« Anarchisme & syndicalisme : le congrès anarchiste international d'Amsterdam (1907) »
Les commentaires, donc, abondent, plus ou moins pertinents, à propos de cette polémique entre les deux représentants de points de vue effectivement divergents. Cette profusion a pu néanmoins avoir pour conséquences de faire oublier les interventions d'origine, lesdits commentaires prenant le pas sur les propos quelques peu oubliés de Monatte et de Malatesta eux-mêmes, et surtout de faire croire que ce congrès a pu se limiter à la seule question syndicale, ce qui n'est bien sûr pas le cas. Aussi le livre récemment paru sur le sujet (I), même s'il insiste lui aussi sur ce point de l'ordre du jour, est-il le bienvenu, car il permet fort heureusement de corriger ces effets, en nous offrant, d'une part, une partie des comptes rendus de ce congrès et des résumés de ses séances, et, d'autre part, deux textes d'introduction de fort belle qualité dus à Ariane Miéville et Maurizio Antonioli qui permettent d'aborder la question en y étant bien préparé.
Si Ariane Miéville a raison de rappeler que les deux principaux orateurs qui s'opposent « sont passés à coté d'un fait nouveau qui n'entrait pas dans leur représentation de la réalité : l'émergence de l'anarcho-syndicalisme », on peut précisément affirmer que ce n'est sans doute pas le cas de ce dernier, qui en donne presque une définition avant la lettre. Quoi qu'il en soit, cette émergence de l'anarcho-syndicalisme ne changera pas grand-chose à l'affaire, car la définition clairement établie de l'organisation syndicale comme l'un des outils au service d'une transformation sociale de caractère nettement libertaire, concept que la C.N.T. espagnole devait mettre en pratique de manière inégalée, n'empêchera pas l'existence en son sein d'un courant purement syndicaliste révolutionnaire attribuant à l'organisation ouvrière ce même rôle avant-gardiste libérateur que d'autres attribuent au parti politique, la prétendue élite révolutionnaire étant ici remplacée par un prolétariat mythifié. L'arrivée postérieure de l'anarcho-syndicalisme sur la scène de l'histoire n'enlève donc rien à la pertinence des propos tenus par Malatesta en 1907 et auparavant. Le texte de Maurizio Antonioli, lui, s'attache essentiellement à la personne du militant anarchiste italien, à l'évolution de sa pensée, et notamment, bien sûr, au sujet de cette fameuse intervention des anarchistes dans le mouvement ouvrier. On y verra que cette question était au cœur du débat au sein du mouvement libertaire transalpin et de sa presse. On y trouvera surtout une explication et un développement judicieux et d'une grande objectivité du point de vue défendu lors du Congrès d'Amsterdam par Malatesta. Et principalement ce qui concerne ses doutes et ses critiques, aujourd'hui plus que confirmés, sur la neutralité syndicale, le fonctionnarisme corrupteur, le « reliquat marxiste » émanant de cet exclusivisme fondé sur la lutte des classes, dans le même temps où Maurizio Antonioli, en mettant l'accent sur la pertinence de ces doutes et de ces critiques, et en rappelant au passage ce que furent les positions mises en avant par cette autre forte personnalité du mouvement italien, Luigi Fabbri, efface, comme d'autres l'ont fait avant lui, cette image ridicule d'un anarchisme rêveur, évanescent, « pur », « petit-bourgeois » à l'occasion, opposé à un militantisme libertaire aux mains calleuses se colletant avec la dure réalité de la vie sociale. Pour finir, les lecteurs de l'ouvrage trouveront, à travers les comptes rendus des séances du congrès, un état général du mouvement anarchiste de l'époque, dressé par quelques-uns de ses meilleurs représentants du moment, un aperçu de ce qui apparaît comme l'inévitable question à débattre dans toute rencontre libertaire, l'organisation, et un survol hélas trop rapide de certains autres points de l'ordre du jour du congrès, en particulier l'antimilitarisme. Ce livre restera indispensable à qui s'intéresse à l'histoire de notre pensée et de notre mouvement libertaires, non seulement en ceci qu'il en aborde un tournant très important, mais surtout parce qu'il le fait d'une manière intelligente, soucieuse de faire comprendre et non de contrefaire cette histoire pour vendre sa camelote. Jean Robin