Occupations en Grande-Bretagne

mis en ligne le 26 novembre 2009

Il y a quelques mois, dans l’Hexagone, l’occupation du lieu de travail par les travailleurs eux-mêmes est devenue une coutume. Si ceux-ci agissent ainsi c’est pour s’insurger contre une autre coutume mais des tauliers cette fois-ci : « Je vire quand mes actionnaires me l’imposent ». Et là, la crise est salvatrice puisqu’elle donne une excuse à ces mises sur le carreau.

Certains ouvriers occupent, séquestrent, détruisent, menacent afin d’obtenir une mise à la rue plus soutenable, d’autres parce qu’ils ne veulent pas se faire virer !

Cette façon d’agir n’est pas un phénomène isolé et réservé à l’Hexagone, elle se répand de plus en plus dans des pays où le confort des prolétaires tendait à les rendre peu combatifs pour défendre leurs droits. Nous allons voir un exemple d’occupations et de solidarité dans une contrée où le mouvement ouvrier a été laminé il y a près de vingt ans par des mesures ultra-libérales.

Tout a débuté le 31 mars 2009 quand les travailleurs de Visteon à Belfast (Irlande) ont occupé leur entreprise. Ils sont alors suivis, le 1er avril, par leurs camarades de Basildon (Angleterre) et de Enfield (Angleterre). La raison de leur colère est malheureusement banale aujourd’hui : tous les travailleurs de Visteon Grande-Bretagne (les trois sites donc) ont été virés sans préavis et sans que leur salaire soit payé. Il leur a juste été demandé de venir récupérer le lendemain leurs effets personnels.

À cela s’ajoute le fait que l’accord signifiant que chacun puisse obtenir les mêmes conditions de licenciement que les travailleurs de Ford (dont dépendait Visteon jusqu’en 2000) a été déchiré par la direction. Or, en Grande-Bretagne, les indemnités de licenciement représentent une somme misérable, ce qui signifie pour les travailleurs approchant de la retraite, et donc considérés comme non employables, un avenir plutôt sombre.

La grève et les occupations avaient alors pour but principal d’obtenir de meilleures conditions de licenciement mais la plupart des travailleurs se battaient surtout pour garder les usines ouvertes !

Après quelques jours d’occupation à Enfield, les travailleurs ont suivi les conseils du syndicat qui craignait une expulsion légale par la police. Ils sont alors partis, abandonnant les piquets de grève et stoppant les manifestations quotidiennes. Pourtant, l’usine et son équipement étaient leur principal atout dans la négociation et le fait d’avoir suivi l’avis du syndicat a, évidemment, affaibli leur position. Le résultat des négociations syndicat-patron s’est alors avéré être au désavantage des travailleurs du site d’Enfield (une prime de licenciement équivalente à seize semaines de travail).

Déçus, les grévistes se sont retrouvés devant l’usine pour continuer leurs piquets de grève et pour s’assurer que les machines y resteraient. Un groupe de soutien venait régulièrement les aider aussi bien en récoltant de l’argent qu’en distribuant des tracts en ville, et des habitants sont venus à leur rencontre pour leur exprimer leur solidarité. Des travailleurs de Ford ont refusé de traiter les pièces qui avaient été fournies par les usines destinées à fermer.

À Basildon, les travailleurs n’ont pas pu rester car la police les a virés manu militari.

À Belfast, les travailleurs ont tenu leur occupation, aidés moralement aussi bien par des habitants que par des travailleurs d’autres boîtes (comme les conducteurs de bus qui stoppèrent leur véhicule en pleine ville à midi).

Si toutes ces actions directes et ces soutiens ont poussé la direction à proposer des négociations, le syndicat, lui, s’est révélé plutôt inexistant et affligeant, les représentants syndicaux n’ont même pas eu l’idée de monter une caisse de grève et leur présence sur le terrain était presque nulle. En plus de cela ils ne donnèrent quasiment aucune information sur l’évolution des négociations.

À l’issue de ces dernières – sur lesquelles pesaient les occupations, les piquets de grève, les manifs – tout s’est arrangé. Visteon, qui faisait partie de Ford, s’est retrouvée gérante de sa propre activité en 2000. Ce passage s’est fait en précisant que les conditions de travail et les revenus des travailleurs ne devaient pas changer. De plus, la majorité des travailleurs de Visteon « appartiennent » toujours à Ford, d’après leur contrat de travail.

Ford s’est alors retrouvé responsable et s’est vu devoir payer les indemnités aux licenciés.

L’offre – acceptée par les travailleurs de Visteon – comprend un an de salaire plus une indemnité, ainsi qu’une augmentation de salaire avec effet rétroactif et un paiement en outre lié à l’âge de chaque travailleur et à la durée de service.

Cependant la lutte ne semble pas finie. Au regard de leur pension de retraite, ils devraient toucher 60 % de leur salaire, ce qui fait très peu. De plus, un syndicaliste trop impliqué dans la lutte s’est fait virer sous prétexte de mettre en danger la boîte. Sans compter que nombreux étaient ceux qui voulaient garder leur travail et ne pas se retrouver à la rue sans revenu.

Voilà donc la victoire d’une lutte menée à travers la Grande-Bretagne qui se voulait de classe et autogérée. Ce qui est intéressant pour ces travailleurs, c’est qu’ils se sont prouvé qu’ils pouvaient mener un combat seuls et le gagner sans avoir à compter sur les professionnels de la négociation.

L’action d’occuper semble être le dernier recours des travailleurs face à l’incapacité des structures syndicales pour les soutenir et face à des patrons intraitables qui savent avoir le soutien du pouvoir en place et, trop souvent, le silence des responsables syndicaux.

C’est ainsi que nous voyons ces derniers temps des occupations aussi bien aux États- Unis (Windows Republic), en Écosse (Prisme Packaging), en Irlande (Wateford Crystal) et il y a peu de raison pour que ces actions directes cessent.

Thierry, liaison Germinal (Marseille & La Ciotat)