Du staccato scatologique du pouvoir : débat sur l’« identité nationale »

mis en ligne le 5 novembre 2009
Toutes les personnes atteintes d’anosmie peuvent en témoigner, la diminution ou la perte de l’odorat est chose cruelle. Mais que ces dernières se consolent, dans les mois à venir, la scène politique hexagonale répandra davantage des miasmes que des fragrances de jonquille. Lors, leur handicap leur paraîtra bien doux en regard des millions de malheureux aux capacités olfactives intactes. Voyez plutôt. Mandaté par son maître, le puant Éric Besson a soulevé la plaque d’égout recouvrant les eaux usées du nationalisme le plus fétide. Par suite, que propose le colibacille pathogène en question ? L’ouverture d’un « grand débat sur l’identité nationale ». Sitôt, la salmonelle en chef des matières fécales, Marine Le Pen, a vu l’opportunité pour remettre en selles le Front national, d’où sa sonore flatulence : « Je réclame l’organisation d’un Grenelle de l’identité nationale », arguant du fait que son géniteur avait lâché, il y a vingt-cinq ans de cela, les premiers étrons sur ce sujet.
En effet, d’un point de vue historique, la bougresse n’a pas tort. Son adipeux tortionnaire de père fut le premier à miner le terrain de ses déjections racistes. Sauf qu’une vilaine mouche verte les avala puis alla pondre ses œufs dans la bouche des bipèdes sidérés par la puissance des gaz contenus dans ces bruns poisons.
Dit d’une manière un peu plus directe, le diptère de l’Élysée a piqué puis largement appliqué le programme de l’ancien casseur de « fellouzes », chose qui – forcément – a considérablement gégèné ce dernier.
Remarquons au passage que l’ami des riches (pas le borgne, celui à talonnettes) a domestiqué la bruyante meute de Chasse Pêche Nature Traditions (CPNT), pendant que l’agité du bocage, Philippe de Villiers, faisait le chouan de mettre à sa disposition son carrosse vermoulu, autrement dénommé Mouvement pour la France.
Là doit résider le principal de la sensibilité écologique du Princident : l’art de recycler les boues industrielles produites par les droites françaises pour y faire pousser les plantes vénéneuses qu’il prétend nous faire avaler, sachant qu’une des plus redoutables d’entre elles a pour nom commun : identité nationale.
Allez, ne nous échauffons pas. Reprenons les choses calmement. Cédons la parole à deux personnes qui ont longuement examiné la question sans pouvoir être suspectées de l’avoir fait avec des a priori idéologiques. Le premier est feu l’historien Claude Liauzu. Cet honnête homme avait vivement réagi lors de la création du ministère qu’occupe aujourd’hui Éric Besson, au point d’intituler son article « Ministère de l’hostilité » : « Un ministère de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale et du Co-développement… Mais en quoi la France, grande et vieille nation, avait-elle besoin de pointer comme un problème gravissime, les rapports entre des flux d’étrangers (qui ont construit ce pays depuis des siècles) et son identité ? Pourquoi cette première ? » Une partie de la réponse suivait plus loin : « La création de ce ministère à couleur d’“identité nationale” s’inscrit dans la philosophie déjà développée par M. Nicolas Sarkozy lorsque, sous la bannière du refus de la repentance, il tente de profiter des trous de la mémoire de la société française. L’histoire est ouvertement devenue un instrument au service de la légitimation du pouvoir et de ses choix politiques et économiques. » De fait, Sarkozy institue immigration et identité nationale en tant que pôles opposés et irréductibles à eux-mêmes. Or, si cette mise en tension ne repose sur aucune réalité objective, inversement elle tend clairement à jeter une suspicion sur l’immigration puis à l’instrumentaliser pour séduire certaines franges de l’électorat. Pourtant : « Les migrations ont accompagné toute l’histoire de l’humanité. Elles sont devant nous, à cause de la misère humaine et des désastres écologiques qui s’annoncent, à cause des chaos politiques, à cause de la nécessité absolue pour l’Occident de faire appel à la main-d’œuvre étrangère et à une immigration destinée à compenser une démographie déclinante. Elles sont une chance contre la “guerre des cultures” où certains voient l’avenir de l’humanité. » Maintenant accostons doucement sur le thème de « l’identité nationale » avec la démographe Olivia Samuel : « Pour moi, “l’identité nationale” n’évoque strictement rien. [...] Dans le titre de l’ouvrage (qu’elle a codirigé), En quête d’appartenances, ce dernier terme est justement au pluriel car l’identité est pluridimensionnelle. Elle se construit en fonction de la famille, du statut social, du territoire, etc. Elle se construit tout au long de la vie : l’identité n’est pas figée, elle évolue selon les expériences personnelles et collectives. Ainsi le débat politique risque d’appauvrir le questionnement. Si on ne retient que l’aspect national de l’identité c’est très réducteur. »
Le hic, c’est qu’entre se poser les bonnes questions – par exemple en s’appuyant sur les analyses de tels chercheurs dans les sciences sociales – et draguer les électeurs du Front national, Sarkozy et ses larbins ont cédé à leur pente naturelle, autrement dit d’aller récurer, une fois de plus, les parois des fosses d’aisance qui constituent l’habitat naturel des frontistes, pétainistes racornis ou en herbe, etc.
Le calcul du chef des scatophages du fumier (mouche à merde en langue vernaculaire) est simple. Les élections régionales de mars 2010 lui donnent à penser que l’UMP ne pourra que limiter la casse par rapport à ses opposants d’opérette. Par parenthèse, qu’il s’agisse des habituels ou des « nouveaux », aucun d’entre eux ne menace si peu que ce soit son pouvoir.
Le gouvernement et le patronat ont tellement canonné sur le monde du travail que l’hostilité de celui-ci est devenue rédhibitoire et, souhaitons-le, irréversible. Rodomont 1er sait que nulle invocation des mânes de Jaurès, Blum, Guy Môquet (liste non exhaustive) ne lui vaudra un supplément de bulletins de votes dans les urnes.
Par ailleurs, des larges fractions de son camp naturel et plus spécifiquement les couches les plus réactionnaires ont sérieusement toussé à l’annonce des anciennes mais très particulières pérégrinations touristiques du ministre de la Culture en Thaïlande, ou bien devant le spectacle combinant le grotesque et l’odieux de son godelureau de fils mis sur orbite par ses soins pour faire main basse sur la boîte à fric qu’est le département des Hauts-de-Seine, avec ou sans EPAD à la clé.
La crapoteuse invention du débat sur l’identité nationale, puis l’instrumentalisation qui en découlera poursuit deux objectifs. D’une part – comme nous venons de le développer – pour limiter une prévisible remontée du Front national, et d’autre part pour tenter de dissimuler au maximum ses perpétuelles attaques contre le monde du travail.
Reste qu’encore une fois, cet histrion inculte, arrogant, agressif et égotiste nous impose son agenda. La déploration ou les effets de tribune n’y changeront rien. Par contre ce serait bien le diable si, à plusieurs millions, nous n’arrivions pas à faire ravaler leur morgue à tous les porteurs de Rolex.
À genoux, le temps s’écoule lentement. Et dire que nos vies sont si courtes…