La loi Loppsi 2 : une ratatouille sécuritaire

mis en ligne le 25 février 2010
Les grandes manœuvres sécuritaires ont cette spécificité qu’elles n’ont pas de limite. Les moyens utilisés pour nous protéger d’un possible ennemi intérieur sont tout à la fois terrifiants et cocasses. Plus cette droite dure qui nous gouverne se dote de pouvoirs illimités, plus ses thuriféraires estiment nécessaire de multiplier les aspects répressifs du pouvoir. Il n’en reste pas moins que leurs certitudes ne sont pas à la hauteur de la crainte permanente d’être dépossédé du droit de dominer et de contrôler ceux des citoyens (comme on dit) qui seraient censés se mettre en travers de leur volonté punitive. Bien sûr, il est question de réduire sensiblement les effectifs policiers en raison de cette RGPP (révision générale des politiques publiques) aux fins d’économies budgétaires, c’est embêtant mais indispensable pour combler les déficits. Pourtant, la société policière mise en place depuis quelques décennies n’a de cesse de transformer le plus grand nombre de « bons Français » en auxiliaires bénévoles du système autoritaire le plus abominable que la France a connu depuis la période de l’occupation nazie avec la police de Vichy à son service.

Du PS à l’UMP, le passage de témoin
Les princes qui nous gouvernent sont des grands adeptes de ces acronymes que l’on peine à développer, sans risquer la migraine. En matière de police, les propositions n’ont cessé d’abonder. Nous avions déjà la PAF (police de l’air et des frontières). Nous connaissions le fichier flicard Stic (système de traitement des infractions constatées), qui fonctionnait en toute illégalité depuis bien des années, et qu’un ministre de l’Intérieur socialiste, Jean-Jacques Queyranne, devait entériner en décembre 1998. Il y a le Fnaeg (fichier national des empreintes génétiques).
Précurseur authentique des futures lois Sarkozy, c’est Daniel Vaillant, ministre socialiste de l’Intérieur, qui allait promulguer sa loi LSQ (loi sécurité quotidienne), pour répondre à la surenchère sécuritaire qui dominait la campagne de l’élection présidentielle du mois d’avril 2002. C’est en novembre 2001, suite au Patriot Act américain de George W. Bush, après les attentats contre les tours jumelles de New-York.
Le 10 juillet 2002, quelques mois après son arrivée place Beauvau, Nicolas Sarkozy présentait son projet de loi Lopsi (loi d’orientation et de programmation de la sécurité intérieure). Texte éminemment répressif qui allait déclencher la colère du cher Daniel Vaillant, qui vociférait « Sarkozy a volé mon programme ! » Il paraît que le nouveau ministre de l’Intérieur avait trouvé ce projet dans les tiroirs de Vaillant, lequel avait négligé de faire le ménage avant de quitter les lieux. La loi Lopsi était adoptée le 31 juillet 2002, les parlementaires socialistes rejetaient peut-être cette loi scélérate dans son ensemble, mais votaient benoîtement certains articles, dont l’augmentation des crédits attribués à la police.
En octobre 2002, la loi LSI (loi sécuritaire intérieure) dont les contestataires seront qualifiés de « Droits-de-l’hommiste » par Nicolas Sarkozy, est mise en chantier ; elle sera adoptée en février 2002. Détail intéressant, il y a dans cette loi de nouveaux délits, comme le délit d’outrage au drapeau tricolore et à l’hymne national, que les parlementaires socialistes adopteront avec la droite, même si par pudeur ils se donneront les gants de repousser l’ensemble du projet.
Depuis l’arrivée de Nicolas Sarkozy au ministère de l’Intérieur, en mai 2002, nous avons pu assister à une prolifération de textes, plus sécuritaires les uns que les autres, certains d’entre eux ne faisant que doubler des lois déjà existantes. Bien souvent, un certain nombre de lois n’ont même pas connu de circulaire d’application. Toujours est-il que les policiers, soucieux de ne pas déplaire au maître, se sont souciés de les appliquer, dès lors que le projet était annoncé. Cet état policier en devenir, qui détient tous les leviers du pouvoir, estime néanmoins indispensable de justifier sa nocivité par un arsenal de lois toujours plus scélérates. Il n’en reste pas moins que les policiers ne cessent de réclamer toujours plus de moyens répressifs, bien au-delà des lois existantes.

