Une claque pour la droite et les laissés-pour-compte
mis en ligne le 15 novembre 2012
La droite américaine a pris, lors de l’élection présidentielle, une très sérieuse claque. Le parti républicain a perdu dans trois des dernières élections sur quatre : en 2006 quand ils ont perdu le contrôle de la chambre des représentants et du Sénat ; en 2008 quand Obama gagna facilement la présidentielle et les démocrates étendirent leurs marges de contrôle, et maintenant en 2012. Mais il y eut l’année 2010, lors de laquelle Obama et le parti démocrate subirent un terrible revers. Il s’agissait des élections de la mi-mandat, qui eurent lieu en novembre. Tous les sièges de la Chambre des représentants et 37 des 100 sièges du Sénat étaient en jeu, sans parler de ceux de 38 gouverneurs et 46 législatures d’États, sans parler d’autres élections locales. Le parti démocrate subit des défaites importantes à tous les niveaux, les républicains devenant majoritaires à la Chambre des représentantsUn vote ethnique ?
Les élections qui ont conduit Obama à assumer un second mandat furent très largement déterminées par des critères démographiques, et les orientations du candidat républicain sur ces questions lui ont été catastrophiques. Mais aux États-Unis, les « questions démographiques » sont dans une large mesure des questions « raciales ».
Le vote de toutes les catégories qui représentaient des populations en situation de faiblesse, ou menacées, ou se situant en dehors de l’establishment blanc, a très largement fait défaut au candidat républicain : Latinos, Noirs, Asiatiques (voir tableau) et… les femmes…
À la question « Lequel des candidats s’intéresse à moi ? », 81 % des électeurs ont répondu Obama, 18 % ont répondu Romney.
Ces élections sont le révélateur de la radicale modification de la « nation américaine », modification que les républicains sont d’autant moins capables de voir et d’accepter qu’elles sont en quelque sorte leur propre négation. Ceux qui continuaient de penser que l’« Amérique », c’était encore malgré tout l’establishment blanc, ont pris en pleine figure la réalité des mutations profondes de la société.
Plus de la moitié de l’augmentation de la population totale des États-Unis entre 2000 et 2010 résulte d’un accroissement de la population hispanique. Autrement dit la population « blanche » est progressivement en train de devenir minoritaire. « Mais les Blancs du parti républicain ne veulent pas faire face à la nouvelle réalité démographique », peut-on entendre sur The Ed show (MSNBC).
Les Républicains ont montré un talent remarquable pour se mettre à dos toutes les catégories de la population qui ne correspondaient pas à leur vision d’hommes blancs. Ainsi, un commentateur républicain sur The Rush Limbaugh show a déclaré, à propos des femmes, que « Obama les traite comme des vagins et elles disent : c’est mon homme ».
Sur The Ed Show, autre son de cloche, le présentateur se réjouit de la victoire d’Obama et parle de « gender gap », gouffre des genres : « Voici à quoi ça ressemble de gagner. La nuit dernière l’Amérique a mis un arrêt à la mise en place d’un programme d’extrême droite ; on a empêché la suppression des fonds pour le planning familial, on a empêché l’annulation de la réforme du système de santé. C’est beaucoup, n’est-ce pas ? Le programme radical du GOP 1 a été clairement rejeté et les femmes ont joué un rôle capital en empêchant que le progrès en cours ne soit pas arrêté. Les femmes ont été la clé de la réélection d’Obama : 55 % des femmes ont voté pour le président. »
Pour l’anecdote, 68 % des femmes mariées ont voté pour le candidat démocrate.
Que faire de cette victoire ?
Malgré cela, le bilan terrifiant laissé par George W. Bush et Dick Cheney continue de faire couler le parti républicain, qui semble sombrer peu à peu.
De nouvelles lois légalisant le mariage entre personnes du même sexe et la marijuana ont été passées dans de nombreux États sans soulever de controverses majeures – ce qui était impensable il y a quelques années. L’adhésion (un peu tardive) d’Obama au mariage unisexe a été politiquement bénéfique pour le parti.
Des démocrates ont été élus au Sénat par des États profondément rouges (républicains), comme l’Indiana, le Missouri et le Nord-Dakota, et pour la première fois, une personne gay a été élu au Sénat. Cerise sur le gâteau libéral, deux des membres les plus à droite de la Chambre des représentants ont été éjectés.
