Sans-papiers

mis en ligne le 30 novembre 2007

beaucoup de laissés pour compte

Au fait d’appartenir à l’une ou l’autre de ces catégories, venait s’ajouter une liste kafkaïenne de conditions à remplir (temps de présence en France, promesse d’embauche, certificats de travail, absence de menace à l’ordre public, existence d’un domicile, respect des obligations fiscales, etc.). Quelles démagogie que d’exiger des personnes n’ayant aucun droit au travail «des preuves de ressources issues d’une activité régulière».

L'État bat la mesure : les associations dansent

De fait, le nombre de régularisations reste difficile à apprécier, tout comme le nombre de personnes qui n’ont pas fait de demande. Le taux de régularisation par rapport au nombre de demandeurs est très fluctuant selon les départements (30 à 80%). Pour le département de Loire-Atlantique, il est de 66% selon la préfecture, de 45% selon les sans-papiers en lutte. Les principales catégories bénéficiaires sont les conjoints et enfants de français ou d'étrangers en situation régulière. Les principaux laissés pour compte sont les demandeurs d’asile déboutés et les personnes célibataires. Une «prime à la famille» qui s’explique par le caractère insoutenable pour une grande partie de l’opinion d’expulsions de famille.

Il faut bien sûr mettre en relation les taux de régulation avec la présence de collectifs d’associations qui ont aidé les personnes sans papiers à rédiger leurs demandes, les ont aidées logistiquement à s’organiser et ont permis la médiatisation de l’opération. Cela dit, les associations, aussi sympathiques qu’elles soient, n’ont pas pu faire autrement que rentrer dans la logique de l'État : confrontées à la détresse des sans-papiers, elles se sont lancées dans le fastidieux travail de dossiers individuels à présenter aux préfectures et sont rentrées dans une logique de négociation.

En soi, négocier n’est pas une mauvaise chose : encore faut-il garder l’objectif de régulariser toutes les personnes sans papiers et le faire en position de force, donc créer les conditions du rapport de forces, notamment en permettant l’expression autonome des sans-papiers. Cela n’a pas toujours été le cas, certaines associations se réservant les «bons» dossiers comme SOS-racisme à Paris ou se bornant à privilégier une communauté et adoptant une attitude de déférence vis-à-vis des autorités : à Nantes, on a pu voir une association franco-zaïroise sortir un communiqué de presse préconisant le silence aux sans-papiers et l’arrêt de critiques publiques contre le ministre de l’Intérieur parce qu’il était dans le coma… Par contre, à Nantes toujours, on a vu le Collectif des sans-papiers demander le départ de deux associations du collectif des sans-papiers de surveillance qui n’avaient pas respecté leur mandat lors d’une réunion de «suivi» avec des représentants de la préfecture. Cependant, l’autonomie des sans-papiers reste toute relative, ceux-ci étant souvent dans une position d’attente vis-à-vis des collectifs d’associations qui les soutiennent et les luttes pour le leadership minant leur cohésion. Par ailleurs, les collectifs larges trouvent leurs limites quand se pose le problème de la critique du PS, beaucoup d’associations se retrouvant dans des réseaux anti-FN avec la gauche plurielle.

Exit la circulaire : voici la loi Chevènement

Pour le gouvernement, l’opération a pris sa fin avec l’entrée en vigueur de la loi Chevènement. Il prétend que cette loi permettra de nouvelles possibilités de régularisations. Il est clair pourtant que cette loi est dans l’esprit des précédentes, à savoir que c’est l'État qui choisit qui pourra vivre dans ce pays, toujours sur la base de «critères» utilitaristes ou xénophobes inavoués. Cette loi est telle que la voulait Jospin et Chevènement, à savoir un ramassis de mesures tantôt de progrès tantôt de répression qui contentent un peu tout l'éventail politique, de manière à rendre la critique malaisée. Le rapport Weil paru en juin 1997 insistait sur l’idée de «dépassionner» les débats sur l’immigration et de trouver un «consensus». Or depuis 25 ans le consensus se fait au détriment des étrangers. La loi Chevènement ne déroge pas à cela. Avec un «signal fort» vers la droite pour dire qu’on n’est pas laxiste : augmentation de la durée de rétention des étrangers de 10 à 12 jours, confirmation du principe illégitime de double peine (prison + expulsion) multiplication des cartes de séjour temporaires de un an (comme la carte «vie privée et familiale») de manière à renforcer le sentiment de fragilité des statuts. Mais tout de même quelques timides progrès sont consentis pour faire plaisir à la gauche plurielle et aux socialos militants de la Ligue des Droits de l'Homme : quelques droits sociaux remis à niveau, possibilités de recours élargis, un peu plus de judiciaire face au pouvoir administratif, motivation des refus de visas pour certaines catégories de personnes, une attestation d’accueil en remplacement du certificat d'hébergement, soit peu de choses au regard des attentes.

Informatique, quand tu nous tiens !

Cela dit, les visas instaurés en 1986 existent toujours et l'élargissement de l’Union européenne revient à multiplier les cas de refus de délivrance de visas. En effet, pour obtenir un visa pour un pays de l’espace Schengen ; il est nécessaire (mais pas suffisant) de ne pas être déjà fiché comme ayant essuyé un refus dans un autre pays européen. La toile informatique entre fichiers Schengen, ministère de l’Intérieur et consulats agit efficacement contre la liberté de circulation. Quant à l’opération de régularisation Chevènement, ce fut aussi l’occasion d’une vaste fichage d'étrangers en situation irrégulière. Seuls les naïfs croiront madame Guigou, ministre de la Justice, qui prétendaient il y a un an devant le Congrès du syndicat des avocats de France que les fichiers servant à l’opération de régularisation seraient détruits au final.

Qui sont les ultra-libéraux ?

Reste pour les socialistes l’argument suprême contre les défenseurs d’une libre circulation et d’une libre installation des étrangers où bon leur semble : nous serions des ultra-libéraux. C’est un non sens, car le capitalisme libéral a besoin de la fermeture des frontières pour renforcer sa domination : il lui est nécessaire d’avoir des zones économiques à niveaux de développement différents, avec un coût du travail différent, cela afin de pousser ce coût à la baisse dans les zones prospères. De ce point de vue, l’ouverture des frontières aux individus remet en cause la toute-puissance des marchés en donnant aux salariés la possibilité de «se vendre» au plus offrant.

C’est parce qu’ils ne veulent pas s’attaquer aux dégâts du libéralisme que les gouvernements ne peuvent concevoir l’immigration autrement que sous l’angle policier. Le problème de fond reste la répartition des moyens de productions et des richesses sur la planète.

Les collectifs de sans-papiers posent de plus en plus explicitement cette question dans leurs prises de positions publiques. En ce début octobre, ils sont encore nombreux à continuer la lutte pour une régulation globale, malgré le désintérêt des médias, malgré l’essoufflement des militants associatifs. La fin de la circulaire Chevènement ne signifie pas la fin de la lutte des sans-papiers.

Hervé
groupe de Nantes