Le Medef bombarde le droit social
mis en ligne le 23 janvier 2013
Jour sombre que ce 12 janvier. Le patronat vient de finaliser une nouvelle étape dans la destruction du droit du travail avec la complicité « d’organisations salariales ». Les médias aux ordres célèbrent cet accord historique alliant un prétendu dispositif contre le chômage et un gain de compétitivité pour les entreprises. Au-delà de la langue patronale utilisée pour travestir, d’une part, précarité et privation de droits des salariés et, d’autre part, profitabilité et impunité des employeurs, rappelons que la compétitivité est l’essence même du capitalisme et que la compétitivité passe aussi aujourd’hui comme hier par la baisse du coût du travail. Le salariat, comme seule variable d’ajustement, passera par la flexibilité comme il se doit selon les critères idéologiques du capitalisme. En cela, cet accord n’est qu’une nouvelle étape régressive 1 conforme à la feuille de route du Medef, établie depuis longtemps. Enfin, rappelons encore que partout où la flexibilité a été instaurée le chômage a empiré.Certes, les termes de négociation de cet accord national interprofessionnel (ANI) n’avaient pas d’autre but que de demander aux organisations syndicales des concessions importantes pour « aider les entreprises ». 100 % antisocial, ce nouvel acte de collaboration de classes dans la droite ligne du pétainisme social ne doit pas étonner.
Voyons plutôt comment tout y est prévu pour précariser en toute impunité.
Des bouchées doubles…
Avec la généralisation de la couverture complémentaire des frais de santé, ce serait 4 milliards d’euros qui vont engraisser les compagnies d’assurances car environ 4 millions de salariés n’en bénéficient pas aujourd’hui. Financée à 50 % par l’employeur et à 50 % par le salarié, le choix de l’organisme assureur serait fait par l’employeur. Il n’est pas question de renforcer la Sécurité sociale mais d’ouvrir un nouveau marché aux sociétés privées. De plus, il ne s’agit pas de mettre en place une réelle couverture santé mais une complémentaire « low-cost » à caractère collectif et obligatoire. Quant à sa « portabilité » pour les chômeurs, une simple intention de négociation est prévue mais son délai maximal est déjà fixé.
Pour les droits rechargeables à l’assurance-chômage, là encore un rendez-vous est donné dans le cadre de la nouvelle convention issue de la renégociation de l’accord national interprofessionnel du 25 mars 2011 relatif à l’indemnisation du chômage. Mais attention ! L’accord prévoit que « les partenaires sociaux veilleront à ne pas aggraver ainsi le déséquilibre financier du régime d’assurance chômage. » Donc, pas question que le patronat finance d’avantage l’Unedic, les chômeurs partageront la misère.
Une majoration de la cotisation d’assurance chômage des contrats à durée déterminée « courts » consisterait à une surcotisation inversement proportionnelle à la durée du contrat. Une mascarade compte tenu des exonérations de cotisations d’assurance chômage employeur. Il serait même question de gain supplémentaire pour le patronat entre le poids des surcotisations et les exonérations sociales. Enfin, le secteur de l’intérim est grand gagnant, puisque le coût d’un contrat intérim redevient inférieur à celui d’un CDD court…
Le compte personnel de formation ? On rêve, il existait déjà ! Seulement là, il est assorti, sous l’appellation « mobilité volontaire sécurisée », d’une possibilité sous conditions de suspendre son contrat de travail pour faire la découverte d’un autre métier dans une autre entreprise avec le capital temps acquis. Mais avec une possibilité de retour soumise à accord « commun » ou une possibilité de rester dans la nouvelle entreprise entérinant ainsi une démission et une renonciation à tous les droits acquis !
Faciliter l’accès au logement. Pour embellir les bontés patronales, un rappel de l’accord du 12 novembre entre l’État et l’UESL 2 est intégré, mais aucune garantie sur les montants des loyers n’est apportée. Un peu comme pour les fameux logements étudiants récemment financés.
Pour ce qui est du travail à temps partiel, rien de bon pour les salariés, mais un plafonnement étendu à 24 heures au lieu de 20 heures et une organisation du temps de travail « lissé » sur l’année au gré de l’employeur. Une nouvelle aggravation des conditions de vie des salariés à temps partiel.
Pour les droits collectifs, le nombre de représentants des salariés sera de deux au lieu de un dans les conseils d’administration ou conseils de surveillance de 200 grandes entreprises. Quand on sait l’efficacité de ce type de représentants… Par contre, c’est bien sûr assorti d’une réduction des moyens d’informations des IRP 3.