« Performance policière »
C’est ainsi que, sous les auspices de Brice Hortefeux, vieux complice du président de la République, devenu ministre de l’Intérieur après avoir été le premier gardien de l’identité nationale, la législation répressive va se durcir un peu plus. La loi Loppsi 2 (avec deux P cette fois) a pour objet de faire peur. Sous ce sigle qui se veut cohérent, la loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure est lourde de menaces pour ce qui subsiste de nos libertés fondamentales. Tous les commentateurs l’ont immédiatement qualifiée de loi fourre-tout, mais tout le programme répressif à venir est inscrit dans le mot « performance », qui ne peut que rappeler que la police se doit de travailler sous la pression du résultat.
Quel est donc le contenu de cette loi Loppsi 2, sur laquelle on a fait grand bruit et qui a été adoptée par l’Assemblée nationale le 16 février dernier ? Cette accumulation de textes indigestes constitue une réelle menace. Au-delà des grands classiques sur la sécurité, face à une population qui serait globalement suspecte, un certain nombre de gadgets sont donc annoncés. Ainsi, il est question de « filtrage » des sites internet proposant des contenus pédo-pornographiques, ce qui pourrait paraître cohérent pour les « honnêtes gens », mais cet aspect de la loi risque de déraper et de s’appliquer pour bien d’autres motifs, plus politiques que moraux.
N’oublions pas que la loi Guigou de 1998 sur le fichage génétique, qui ne concernait au départ que les pédophiles et les auteurs de crimes sexuels, s’est durcie au fil des années. En 2010, l’auteur d’un simple graffiti peut être mis dans l’obligation d’un prélèvement de salive et figurer ensuite dans le fichier Fnaeg sauf, en cas de refus, de risquer une peine de prison et une forte amende.
En matière de flicage bien tempéré, Big Brother Hortefeux va faire en sorte que l’on regarde de plus près ces citoyens en qui la moindre confiance ne peut être accordée. Attention, ne surtout pas croire que la multiplication des caméras sur la voie publique puisse être qualifiée de vidéosurveillance. Pas du tout ! Mirage du langage codé, il s’agit de vidéoprotection. Nous serons donc de mieux en mieux protégés. Bien sûr, nous n’en sommes pas encore au télécran de 1984, imaginé par George Orwell, mais nous en prenons le chemin. Certes nos « protecteurs » vidéo ne s’intéresseront pas à notre vie intime, mais bien plutôt aux possibles complots qui pourraient s’ébaucher derrière les volets clos. Bientôt, en tout cas, il ne sera plus possible de circuler dans les grandes artères de nos villes sans nous trouver sous le regard bienveillant de flics qu’il est possible de qualifier de « guette-au-trou ».
L’un des aspects les plus immondes de cette loi Loppsi 2 concerne les mineurs. Les préfets peuvent instaurer un couvre-feu pour les mineurs non accompagnés de moins de 13 ans, entre 23 heures et 6 heures du matin. Ce qui pourrait paraître naturel mais, là encore, ce qui se cache derrière cette décision ne peut qu’inquiéter car ce n’est qu’un début de contrôle sur les mineurs, suspectés d’être dangereux pour la société. Nous connaissions déjà l’intérêt porté par Nicolas Sarkozy aux jeunes enfants. En 2006, encore ministre de l’Intérieur, il suggérait aux pédiatres de s’intéresser de très près aux bambins, dès les écoles maternelles, pour y déceler de possibles criminels en devenir. Avec Loppsi 2, ce sont les moins de 13 ans qui seront la cible des policiers – avec toute la sensibilité dont ils sont capables… Ne pas oublier que les mineurs de 10 à 13 ans pourront être placés en garde à vue pour une durée de douze heures, renouvelable pour des délits passibles d’une peine de prison. Il n’en reste pas moins, nous avons pu le constater récemment, qu’il n’est pas nécessaire que les délits soient avérés pour que des mineurs de 13 ans se retrouvent en garde à vue. Une certitude : l’ordonnance d’octobre 1945 sur la justice des mineurs ne cesse d’être durcie depuis 2008. Cela avec l’éternelle incantation de la « tolérance zéro ». Comme le soulignait, il y a quelques jours, Jean-Pierre Rosenczveig, président du tribunal pour enfants de Bobigny, la loi de 1945 avait pour fonction de protéger les mineurs en danger méritant protection, alors qu’en 2010 le mineur désigné comme possible délinquant mérite une sanction forte.
