Désobéissance civile palestinienne

mis en ligne le 5 novembre 2009
En 1846, Henry David Thoreau passait parfois la nuit en prison parce qu'il refusait de payer ses impôts. C’était sa façon de s'opposer à la guerre américano-mexicaine autant qu’à l’institution de l'esclavage. Quelques années plus tard, il publia La désobéissance civile, qui a depuis été lu par des millions de personnes, y compris par des Israéliens et des Palestiniens.
Kobi Snitz a lu ce livre. C’est un anarchiste israélien qui subit actuellement une peine d'enfermement de vingt jours pour avoir refusé de payer une amende de 2 000 shekels (NDLT : à peu près 365 €).
Cet homme de 28 ans a été arrêté avec d’autres activistes dans le petit village palestinien de Kharbatha, en 2004, alors qu’ils essayaient d’empêcher la démolition de la maison d’un membre important d'un comité populaire locale. La démolition semblait avoir été organisée à la fois pour intimider et punir le leader local qui, quelques semaines plus tôt, avait initié l’organisation de manifestations hebdomadaires contre le mur. Tout comme ces manifestations, la tentative de stopper la démolition était un acte de désobéissance civile.
Dans une lettre envoyée à des amis la veille de son incarcération, Kobi Snitz écrit que « [avec] ceux qui furent arrêtés avec moi, nous ne sommes coupables de rien d’autre que de nous opposer aux politiques réellement criminelles de l’État. » Il explique également que payer l'amende serait une reconnaissance de culpabilité, ce qu'il trouve humiliant. Finalement il conclut sa lettre en insistant sur le fait que sa peine est insignifiante comparée aux punitions infligées aux adolescents palestiniens qui tentent de résister à l’occupation. Ces jeunes de 13, 14, 15 ou 16 ans sont souvent détenus 20 jours avant même que ne commence leur traitement judiciaire.
Snitz n’exagère en rien. Dans un rapport récent, les organisations de défense des droits de l’homme palestiniennes Stop the Wall et Addameer relatent les formes de répression qu’ont subies les villages qui ont résisté à l’annexion de leurs terres. Chaque fois qu’un village décide de lutter contre le mur, c’est la communauté tout entière qui est punie. En plus des démolitions de maisons, des couvre-feux et autres formes d’atteintes à la liberté de circulation, les forces militaires israéliennes utilisent constamment la violence contre les manifestants. Ils prennent pour cibles le plus souvent des jeunes, que ce soit pour des passages à tabac, des tirs de gaz lacrymogène, ou avec tout autre type de munitions létales ou non.
Depuis 2004, 19 personnes, dont à peu près la moitié de mineurs, ont été tuées durant des manifestations contre le mur. Les organisations de défense des droits de l’homme recensent 1 566 Palestiniens blessés lors de manifestations pour les quatre villages de Bil’in, Ni’lin, Ma’sara et Jayyous. Dans cinq autres villages, 176 personnes ont été arrêtées au motif d’avoir participé aux manifestations contre l’occupation. Les enfants et les jeunes sont particulièrement visés lors de ces descentes policières. Les nombres exacts de personnes blessées et arrêtées sont sans aucun doute plus élevés, ceux présentés ici ne correspondant qu’à des événements dans quelques villages.
Citons juste un exemple. Mohammed Amar Hussan Nofal, 16 ans, a été arrêté avec près de 65 autres personnes de son village le 18 février 2009.
D’après son témoignage, il a d'abord été interrogé pendant deux heures et demie dans l'école du village.
« Ils m’ont demandé pourquoi j’avais participé aux manifestations, mais j’ai essayé de nier [que je l’avais fait]. Puis ils m’ont demandé pourquoi je leur avais lancé un cocktail Molotov. J’ai répondu que je ne l’avais pas fait, ce qui était vrai. Mes parents étaient présents et témoignaient également de la scène. Ils ont confirmé que je n’avais jamais lancé de cocktail Molotov. J’ai reconnu plus tard avoir été à la manifestation, mais nepas avoir jeté un cocktail Molotov. »
Après avoir été battu pour avoir refusé de tenir devant lui un numéro d’identification en hébreu afin de le photographier, Nofal a été envoyé à Kedumim et a été interrogé pendant encore plusieurs heures. Pendant cet interrogatoire, le capitaine Faisal (le pseudonyme d’un officier des services secrets) a essayé de recruter l'adolescent pour qu'il devienne un collaborateur.
« Le capitaine me menaçait d’arrêter mes parents et toute ma famille si je ne collaborais pas. J’ai répondu qu’il pouvait arrêter ma famille quand il voulait, mais ce serait pire encore de devenir un espion. Il continua en disant qu’il confisquerait les permis de ma famille pour qu'ils ne puissent plus récolter d'olives. »
Le seul crime de Nofal fut de protester contre l’expropriation des terres de ses ancêtres. Il passa trois mois en prison. Pendant ce temps, l’administration civile décida également de punir sa famille et refusa de renouveler ses permis de travail en Israël.
Comparé à Nofal et aux centaines d’autres Palestiniens, Kobi Snitz ne paie en effet pas un grand prix. Mais son acte est symboliquement important, non seulement pour la solidarité qu’il construit avec les Palestiniens, mais également parce qu’il a, comme des centaines de Palestiniens, décidé de suivre la voie d'Henry David Thoreau. Il s’est engagé dans des actes de désobéissance civile afin de résister aux politiques immorales d’Israël et à l’assujettissement de tout un peuple.
Le problème réside dans le fait que le monde n’est pas beaucoup informé de ces actes. Une simple recherche sur Google avec les mots « violence palestinienne » offre 86 000 pages, alors qu'une recherche avec « désobéissance civile palestinienne » ne génère que 47 pages. Et ce malgré le fait que depuis maintenant plusieurs années des Palestiniens pratiquent quotidiennement des actions de désobéissance civile contre l'occupation israélienne.
Thoreau, j’en suis sûr, aurait été fier de Nofal, Snitz et de leurs compagnons militants. Il est crucial que les médias et la communauté internationale reconnaissent également leur héroïsme.

Neve Gordon
Professeur en sciences politiques à l’Université Ben-gurion en Israël.
Auteur de plusieurs livres sur l’occupation d’Israël.
nevegordon(arobase)gmail.com