesare et Novara, une partie de la ville où les partisans de la Sap 4 défendirent, mètre après mètre, les rues et les usines contre les nazis qui, avant la défaite, voulaient faire « table rase » de Turin. Les nombreuses plaques commémoratives qui se trouvent dans cette zone disent le tribut de sang versé par les ouvriers en armes. Ces mêmes ouvriers qui organisèrent des grèves contre la guerre et l’occupation militaire, et pour qui la lutte contre le nazisme et le fascisme était une lutte pour la justice sociale et la liberté.
Contre le racisme d’état, témoigner ne suffit pas, s’indigner ne suffit pas. Il faut « se mouiller » : s’opposer aux coups de filet et aux déportations, refuser les rondes et les militaires qui patrouillent dans les rues, soutenir ceux qui luttent dans les CEI, ceux qui se mettent en grève contre l’esclavagisme légalisé, ceux qui cherchent à escalader les murs et à abattre les barrières.
Ceux qui, dans les rues de Turin, combattaient le fascisme, portaient en eux le rêve d’une humanité sans états ni frontières, solidaire. Ils luttaient afin qu’égalité, liberté, solidarité ne soient pas seulement des mots mais deviennent le cœur même de notre société. Ces raisons ont été oubliées ou jetées dans la boue.
Il nous appartient de les ramasser et d’en faire un drapeau. Il nous appartient de reprendre le chemin de nos pères et de nos grands-pères. Il nous appartient de conquérir un nouvel avril. Même si, aujourd’hui comme naguère, ils nous appellent « bandits », « délinquants ». Se rebeller contre les lois racistes est juste. L’indifférence n’est que complicité.
Résistance !

Fédération anarchiste de Turin, Communiqués des 16, 25 et 26 avril

Traduction pour les Relations internationales :
Barbara, groupe La Rue


1. 25 avril : fête de la Libération en Italie.
2. élu au Parlement européen sur la liste de la Ligue du Nord depuis 2001 ; parmi ses faits d’armes : monter dans les trains turinois avec un spray désinfectant pour « nettoyer » les sièges occupés par les immigrés, incendier des campements d’immigrés roumains (le 1er juillet 2000, Borghezio sera d’abord condamné à 2 mois et 20 jours de prison, « peine » commuée ensuite en simple amende) ; on lui doit aussi la fondation du mouvement Volontari verdi (Volontaires verts) qui instaura en 1998 les rondes « citoyennes », diverses manifestations « anti-islamisation » de l’Italie, etc.
3. dans le langage militant courant, « Lager, camps de concentration » et CEI (Centro Identificazione e Espulsione, centre d’identification et d’expulsion, équivalent du centre de rétention français) sont devenus synonymes en Italie.
4. Sap, Squadre di Azione Patriottica (Brigades d’action patriotique), nées dans les principaux centres urbains (dont Turin) à l’intérieur même des usines afin d’aider les Gap (Gruppi di Azione Patriottica, Groupes d’action patriotique, constitués chacun d’un petit noyau de partisans et intervenant dans des actions de sabotages, guérilla et propagande politique) ; le but spécifique des Sap était de préparer le terrain afin que la population se soulève en masse, au moment venu, contre l’occupant et les autorités fascistes.