Camus, les autres et moi

mis en ligne le 17 décembre 2009
Contrairement à de précédents auteurs d’articles parus dans cet hebdomadaire je ne critiquerai pas notre éminent président sur ce projet absurde de sarkophagiser Albert Camus. Je ne peux, comme d’autres l’ont fait ailleurs, qu’émettre le souhait que N.S. proclame le même projet pour Proudhon ou un autre grand anarchiste français comme Reclus. Cela permettrait comme avec l’auteur de l’Homme révolté d’utiliser les médias pour propager nos idées. Je dois avouer que jusqu’à la parution du livre écrit par ce compagnon allemand vivant à Marseille, je ne connaissais pas la parenté évidente entre les anarchistes et l’auteur originaire d’Algérie. Je crois bien que je ne suis pas le seul anarchiste dans ce cas.
Quand dans la presse de « gôche » un des principaux sociologues mondiaux ou un philosophe connu français écrivent à ce propos, il est intéressant de s’y arrêter un instant.

Camus et le Polono-Anglo-saxon.
Je connaissais Zygmunt Bauman comme auteur d’un livre sur la Shoah Modernité et Holocauste où il tentait d’expliquer que « la Solution finale a marqué l’endroit où le système industriel européen a dérapé ». Dans cet article il nous appelle à relire Camus parce que « ses dénouements, ou ses absences de dénouement, suggèrent des explications, mais qui ne sont pas révélées en clair et qui exigent, pour apparaître fondées, que l’histoire soit relue sous un nouvel angle. » La lecture du Mythe de Sisyphe et de l’Homme révolté, […] m’ont aidé entre toutes à me réconcilier avec les bizarreries et les absurdités du monde que nous habitions, et que nous persistions à façonner, de jour en jour, consciemment ou non, par notre manière même de l’habiter. Alors qu’un journaliste lui demandait de résumer en un paragraphe sa pensée il utilisa une citation de Camus : « Il y a la beauté et il y a les humiliés. Quelles que soient les difficultés de l’entreprise, je voudrais ne jamais être infidèle ni à l’une ni aux autres ». Pour Bauman il a prouvé, sans l’ombre d’un doute, que « choisir son camp » en sacrifiant une tâche pour (soi-disant) mieux accomplir l’autre finirait par les mettre toutes deux hors de portée.

Camus et le philosophe français
Cette tentative sarkozienne de panthéoniser l’auteur de l’Homme révolté a amené Michel Onfray à prendre clairement parti. Il est le seul dans le débat en cours à dénoncer la volonté cachée élyséenne d’attaquer Sartre et ses héritiers à travers cette mise en bière nationale. Dans la lettre ouverte qu’il publie dans le Monde il met à jour cette tentative tout en prenant partie pour Camus dans cette dispute qui dure encore, puisqu’il vaut mieux, encore aujourd’hui, avoir tort avec Sartre que raison avec Camus. C’est pour cela que M. Onfray est amené à préciser « qu’il ne se commit jamais avec les régimes soviétiques ou avec le maoïsme » puis « Camus fut l’opposant de toutes les terreurs, de toutes les peines de mort, de tous les assassinats politiques, de tous les totalitarismes ». Le philosophe de Caen ne s’arrête pas là, il rappelle que Camus « a souvent dit sa détestation du capitalisme dans sa forme libérale, du marché faisant la loi partout, de l’impérialisme libéral imposé à la planète ». Pour Onfray celui dont il parle « n’a cessé de célébrer le pouvoir syndical, la force du génie colérique ouvrier, la puissance de la revendication populaire ». Toujours selon le même il y a dans l’Homme révolté tant décrié par les sartriens 1, un éloge des pensées anarchistes françaises, italiennes, espagnoles 2, une célébration de la Commune, et, surtout, un vibrant plaidoyer pour le "syndicalisme révolutionnaire" présenté comme une " « pensée solaire ». Ce faisant Camus « appelle à ’une nouvelle révolte’ libertaire ». Il écrit dans L’Express, du 4 juin 1955, que l’idée de révolution, à laquelle il ne renonce pas en soi, retrouvera son sens quand elle aura cessé de soutenir le cynisme et l’opportunisme des totalitarismes du moment. Et Onfray d’ajouter : Ce socialisme libertaire a été passé sous silence par la droite, on la comprend, mais aussi par la gauche, déjà à cette époque toute à son aspiration à l’hégémonie d’un seul. Il rappelle à N.S. qu’aujourd’hui les pauvres sont toujours méprisés : « Ces filles et fils, frères et sœurs, descendants aujourd’hui des syndicalistes espagnols, des ouvriers venus d’Afrique du Nord, des miséreux de Kabylie, des travailleurs émigrés maghrébins jadis honorés, défendus et soutenus par Camus, ne sont guère à la fête sous votre règne. »
Je pourrais citer bien d’autres passages de cet article prouvant que Michel Onfray prend position fermement pour l’anarchisme au risque de brûler ses navires. Il lui reste à convaincre un grand nombre d’anarchistes à ce propos car ses prises de positions politiques diverses et variées ont fait plus que brouiller les choses.

1. À ce sujet lire l’article de Séverine Gaspari publié dans Le don de la liberté, les relations d’Albert Camus avec les libertaires publié par l’Association des rencontres méditerranéennes.
2. Lire l’excellente postface de Freddy Gomez dans Albert Camus et les libertaires de Lou Marin.