Bref, aucun engagement sur la garantie de l’emploi et sur la lutte contre le chômage ! Mais voyons les concessions faites au patronat en échange de ces « largesses » consenties.
… et des coudées franches
Les accords de maintien dans l’emploi vont permettre aux entreprises s’estimant en difficulté de recourir, en plus du chômage partiel, à une modification du temps de travail et/ou du salaire pendant une période de deux ans. Le contrat de travail est remis en cause fondamentalement.
La mobilité interne (forcée) ? Il faut comprendre qu’une entreprise pourra restructurer, supprimer des postes et reclasser des salariés sans passer par un plan social juste sur un accord d’entreprise. Les salariés devraient devenir de grands voyageurs bien adaptables.
Justement, les plans de licenciement nommés « plans sociaux » pourront en cas d’accord se soustraire à la force de la loi et par simple homologation administrative permettre aisément les licenciements collectifs. Fini le temps des juges qui mettent leur nez dans les plans sociaux ! Ça tombe bien, la justice est embouteillée.
Tant qu’à faire, sous couvert de développer l’emploi, il va être expérimenté la création de contrat de travail à durée indéterminée « intermittent » dans les secteurs de la chocolaterie, la formation et les articles de sport… Un CDI intermittent n’est rien d’autre qu’un CDD sans prime de précarité ! Tout ça pue le travail de précarisation conjoint et ancien des laboratoires idéologiques du Medef et de la CFDT.
Enfin, la cerise sur le gâteau émerge sous le titre « Rationaliser les procédures de contentieux judiciaire » qui signifie : impunité totale ! Il est prévu que la fin prime les moyens : l’employeur seul décideur de l’ordre des licenciements, les irrégularités de procédures ne devront pas être assimilés aux irrégularités de fond. En gros, une prévention face à toute contestation de validité ou de justification des décisions des employeurs, en tous domaines, en cas de violation de procédure et du formalisme prévu par le code du travail pour mieux garantir leur pouvoir décisionnaire. On verrait ainsi disparaître les recours pour des requalifications de CDD pour absence de motif, les requalifications des temps partiels pour absence de fixation de l’horaire, etc.
Sans oublier une réduction et un plafonnement du risque financier lié aux litiges avec la mise en place d’un barème des indemnités en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse. Fallait s’y attendre, payé aujourd’hui au forfait, indemnisé demain au forfait !
Et, pour terminer, le délai de prescription serait ramené de cinq ans à deux ans pour toute action ayant pour objet une réclamation portant sur l’exécution ou la rupture du contrat de travail.
Ça tombe bien là encore, les conseils de prud’hommes sont débordés !
Aussi, prétendre que le Medef offre des contreparties est une tromperie sans nom. Ces mesures n’ont bel et bien pas d’autre objectif que d’établir un statut de la précarité. La précarité devenant ainsi la norme légale du marché de l’emploi. Dans le contexte capitaliste, le principe de sécurité pour les salariés ne devrait consister qu’à obtenir un emploi pérenne assorti de conditions de travail et d’un salaire décents. L’abus ici consiste à faire croire que les salariés précaires obtiennent de nouveaux droits en échange de la précarisation généralisée de tous les salariés.
Bien entendu, l’accord prévoit une mise en œuvre de deux ans à titre expérimental. Ben voyons !
Sans attendre la finalisation légale de cet ANI par les parlementaires au printemps prochain, il est plus qu’urgent de se mobiliser pour ranimer et généraliser une révolte sociale d’ampleur. Le patronat n’entendant que le rapport de force, c’est aux salariés de se réveiller, de cesser de trembler devant le lendemain et de se mettre enfin en colère. Il grand temps de faire comprendre aux patrons, et à ceux qui les servent, qu’ils ne le seront peut-être pas toujours dès lors que les producteurs passeront à la gestion directe et collective des biens de production. Aux militantes et militants anarchosyndicalistes, malgré la modestie de leur nombre, d’y prendre leur place et d’y jouer leur rôle énergiquement.
Jean-Marc Destruhaut
Groupe Albert-Camus
1. La loi Aubry sur les 35 heures a été le premier acte de la légalisation de la flexibilité sous couvert de réduction du temps de travail. Résultat : pas d’embauches mais une intensification de la production.
2. L’Union des entreprises et des salariés pour le logement (UESL) est une société anonyme chargée de mettre en œuvre les politiques nationales d’emploi des fonds d’action logement.
3. IRP, instances représentatives du personnel, délégués du personnels (DP), comité d’entreprise (CE) et comité d’hygiène sécurité et conditions de travail (CHSCT).