Le Petit bout de la lorgnette
Que ce soit mars ou le joli mois de mai, tant que les discriminations dureront, la dénonciation sera à l'ordre du jour pour qu'elles soient connues et reconnues. Ce dont on ne parle pas, n'existe pas. Ce qui existe, c'est ce que les être humains fabriquent dans leur pensée et leur discours. La parole entendue : pas les voix intérieures, celles qu'on murmure, qu'on tait, celles-ci n'aident qu'à survivre. Identifier et nommer donc.
Et puis, d'un phénomène global, des fois, rien n'est compréhensible. Alors, il faut le décortiquer, le déconstruire, le parcelliser, et là un regard est possible qui rend compte de ce qu'on découvre mais aussi parfois de l'ensemble. Le petit bout de la lorgnette fait alors grand angle.
Aujourd'hui, c'est le petit bout de la lorgnette pour regarder la moitié de l'humanité !
Avant les femmes travaillaient mais n'étaient pas payées : aux champs, auprès des troupeaux, dans la cuisine, auprès des enfants, des malades et des personnes âgées, au lavoir, auprès du mari... Puis, elles furent de plus en plus nombreuses à devenir salariées, souvent exploitées, et moins payées que les collègues masculins. Maintenant, elles sont nombreuses à travailler comme salariées ou à vouloir l'être mais on leur dit de rentrer à la maison entre marmite et marmots.
Discriminations en vue
Le taux d'activité des femmes, âgées de plus de 15 ans, ne cesse de croître et atteint 48,5% (en 1996), et même 80% pour les femmes de 25 à 39 ans [[Thomas Couppié, Dominique Epiphanie, Christine Fournier, Céreq Bref, octobre 1997, p. 4.]]. Mais il est accompagné d'une forte progression de leur taux de chômage, 15,6% pour les femmes et 11,5% pour les hommes, et d'une augmentation du nombre d'emplois à temps partiel (le plus souvent contraint), 28,9% pour les femmes et 4,6% pour les hommes [[Même année de référence, mêmes sources.]]. Les inégalités de salaires persévèrent à 25%, 30% en défaveur des femmes [[Rachel Silvera, «Les inégalités de salaires», Personnel-ANDCP, n° 380, juin 1997, p. 81. Toutes choses égales par ailleurs (CSP, âge, ancienneté, secteur d'activité...) les écarts de salaires sont ramenés à 12%.]], comme dit Rachel Silvera, toutes choses inégales par ailleurs [[C'est le titre d'un ouvrage de Rachel Silvera : Le salaire des femmes : toutes choses inégales... Les discriminations sociales en France et à l'étranger, La Documentation française. 1995]].
Inégales par le mode d'accès à l'emploi. D'une part, du fait d'une ségrégation horizontale, hommes et femmes ne font pas le même travail, les femmes travaillent dans de plus petites entreprises qui paient moins, dans des secteurs fortement féminisés moins rémunérés (un niveau de qualification dans la métallurgie permet aux hommes d'être mieux rétribués que ce même niveau dans le textile).
D'autre part, ségrégation verticale, tout au long de la hiérarchie sociale, aux femmes plus diplômées (elles représentent 55% des étudiants des universités) [[Evelyne Sullerot, « 25 ans après », Personnel-ANDCP, op. cit, p. 63.]], sont opposées des barrières de recrutement et de promotion. De nombreux facteurs concourent à renforcer la discrimination dont sont victimes les femmes : notamment les systèmes de rémunération génèrent d'autres discrimination.
Sur le plan européen [[Rachel Silvera, Le Salaire des femmes... op cit. p. 85]], Rachel Silvera a pu relever parmi les éléments défavorables aux femmes et au principe de «valeur égale» : l'interruption de la carrière, les écarts fondés sur le salarié et non sur la fonction, la non attribution de primes d'ancienneté ou primes moins élevées dans certains emplois féminins ou pour les contrats temporaires, la non prise en compte de l'expérience acquise dans d'autres emplois ou à l'extérieur du marché de l'emploi, l'accès au même niveau d'ancienneté soumis à un temps de travail plus long pour les salariés à temps partiel, la mise en place sélective de primes de rendement.
La réduction massive du temps de travail -- et ramener celui-ci à un travail socialement utile -- est une urgence pour abolir le chômage mais elle ne suffit pas en tant que telle pour extirper la flexibilité et la précarité et donc discrimination entre salariés, notamment envers les salariés. Dès le début des années 70, des syndicats confédérés (toutes confédérations confondues, mais davantage CGT et CFDT, plus présentes dans les entreprises et plus enclines à signer en fin de lutte) ont signé des plans sociaux particulièrement discriminants envers les femmes. Des mesures différenciées étaient proposées : ou bien la réduction du temps de travail avec réduction de salaire pour les femmes et chômage partiel indemnisé pour les hommes, le tout pour préserver l'emploi de tous (sic). Aujourd'hui, des négociations s'ouvrent sur la réduction du temps de travail. Dans le cas où la partie de salaire correspondant à la réduction du temps de travail est totalement maintenue ou partiellement compensée, il y a renforcement des inégalités pour les salarié(e)s à temps partiel : pour les temps pleins, le salaire horaire par l'effet compensatoire va s'élever alors que pour les temps partiels, il n'y a pas réduction du temps de travail et compensation salariale prorata temporis, et donc strictement maintien du salaire ; il y a même dans certains cas, une nouvelle diminution de salaire, ce qui fragilise encore davantage les salarié(e)s concerné(e)s.
N'oublions jamais que ce qui est initié comme mesure discriminante pour une fraction de la population active tend à s'étendre pour l'ensemble des salariés [[Elisabeth Claude. «Comment parler du travail des femmes ?», Les Temps maudits, n° 2 janvier 1998, p. 53-58.]], d'autant plus si aucune résistance n'y est opposée.
Et on voit tout ça par le petit bout de la lorgnette ?