Triste bilan pour Obama

mis en ligne le 11 mars 2010
Il y a un peu plus d’un an, le 20 janvier 2009, Barack Obama prêtait serment et devenait le 44e président des États-Unis.
L’Obamanie était alors à son comble et malheur à qui ne partageait pas l’enthousiasme général des « progressistes ».
Ce mois-là, j’avais écrit ceci, que plusieurs d’entre eux me reprochèrent vertement aussitôt : « Pour éviter de trop amères désillusions, je recommande de plonger un instant la tête dans les eaux glacées d’une minimale lucidité. Sans nier l’importance de cette base militante qui a travaillé très fort pour lui, il faut d’abord se rappeler qu’Obama occupe des fonctions que personne ne peut occuper sans avoir gagné à ce jeu de relations publiques largement coordonné et mis en scène par les institutions dominantes et obtenu leur assentiment. Par ailleurs, son gain, minimal (près de la moitié des votards – 46 % – ont choisi le tandem McCain-Palin), il le doit en partie au fait d’avoir su se présenter comme une sorte de tableau vierge sur lequel chacun a été invité à écrire ce qu’il voulait. À ces mots pouvant recouvrir à peu près tout ce qu’on voudra (par exemple : « espoir », « changement », « on le peut »), chacun a entendu ce qu’il voulait bien entendre. Des interprétations bien divergentes ont d’ailleurs déjà été données de ce que ces mots signifient en matière de relations internationales, d’économie, de justice sociale, de droits humains et de politiques environnementales, qui sont parmi les plus importants chantiers qui attendent Obama. Le moment des gestes est arrivé. C’est celui sur lequel on juge un politicien. »

Une popularité en déclin

On peut connaître ce que les Américains ont jugé au vu de ces sondages qui sont faits à chaque jour sur la popularité d’Obama depuis janvier 2009. Sa chute de popularité est vertigineuse et étonnamment rapide. 70 % approuvaient ses décisions en février 2009 : ce nombre est passé à présent à moins de 50 %. Le nombre d’insatisfaits de la présidence d’Obama a pendant ce temps fait lui aussi un bond spectaculaire, passant de 10 à près de 50 % des Américains.
Les raisons de cette insatisfaction tiennent en partie à ce dont Obama a hérité, en particulier une crise économique majeure et deux guerres impérialistes – mais il faut rappeler qu’il avait lui-même soutenu avec enthousiasme l’intervention militaire en Afghanistan.
Mais ce déclin de popularité tient aussi aux décisions prises par Obama et son administration dans les grands dossiers où il avait suscité un certain espoir.
Ses échecs ici sont ceux d’une administration faite sinon par les mêmes personnes, du moins le même genre de personnes que celles qui composaient l’administration Bush : des amis des institutions dominantes de la société américaine, en particulier du monde de la finance et des affaires. La chose n’était pas difficile à prévoir et ses effets, eux aussi aisément prévisibles, se sont bel et bien produits.
Politique étrangère : du pareil au même ou peu s’en faut.
En politique internationale, il a, comme le prédisait Condoleezza Rice, bien placée pour le savoir, continué les politiques poursuivies sous l’administration Bush II. Les deux guerres se poursuivent. La prison de Guantanamo n’est toujours pas fermée. Le génocide arménien n’est toujours pas reconnu.
Le réchauffement planétaire n’a pas pu être pris au sérieux comme il devait l’être.
La politique menée avec Israël reste la même – et la manière dont a été enterré aux Nations unies le rapport Goldstone sur les crimes de guerre à Gaza en 2008 et 2009 le rappelle éloquemment.
Le principe dominant qui guide un très grand nombre de ces politiques reste encore et toujours le maintien du contrôle sur le pétrole, cette « prodigieuse source de puissance stratégique » et « une des plus immenses richesses matérielles de toute l’histoire de l’humanité », comme le disaient déjà les planificateurs de la politique étrangère américaine au sortir de la Deuxième Guerre mondiale.
Mais on ne peut pas reprocher à Obama de ne pas tenir certaines promesses : il s’était par exemple engagé à accroître les dépenses pour la haute technologie militaire aéronautique, et il a tenu parole ! En fait, les dépenses déjà pharaoniques du budget militaire sont à la hausse, pendant que le taux de chômage, selon les moyens de le calculer, oscille entre 10 et sans doute 20 % et que d’innombrables personnes ont perdu et perdent encore leur maison. Ce qui nous amène au deuxième sujet du bulletin d’Obama.

