Cent pour cent des abstentionnistes n'ont pas voté FN
Non à l'intox des médias
C'est presque partout en France que le FN a régressé aux régionales en nombre de voix. Sur la quinzaine de départements qui constituent des bastions pour le FN [[Bouches-du-Rhône, Var, Alpes-Maritimes, Gard, Hérault, Pyrénées-Orientales, Rhône, Loire, Haut-Rhin, Bas-Rhin, Haute-Marne, Eure-et-Loir, Oise, Seine-et-Marne.]], tous, dans ce scrutin apparemment facile pour le FN qui escomptait d'ailleurs une forte progression, perdent des voix par rapport par rapport au summum des présidentielles de 1995, parfois de façon considérable (près d'un tiers des suffrages en moins dans les Pyrénées orientales), même dans les Bouches-du-Rhône (une perte de 14 194 voix), même dans les Alpes-Maritimes (une perte équivalente), et à l'exception du Var où le FN ne gagne que... 55 voix !
Si l'on prend l'exemple de la région stéphanoise, où le FN est régulièrement arrivé en tête, on observe le même tassement : à Saint-Étienne, où le score des régionales est un peu en dessous de celui des législatives de 1997, dans la vallée de l'Ondaine (pareil pour Firminy, le Chambon-Feugerolles, La Ricamarie) et dans la vallée du Gier. Dans ce dernier cas, même les coteaux verdoyants de la petite bourgeoisie apeurée ont moins voté FN que d'habitude et, fait plus important, les communes ouvrières de l'ancien couloir industriel qui avaient commencé à glisser du côté du FN semblent revenir en arrière (Rive-de-Gier, L'Horme, Lorette...).
Pourtant, la majorité des médias locaux ou nationaux ont encore repris tous en chœur la vieille antienne de la «forte progression du FN». Le comble de l'intox revient probablement à un journaliste de Libération qui proclamait (édition du 16 mars) «lentement mais sûrement, le FN avance (et il) obtient son meilleur score, toutes élections confondues». Évidemment, si on raisonne en terme de pourcentage, il peut y avoir progression. Mais celle-ci n'est que factice en nombre de voix, comme on l'a vu, et pourtant c'est ce critère qui, normalement, devrait être le seul dans une démocratie qui se veut issue du suffrage et du nombre.
On touche là à un point essentiel car, au-delà d'un aspect qui pourrait apparaître comme purement méthodologique (analyser le nombre de voix ou analyser les pourcentages ?), c'est la question politique qui se pose dans toute sa dimension. Ce qui apparaît, c'est que les décisions peuvent se prendre avec des majorités factices et que l'ensemble de la classe politique, ainsi que les commentateurs inféodés, refusent de voir la réalité des abstentions. Or ces abstentions ne cessent de croître, c'est même le premier parti de France, elles ont une réelle signification, et de plus en plus forte à mesure qu'elles se conjuguent avec les mouvements sociaux. Le refus du mouvement des chômeurs de se laisser piéger par une logique électorale et politicienne, d'où des opérations spectaculaires dans les meetings et les officines, est à cet égard exemplaire.
Une dynamique bien réelle
Bien sûr, stagnation dans les urnes n'implique pas recul politicien. Ce n'est pas des décennies de parlementarisme avec toutes ses combinaisons qui nous prouveraient le contraire. De fait, le FN poursuit son implantation dans les arcanes du pouvoir local et régional. Mais, même de ce point de vue, il n'atteint pas tout ses objectifs (qui étaient de 300 conseillers régionaux, et il n'en obtient que 237). On peut se demander si, à mesure qu'il va progresser dans l'appareil d'État démocratique, il ne va pas perdre de sa substance, en étant obligé de passer des compromis. Il est vrai qu'historiquement le fascisme et le national-socialisme ne sont arrivés (démocratiquement, ne l'oublions pas) au pouvoir que grâce au ralliement des forces de droite classique. Mais nous ne sommes plus dans les années 20 et 30 de la contre-révolution préventive et l'exemple actuel de l'Alliance nationale italienne (ex MSI mussolinien), adoubée par Berlusconi et entrée dans son gouvernement, nous montre que le post-fascisme peut recéler de nouvelles réalités.
Nous ne répéterons jamais assez que les idées de Le Pen peuvent être, et sont déjà, largement appliquées bien que celui-ci ne soit pas au pouvoir. La démocratisation du fascisme va de pair avec la fascisation de la démocratie. Il faut aussi souligner ce qui se dessine de plus en plus : le FN, qui se prétend «propre», différent et «anti-établissement», baigne en fait dans la même politicaillerie que les autres, il est prêt à tout pour manger dans la gamelle, même à édulcorer ce qu'il prétend être son programme et qui est censé incarner son identité. Le recul du soutien populaire qui devrait s'ensuivre ou se confirmer ne sera toutefois pas suffisant. Les déçus du lepénisme ne correspondront pas ipso facto à une situation pré-révolutionnaire, de même que la nouvelle élection de militants d'extrême gauche ne tardera pas à révéler l'absence de perspectives du vote protestataire, fût-il anticapitaliste. Les anarchistes et les anarcho-syndicalistes sauront-ils relever le défi ?