Par ailleurs, les enquêteurs policiers seraient habilités à placer des mouchards sur les ordinateurs des mauvais citoyens. De même, les officines policières disposeraient de nouvelles facilités pour conduire d’utiles écoutes téléphoniques. Parmi quelques autres détails sordides, une vieille promesse de Nicolas Sarkozy serait enfin effective : la confiscation pure et simple des véhicules dont les propriétaires auraient commis de graves infractions au Code de la route. Avec cette précision : lorsque des voitures de forte puissance seraient saisies chez de présumés truands, et bénéficieraient aux services de police qui ont le plus besoin de véhicules rapides pour leurs rodéos courses-poursuites.

Ce que néglige Loppsi 2
Le 9 février 2010, la Cour des comptes présentait son rapport annuel. Parmi les éléments de mauvaise gestion de l’état, relevés par les sages, il y a les dépenses faramineuses de la police, en matière de véhicules. Ainsi, en 2008, les services centraux de la police auraient eu à leur disposition 1 460 voitures banalisées ; soit une augmentation de 21 % depuis 2003, « sans réelle justification ». Il y a bien plus grave : « La moitié de ces véhicules sont suréquipés, avec des motorisations inutilement puissantes, ou des aménagements trop luxueux. » Par ailleurs, ces voitures banalisées ne servent pas toujours à poursuivre des délinquants. Comme le remarque la Cour des comptes : « Les usages à titre privé sont répandus, bien au-delà des contraintes normales du service, tout comme la mise à disposition de chauffeurs de véhicules à des personnes n’exerçant aucune fonction au ministère de l’Intérieur. » Curieusement, il a été possible d’entendre des responsables de syndicats de policiers défendre cette dérive, en expliquant que les véhicules dont ils disposent doivent fréquemment être remplacés, car ils sont utilisés 24 heures sur 24. (Notons au passage qu’il n’est pas rare de voir et d’entendre ces véhicules, toutes sirènes hurlantes, foncer vers le commissariat pour que la pizza arrive chaude aux collègues en permanence.) Toute mauvaise plaisanterie mise à part il semble que, côté PV, la gabegie serait identique puisque, rien qu’à Paris, 15 % des contraventions sont purement et simplement annulées ; soit 524 000 en 2007. Au travers de ces mesures dites « d’indulgence », la préfecture de police entretiendrait ainsi, en toute légalité, de bonnes relations avec les amis de l’ordre.
Qu’ajouter de plus ? Bien au-delà de cette loi Loppsi 2, il est impossible de se désintéresser d’un certain nombre de dérapages verbaux, et je me sens lourdement concerné par un propos récurrent de éric « Judas » Besson : « Nicolas Sarkozy a raison, il faudrait passer les journalistes à la Kalachnikov ! » Le ministre ajoutant avec son bon sourire coincé : « Bien sûr, je plaisante… » Méfions-nous de ces petits plaisantins chargés de mission pour lancer des ballons d’essai qui font lourdement ricaner les proches de ce pouvoir sécuritaire. Bien évidemment, nul ne songe à exécuter ces journalistes impertinents. Plus simplement, il est tout juste envisagé de les faire taire !