Mais que veulent les ouvriers ?
mis en ligne le 14 février 2013
Disparaissez les ouvriers ! À la fin septembre 2012, le cinéma Jean-Renoir de Martigues proposa une lecture jouée de textes de Simone Weil autour du thème de la résistance et de la condition ouvrière. La soirée se poursuivit par la projection du film Disparaissez les ouvriers ! de Christine Thépénier et Jean-François Priester.Ce film raconte l’histoire de la lutte des ouvriers de Legré-Mante, une usine dans le sud de Marseille, leader sur le marché mondial de l’acide tartrique. Contre une liquidation frauduleuse, ils ont occupé leur usine pendant 140 jours. Ils perdent leur procès en appel et n’obtiennent rien. Le film montre les conditions de travail scandaleuses et les risques très grands auxquels ils étaient exposés quotidiennement par la malveillance de leur patron. Celui-ci les ayant menés en bateau – sans vilain jeu de mots : le terrain est situé face à la mer, au pied du futur parc des Calanques. Un endroit idéal pour construire une jolie marina à touristes parisiens riches. La fermeture était donc prévue depuis longtemps à des fins spéculatives. Le film restitue la parole de ces ouvriers au milieu de cette usine qui tombe en ruine.
La projection fut suivie d’un débat. Certains estimèrent que, dans la région de Martigues-Fos, une telle abomination ne pourrait avoir lieu. En effet, ce qui caractérisait, semble-t-il, cette usine, c’était son isolement en tant qu’établissement industriel. Le quartier étant plutôt résidentiel. Dans l’immense zone d’industries pétrochimiques qui environne Martigues, une semblable lutte aurait engagé la solidarité de tout le territoire.
Tandis que les spectateurs parlaient de sauvegarde de l’emploi industriel, je partis discrètement. Sur le chemin du retour, je me souvins des propos tenus par l’un des ouvriers proche de la retraite interrogé sur le sentiment que lui inspirait la vue de son usine à l’abandon. Il était au fond content que tout cela soit terminé et qu’il n’ait pas à remettre les pieds dans ce bagne. Je me rappelais aussi ceux qui disaient que, s’ils avaient autant de fric que les Parisiens, ils feraient sans doute comme eux et viendraient en villégiature en lieu et place de leur usine. Il y avait aussi les gens du quartier qui regrettaient la disparition des liens de solidarité anciens.
Les propos et les images de ces ouvriers étaient-ils un spectacle comme un autre ? Une usine peut-elle être belle ? N’était-ce pas leur lutte qui était belle ? Malgré ou bien même grâce à son désespoir et à son échec. En réalité, dans ce débat, ce qui manquait était la présence physique des ouvriers. Leurs mots étant figés sur l’écran de nos mémoires. Ils faisaient écran justement. Ce qui manquait c’était ce qu’ils voulaient réellement. Continuer à travailler dans cette merde ? Avoir de meilleures conditions de travail et un patron « honnête » ? Trouver un autre boulot pour gagner sa vie ? Ne plus bosser ? Que voulaient-ils vraiment ?
Quand, à l’échelle de la ville de Martigues, on réfléchit à tout ça, et malgré le quant-à-soi qui fait dire que rien de tout cela ne pourrait arriver ici, on sait bien que le pétrole coulera de moins en moins et que l’industrie régionale est menacée par la mondialisation. Lorsque les travailleurs indiens, chinois ou autres auront lutté à leur tour pour de meilleurs salaires, l’exploitation repartira-t-elle de plus belle ici ? Ou bien la région sera-t-elle transformée en haut lieu touristique ? Martigues, ses plages et ses anciennes usines transformées en centres culturels et autres musées… La crise aura-t-elle fait basculer la ville vers l’extrême droite ? Toutes ces nuisances, tous ces risques, cette pollution qui font que la municipalité est riche et qui font travailler la population – qui, elle, est plutôt pauvre. Tout cela est-il souhaitable au fond ? Le capitalisme vert n’est-il pas de toute façon en train de changer tout ça par lui-même ? L’industrialisation de la région de l’étang de Berre a été imposée par des capitaux extérieurs en grande partie. Martigues en a bénéficié pour son développement. Il est possible que cette industrie reparte comme elle est venue : par des forces extérieures imposant une autre transformation.
Lors du débat suivant le film, une spectatrice déplora que les ouvriers n’aient pas eu envie de s’approprier l’usine, de repartir en coopérative, etc. En réalité, c’est un peu ce qu’ils faisaient déjà, d’une part, en l’occupant et, d’autre part, en la rafistolant en permanence. C’était déjà leur usine. Mais à l’évidence reprendre cet outil de travail collectivement pour le faire marcher n’était vraiment pas dans leur intention. Avaient-ils vraiment le choix ? Et s’ils l’avaient eu, auraient-ils vraiment continué le même travail dans cette usine délabrée ?
Alexis
Groupe Orwell de Martigues