L'Indonésie entre révolte et résignation
Une transition qui arrange les occidentaux
Les occidentaux, FMI et États-Unis bien sûr, mais aussi les pays d’Europe, se frottent les mains de ce possible dénouement d’une crise qui a semblé un moment échapper au contrôle des chefs en tout genre. Un dictateur devenu trop voyant, et peut-être même trop indocile, est remplacé par un de ses adjoints qui fait mine de vouloir tout changer. Quelques prisonniers politiques sont libérés, une poignée de corrupteurs liés directement à l’ancien pouvoir sont inquiétés, et surtout, sésame de nos sociétés moderne, le nouvel Ubu promet des élections «libres». Les maîtres du capitalisme mondial n’en demandent pas plus. L’exploitation des Indonésiens et des Indonésiennes va pouvoir se poursuivre en toute impunité.
Les affaires peuvent continuer ; tout le reste n’est aux yeux des puissants du monde que broutilles. Mais ces broutilles déterminent la vie en Indonésie. Le nouveau pouvoir est une marionnette aux mains des militaires et le véritable homme fort du pays semble bien être le général Wiranto, ex et nouveau chef des armées. Les autres principaux ministres sont les mêmes que sous Suharto et le FMI craint que la ficelle ne soit trop grosse. L’organisme international qui fait la pluie et le beau temps dans l’archipel est donc «particulièrement satisfait de l'équipe économique» mais aimerait une petite couche de vernis de changement en plus. Ce qui ne risque pas de changer, par contre, c’est le système de corruption généralisée et la petite élite de mafieux qu’elle engraisse.
Un archipel sinistré par la pauvreté
Comme dans tous les pays du Sud les écarts de richesses, entre la masse des plus pauvres et les quelques nantis qui tiennent le pouvoir économique et politique, sont vertigineux. Ces inégalités se lisent directement dans les paysages de Djakarta où les immeubles flambant neufs du capitalisme triomphant du début des années 1990 côtoient des poches de pauvreté où la préoccupation presque unique et quotidienne des hommes et des femmes reste de nourrir leurs familles. La capitale indonésienne est aujourd'hui une métropole de 12 millions d'habitant qui, comme la grenouille de la fable, a voulue concurrencer ses rivales du Sud-Est asiatique : Singapour et Honk-Hong. La crise de l'été 1997, commencée en Thaïlande. a touché de plein fouet une économie rongée par des taux de corruption de 20 à 30%. Les conséquences ont été immédiates. Le chômage officiel (le sous-emploi atteint semble-t-il près de 40 millions de personnes) est passé en quelques mois de 2,5 à 8 millions. Dans un pays qui ne bénéficie d’aucune sorte de protection sociale, cela signifie plus d’une dizaine de millions de grands pauvres en plus.
Les classes moyennes urbaines, jusque là soutient du régime car elles pensaient être en mesure de recueillir les fruits de la croissance de l'économie ont été les premières touchées. Les étudiants, c’est-à-dire ceux dont le combat a été le plus largement médiatisé en occident (et de loin !) sont leurs enfants et défendent leurs intérêts, c’est-à-dire un modèle de capitalisme à l’occidentale : l’exploitation des plus faibles oui, mais sans despote qui se remplit les poches au passage.
Les principales victimes restent cependant les plus pauvres pour qui la moindre augmentation du prix des produits de base (surtout la farine et l’essence qui sert à allumer les réchauds dans des îles où le bois se fait rare) signifie privations et ventre vide. Dans ces conditions les changements de régime les touchent peu mais la colère et la haine sont présents dans les cœurs.
Les chinois comme boucs émissaires
Le clan Suharto (cela semble prouvé) a cherché a détourné la colère des plus pauvres sur ce bouc émissaire, idéal dans cette région du monde, que sont les communautés chinoises. Les milices du régime ont les premières saccagé les magasins du quartier chinois de Djakarta, créant un climat de terreur qui a bien entendu dégénéré en émeutes de la faim. L’objectif du dictateur et de son entourage était ainsi de créer un climat d’insécurité en exploitant la colère d’une partie de la population peu politisée et peu encadrée, de manière à assurer la répression en se présentant comme le dernier rempart de l’ordre.
Les chinois étaient les victimes idéales pour cette violence de la faim, représentants ici de la figure de l’autre, coupables parce que différents. En effet, la diaspora chinoise, qui compte une trentaine de millions de membres dans l’ensemble de Sud-Est asiatique et même bien au-delà, est extrêmement dynamique sur le plan économique et contrôle une part importante du commerce indonésien (chaînes de supermarchés par exemple).
Circonstance aggravante, ils restent très attachés à leur culture et à leur langue d’origine et apparaissent ainsi comme un «corps étranger» dans la société indonésienne. Il devient ainsi facile de manipuler les foules à leurs dépends en profitant d’un nationalisme économique. C’est ce qui c’est fait le 14 mai avec pour conséquence la destruction presque totale du quartier chinois, dans une sorte de pogrom qui rappelle par de nombreux aspects la persécution des juifs d’Europe.