Donc les démocrates sortent renforcés de cette élection. La question est : qu’est-ce que les démocrates vont faire de cette victoire ? Probablement pas grand-chose.
La première question à laquelle Obama va être confronté est le pivot de sa politique, la sécurité sociale et la couverture santé. Pour parvenir à une solution sur ces questions, le gouvernement va être obligé de négocier avec les républicains. Il y a en effet une féroce opposition à la notion de sécurité sociale chez la moitié des États-uniens, au nom du mythique rêve américain qui veut que chacun peut s’en sortir tout seul. Pour sortir de l’impasse dans laquelle il est, Obama doit négocier avec la droite : s’il fait des coupes dans les programmes sociaux, les républicains acceptent l’idée d’augmentation des impôts – augmentations minimes, cela va de soi.
Les négociations avaient commencé lors de son premier mandat ; Obama avait accepté d’importantes coupes dans les programmes sociaux, mais l’incapacité des républicains à accepter des compromis avait fait échouer les discussions.
Le paradoxe est que la victoire d’Obama va mettre celui-ci en position de force pour contraindre la droite à négocier un accord au terme duquel vont être accrues… les coupes dans les budgets sociaux ! La principale tâche des démocrates dans les mois qui viennent sera d’assouplir les résistances de ceux qui, dans leur propre camp, sont les plus farouchement opposés à cette option.
« Dès qu’un accord sera annoncé […] tout progressiste qui exprimera encore son opposition et soulignera qu’il s’agit d’une défaite sera mis à l’index et désigné comme idéologue et puriste, et comparé au Tea Party 2 pour son refus du compromis, et désigné avec mépris par des progressistes complaisants comme opposants marginaux d’extrême gauche. » (« Obama And Progressives : What Will Liberals Do With Their Big Election Victory ? », Glenn Greenwald, The Guardian, 7 novembre 2012.)
Lorsque l’accord sera signé au terme de concessions importantes de la part des démocrates, on célébrera la chose dans un grand élan de bipartisanisme, démocrates et républicains main dans la main, et tous ceux qui protesteront seront conviés à aller voir ailleurs – et on leur rappellera qu’il y aura une fois de plus d’importantes élections de mi-mandat en 2014, et ce sera reparti pour un tour, parce qu’il faudra absolument conserver le Sénat et reprendre la Chambre des représentants.
Bref, il y a toujours une élection pour justifier qu’on n’aille pas trop vite et trop loin. Avec les résultats de la récente élection on peut envisager deux schémas :
1. Enhardis par le succès et le mouvement évident de l’électorat dans leur direction, les démocrates vont réaliser que cette fois-ci c’est différent et qu’il faut reprendre le mouvement des réformes ;
2. Enivrés par l’amour et la gratitude envers Obama qui a vaincu le démon républicain, on suivra le superhéros où qu’il aille, avec plus de loyauté que jamais.
Il n’est pas nécessaire d’être devin pour savoir quelle option sera suivie : très faibles augmentations d’impôts pour les riches en échange de grosses coupes dans les budgets de protection sociale et de santé.
Et une semaine après l’ouragan Sandy, les quartiers pauvres de New York sont toujours privés d’eau, de chauffage, d’électricité. Les habitants de Tottenville, Staten Island, ont rebaptisé leur ville « Forgottenville » (Ville oubliée).
Youpee !
R. B.
1. Grand Old Party, le parti républicain.
2. Le « Tea Party » fait référence à un épisode de la fondation des États-Unis. La Boston Tea Party fut une révolte qui eut lieu à Boston, la capitale de la colonie de la baie du Massachusetts, contre le Parlement britannique en 1773. Les colons refusaient de payer des impôts et taxes s’ils n’étaient pas représentés dans les instances où ces impôts et taxes étaient votés. L’affaire commença quand des colons passèrent par-dessus bord une cargaison de thé d’un bateau dans le port de Boston. Les lettre TEA signifient également « Taxed Enough Already » (déjà suffisamment imposés). Le Tea Party est aujourd’hui un mouvement politique qui s’oppose à l’État fédéral et à ses impôts. Il apparut au début de la présidence Obama, dans le contexte de la crise économique de 2008-2010 liée à la crise financière. Le mouvement s’opposa aux dépenses gouvernementales faites sous l’administration Obama, tant celles qui soutiennent le système financier et la relance économique que celles qui fondent une protection sociale commune au niveau fédéral.