L'occupation de Paris par les troupes d'un dieu
Doutant de pouvoir organiser une manifestation d'une envergure comparable à celle de l'automne dernier, lorsque Jean-Paul II était venu en France, nous nous étions résolus à une journée anticléricale et à quelques actions éparses, sans nous faire d'illusion sur la mobilisation. Aussi fûmes-nous agréablement surpris par le résultat obtenu.
Le samedi 9 août, nous avions invité les anticléricaux du cru à venir passer avec nous une journée anticléricale avec projection de films, débat, buvette et tables de presse. Près de deux cent personnes passèrent nous voir entre seize et vingt-trois heures au squat de la rue Farcot, à Saint-Ouen. Malgré la défection de Pasquini pour des raison familiales, le débat rassembla à lui seul près de cent personnes autour de notre compagnon Jean du groupe Maurice Joyeux. C'est peu de dire qu'il aurait pu se prolonger bien avant dans la soirée si notre programme et l'obligation de quitter les lieux à une heure précise ne nous avait contraint à observer scrupuleusement notre minutage. Et, de fait, beaucoup des personnes présentes continuèrent à discuter à la buvette ou dans la cour pendant que l'on diffusait Le Miraculé de Mocky.
Pendant toute cette «journée», ce qui frappait le plus était la détermination et la volonté des individus réunis avec nous de ne pas laisser le Souverain Pontife oublier qu'il venait dans un pays très attaché au séculier, pour parler sobrement.
Il fut convenu d'organiser une manifestation à Évry où le pape devait faire un saut après être allé se recueillir sur la tombe du professeur Lejeune, une crapule notoire sur laquelle je ne m'étendrai pas.
Des affiches et des autocollant furent édités spécialement pour l'occasion et nous nous préparions à accueillir de pieds ferme le citoyen Karol Wojtyla et ses pèlerins.
Une semaine avant la déferlante des culs-bénis, le collectif « Brisons la chaîne » nous contacta afin d'organiser une manifestation le samedi 23 août, pour protester contre l'enfermement de Paris par une chaîne de jeunes mystiques.
Un petit «couac» dans l'organisation de la manifestation fit que nous nous divisâmes. En arrivant Place de Clichy, d'où devait partir le cortège, les initiateurs du collectif, quelques jeunes militants émanant principalement du DAL, nous annonçaient qu'après négociation avec la Préfecture de Police, le cortège partirait du métro La Chapelle pour se diriger vers la porte de la Chapelle. Là, j'ai une pensée émue pour les copains du groupe Louise Michel qui s'étaient levés fort tôt pour coller des affiches le long du parcours initialement prévu. Du fait que personne n'était resté sur la place de Clichy pour prévenir les retardataires, il y eu bientôt là plus de personnes que participant à la manifestation en tant que tel. Le résultat de cette erreur logistique fut que, non seulement nous ne parvimmes pas à briser la chaîne, mais que nous ne la vîmes même pas, arrêtés que nous fumes par un double cordons de keufs. Cordons pas trop épais et que nous aurions sans doute pu outrepasser si nous avions réuni nos forces au lieu de les disperser. D'après le témoignages de quelques compagnes et compagnons, lorsque les 150 manifestants se dispersaient à la Porte de la Chapelle, il y avait encore deux cent personnes qui poireautaient place de Clichy. Malgré cela, les manifestants débordaient d'énergie et notre prestation ne fut pas ridicule à défaut d'être une réussite accomplie.
Si nous tenons compte de la période de l'année et du harassement provoqué par une semaine où nous dûmes supporter de voir les rames de métro transformées en salle de chorale bon-dieusale, on peut tout de même s'avouer satisfait et rassuré ; ce n'est pas encore demain que Paris sombrera dans le délire mystique...
Mais peut-être après demain. Car, au-delà de ce constat, nous sommes bien obligé d'admettre que les Journées Mondiales de la Jeunesse furent une opération réussie pour l'Église catholique.
En sachant apporter des réponses (le fait qu'elles soient erronées importe peu pour autant qu'elles sont acceptées) là où nous n'avons su qu'opposer notre refus, et le spectacle de l'éclatement des forces anticléricales qui ne surent pas, cette année, trouver une cohésion.