Vivent les conflits !
mis en ligne le 18 décembre 2013
« Les conflits, c’est la vie ! » Tel est le titre du dernier numéro de Réfactions. Le numéro 31 de la revue se concentre sur les conflits au niveau microstructurel, en particulier dans les milieux libertaires. L’éditorial justifie ce choix en affirmant que « toute la vie collective est traversée de conflits, pour lesquels se pose la question de leur caractère moteur ou paralysant. Qu’on le dise pour les célébrer ou parce qu’il faut bien vivre avec, les conflits, c’est la vie ». Il rappelle également que le collectif est composé d’individus d’orientations libertaires variées, appartenant ou non à des organisations anarchistes.« Les conflits, c’est la vie » est à mettre en tension avec le numéro 17 « Pouvoirs et conflictualités » (automne 2006) qui s’interrogeait sur la façon dont la pensée politique contemporaine renvoyait la conflictualité hors du champ politique, réduisant celui-ci à la dimension juridique de la garantie des droits, avec pour conséquence « le congé définitif donné à toute idée et tout imaginaire de la révolution ». En conflit permanent avec la société telle qu’elle existe, l’anarchisme est lui-même traversé de conflits. Parce qu’il refuse l’intercession d’une instance transcendante chargée de les régler (ou de les étouffer), il a développé à cet égard des théories et des pratiques originales, « depuis les jurys d’honneurs jusqu’aux groupes affinitaires, en passant par la pratique du consensus formel ».
Plus qu’une question d’échelle, les conflits sont distingués dès les premières pages des luttes externes contre les systèmes de domination (capitalisme, patriarcat, État…) par l’idée que la notion de conflit impliquerait une égalité des forces. Est soulevée la difficulté, dans les milieux libertaires, de nommer le conflit interne qui passe par le fait de s’extraire de ce même conflit. Pourtant, le nommer permet de mettre les deux forces qui se heurtent sur un pied d’égalité et, donc, de le désamorcer en partie. Jean-Christophe Angaut note, dans « L’anarchisme et ses conflits », qui ouvre le dossier, que « dans tout collectif […] peuvent se reproduire les relations de domination qui sont précisément celles qu’il prétend combattre en dehors », questionnant l’opposition intérieur-extérieur.
La commission de rédaction veille à ne pas tomber dans trop d’abstraction en laissant une belle place à l’analyse de plusieurs conflits ayant marqué des milieux libertaires ces dernières années. Ainsi, Annick Stevens propose une analyse et une « tentative de compréhension du cas des éditions Agone ». Du fait de l’actualité du sujet, cet article est d’ailleurs publié également en ligne sur le site de Réfractions. Alain Thévenet, quant à lui, revient sur son expérience de la CNT dans l’article « À propos d’un conflit récent ». La section Anarchive exhume un texte de Pierre Jouventin de 1971 intitulé « Ce qui ne va pas au sein de la FA » qui pose la question du caractère répétitif de certains conflits qui présentent souvent des traits similaires, bien que les époques changent.
Avec l’article « Attention, un conflit peut en cacher un autre », Bernard Hennequin pose la question de la règle commune (« pacte associatif ») instaurée selon le principe de libre association, et du non-respect de cette règle commune (selon une terminologie, à notre sens malheureuse, de « déviance » qui est utilisée en ce moment dans les milieux libertaires pour questionner le droit, la justice et la police en société anarchiste). Car, c’est bien un autre des objets sous-jacents que l’on peut voir à la lecture de nombres d’articles de ce n° 31 de Réfractions, celui de l’angle du droit pour résoudre les conflits. Peut-être un appel pour une prochaine parution de Réfractions qui reprendrait, sous un autre angle, la question du droit (le numéro 6, « De quel droit ? », datant déjà de l’automne 2000, et ayant porté sur une critique plutôt macrostructurelle du droit en société bourgeoise).