Politique intérieure : la même

Excluons la réforme des soins de santé dont nous reparlerons : deux catégories de promesses faites par Obama avaient retenu l’attention. La première, visait à assainir quelque peu les délirantes politiques fiscales et en particulier d’éliminer certaines échappatoires dont bénéficient les entreprises et les très hauts salariés, et de créer un organisme de surveillance des paradis fiscaux. La deuxième était d’exercer un certain contrôle sur les lobbyistes et les ex-élus exerçant des pressions sur les élus ; même s’ils n’étaient le plus souvent que cosmétiques, ces changements se font encore attendre.
Le chantier majeur d’Obama en politique intérieure était et reste celui de la santé. Le nombre d’Américains sans couverture médicale s’élève à près de 50 millions, ce qui donne le vertige, et les soins de santé coûtent des fortunes. Ils sont responsables d’océans de souffrances dont a du mal à se rendre pleinement compte quand on habite des pays où existent des soins de santé universels. Il faut d’ailleurs prendre bonne note du fait que les mêmes intérêts qui empêchent que ces soins universels existent aux États-Unis travaillent fort à démanteler ceux qui existent dans les autres pays. Au Canada, le fait est patent et le système public de santé est déjà sérieusement érodé.
Le pourtant très centriste magazine Atlantic Monthly a récemment décrit ce qui se déroule à Washington comme un « coup d’État silencieux » par lequel l’« élite de gens d’affaires […] use de toute son influence pour empêcher qu’on fasse des réformes qui sont pourtant nécessaires ». L’Empire en est donc à peu près au même point, le sauveur annoncé s’en est tenu cette fois encore au programme des compagnies et des milieux d’affaires, et le complexe militaro-industriel est plus solide que jamais. Les élites ont tout fait pour cela, et elles travaillent remarquablement bien.

Des propagandistes déchaînés

Ces élites disposent pour parvenir à leurs fins des médias de masse qu’ils possèdent et contrôlent dans leur quasi-totalité et qui sont déchaînés depuis un an, notamment contre toute velléité de modifier, même modestement, le régime fiscal ou le statu quo en matière de santé. Les fameuses Tea Parties, démagogues, populistes et antifiscalistes, en sont la partie la plus visible : c’est là où les pauvres affirment avec ferveur qu’ils ont l’intention de continuer à voter pour les riches, que les exclus se félicitent de leur exclusion et où tous affirment avec enthousiasme qu’ils ne vont pas arrêter de sitôt de se forger les chaînes dans lesquelles ils se réjouissent par avance d’être enferrés.
Selon moi, on ne peut se faire une idée de cela qu’en allant un peu voir du côté d’un des plus efficaces organes de cette propagande : les émissions d’information diffusées sur la chaîne de télévision Fox. Allez sur You Tube et mettez dans le moteur de recherche, par exemple, Terry O’Reilly ou encore Glenn Beck. Dépaysement garanti. Obama est couramment décrit comme un socialiste, et même assimilé à Hitler ou à Staline. Vous aurez la certitude d’être sur une autre planète. La planète États-Unis, celle-là même où se trouvent le MIT, l’université de Princeton et mille autres lieux où fleurissent des intelligences parmi les plus remarquables du monde. C’est aussi celle sur laquelle, cette année, on a remis le Nobel de la paix à Obama, le souillant de sang une fois de plus.
Il y a un an, je pensais qu’Obama ne pourrait accomplir certaines des choses qu’attendaient de lui ses électeurs que si ces derniers et les groupes auxquels ils appartiennent parvenaient à exercer une pression assez forte pour contrecarrer celle de son entourage et des intérêts corporatistes qu’il représente. Convenons-en : ce ne fut pas le cas. J’avoue que j’aurais bien aimé avoir eu tort.