Espagne : c’est dans la rue qu’ça se passe
mis en ligne le 1 mars 2012
Le dimanche 19 février, soit moins de deux mois après sa prise de fonction, le chef du gouvernement espagnol, Mariano Rajoy, est confronté à son premier mouvement de protestation sociale. Et quel mouvement ! Ce sont des centaines de milliers de travailleurs qui ont manifesté dans une soixantaine de villes. Le plan d’austérité annoncé par le pouvoir a mis tout le monde dans la rue : les syndicats institutionnels (CCOO et UGT) et les partis de gauche, y compris le PSOE qui voudrait bien faire oublier que, jusqu’à peu, c’est lui qui gouvernait le pays et qui avait allègrement lancé les premières mesures de rigueur, contre lesquelles il s’insurge aujourd’hui. On pouvait aussi voir, évidemment, nos camarades anarcho-syndicalistes de la CNT et de la CGT espagnoles, ainsi que les « indignés » du 15M. À Madrid, ces derniers protestaient autant contre le gouvernement et les partis que contre les syndicats institutionnels. Il faut dire que, ces dernières années, CCOO et UGT ont entériné nombre d’accords avec le pouvoir (de gauche à ce moment-là). Accords qui étaient loin de favoriser la classe ouvrière. C’est donc aux cris de « Pas cher, pas cher se vend le syndicat ! » que des indignés s’en sont pris aux dirigeants syndicalistes en leur jetant des œufs remplis de peinture jaune, la couleur qui leur sied le mieux. Cándido Méndez, le secrétaire général de l’UGT, s’en souviendra, lui qui a également été éclaboussé de ce même jaune.La prochaine étape évoquée est, bien sûr, la grève générale, en réponse au train de mesures gouvernementales déjà mises en place et celles à venir. La dernière « réforme » proposée par le gouvernement ultralibéral de Mariano Rajoy lève le voile sur les intentions réelles de ce dernier : revenir aux conditions d’exploitation du XIXe siècle. Comme en Grèce, en Italie, et en France aussi, la seule alternative proposée par le patronat consiste à allonger le temps de travail sans augmenter les salaires, ou à réduire ces salaires sans diminuer les heures effectuées. On appelle ça un choix.
Le Parlement espagnol (comme tous les Parlements) vote, impose les plans d’austérité présentés par le gouvernement (de droite) en arguant de sa « légitimité » acquise aux élections de mai 2011. L’ancien gouvernement (de gauche) avait déjà mis en œuvre des « réformes » en mettant en avant, lui aussi, sa légitimité obtenue par les urnes. Comme on a pu le voir depuis bientôt un an, les « indignés » ont eu beau crier « Ils ne nous représentent pas », le fait est que droite ou gauche imposent leurs mesures antipopulaires au nom de leur « légitimité » électorale. De même que le Parlement grec vote les plans d’austérité les uns après les autres, même cerné par les manifestants qui scandent eux aussi « Ils ne nous représentent pas ». Nous le répétons assez souvent : les élections servent à déléguer et non à participer aux décisions (illusion de la démocratie bourgeoise). Aux législatives de mai 2011, les électeurs espagnols, écœurés par les mesures prises ces dernières années par le PSOE, ont rejeté le gouvernement Zapatero, mais n’attendaient pas grand-chose du candidat de droite (Rajoy) qui n’avait d’ailleurs pas promis grand-chose. C’est du dernier chic : « Je ne vous promets rien, si ce n’est que vous fassiez encore plus d’efforts, que vous vous serriez encore plus la ceinture », pourraient-ils tous nous dire en substance. (Du sang et des larmes quoi…) « Plus de promesses, vous avez compris que je ne pourrai pas les tenir, mais faut être sérieux, continuez de voter, il vous faut des représentants. »
Les anarcho-syndicalistes espagnols rappellent que les véritables représentants des travailleurs se trouvent dans leurs organisations de classe et non pas au Parlement (où l’on ne trouve aucun ouvrier ou paysan). Mais encore faudrait-il que ces organisations de classe aient toujours comme but l’abolition du salariat. Nos camarades espagnols appellent à la riposte contre la nouvelle « réforme » du Code du travail, qui donne aux employeurs toute liberté pour procéder à des licenciements collectifs sans autorisation administrative, en réduisant considérablement le montant des indemnisations, voire en les supprimant entièrement pour un embauché pendant sa période d’essai qui passe de six à douze mois, etc.
La seule réponse à opposer à ces mesures est la lutte et l’occupation des entreprises et de la rue. Là, on peut voir qui, des politiques et syndicats institutionnels ou des organisations de classe révolutionnaires, sont les véritables représentants des travailleurs. Les possédants, eux, misent toujours sur la peur des exploités. Peur de perdre son emploi pour celui ou celle qui en a un, et nécessité d’en obtenir un pour celui ou celle qui est au chômage. Ils misent d’autant plus sur cette peur des exploités, qu’ils peuvent compter sur les « représentants » des syndicats institutionnels pour faire avaler toutes leurs décisions puisque « c’est la crise, on n’y peut rien, il faut bien accepter de faire des sacrifices ». À noter que c’est toujours aux plus pauvres de faire des sacrifices. (Normal, ils sont les plus nombreux !) Mais, comme ne le cachent même plus nombre de dirigeants, toutes les mesures en cours ne seront pas suffisantes. Il en faudra d’autres et encore d’autres. Le système capitaliste n’a pas l’intention de céder la place, et il n’est pas – quoiqu’en disent certains – en fin de course ; simplement, il mue. Les exploités doivent-ils l’aider à muer, à se transformer, à se relancer ? Ou bien est-il temps de dire basta, de s’y opposer pour se diriger vers sa suppression ? Les anarcho-syndicalistes espagnols font le même choix qu’il y a un siècle : s’organiser, se mobiliser dans l’action, et redonner sa force au mouvement ouvrier pour toujours lutter et aller de l’avant vers la société autogestionnaire, sociale et libertaire.