Cora Vaucaire : un petit peu de nous (1)

mis en ligne le 13 octobre 2011
1646Vauclaire« Quand je chante quelque chose, c’est comme si je touchais les mots pour le dire. » C’est si vrai que Cora a, de même, touché les coeurs au plus profond et laisse un souvenir vivace. Ce qui frappe d’emblée chez cette interprète à nulle autre pareille, c’est la subtilité dans l’expression des sentiments, son goût pour l’exigence, son infini respect pour le public comme pour les auteurs et les compositeurs qu’elle avait choisis souvent à l’encontre des modes et des chapelles.
Si aujourd’hui Le Monde libertaire lui rend ici hommage c’est parce que Cora Vaucaire a porté haut les couleurs de la dignité humaine. Ainsi son « art unique et indémodable […] appartient à un autre temps, celui de l’authenticité », comme l’a écrit Jean-Claude Hemmerlin 2.
Authentique, en effet, son engagement en faveur d’une chanson qui sait refléter les méandres de l’âme, les aspirations élevées, la tendresse, la générosité… Interprète parmi les plus sensibles du Temps des cerises, Cora avait répondu aux invitations de Radio libertaire et avait offert son concours aux galas de soutien organisés par la Fédération anarchiste. Très tôt, Cora a défendu l’œuvre d’artistes au succès naissant (Barbara, Brassens, Jacques Debronckart) voire plus affirmé : Maurice Fanon, Francis Lemarque, Jean-Roger Caussimon, Anne Sylvestre ou Pierre Louki). Elle a célébré Gaston Couté (Va danser) et Francis Carco dont elle reprendra en présence de Fréhel La Chanson tendre lors d’un concours présidé par Edith Piaf à l’ABC.
L’univers Prévert attire Cora Vaucaire ; elle émeut plusieurs générations, sur scène comme au disque 3. Elle fut la première interprète à ressusciter les chansons oubliées du folklore : La Complainte du Roy Renaud, Le Prisonnier de Nantes, Le Roi a fait battre tambour, La Rose et le lilas. Pour ce faire, la chanteuse a su utiliser les ressources qu’offre la radio, terreau fertile en expérimentations audacieuses. En ces années d’après-guerre on diffusait encore peu de disques ; chanteurs et musiciens se produisaient en direct. Sans retouche. À la même époque fleurissent les cabarets parmi lesquels l’Histoire retiendra l’Écluse
Cora y chantera La Vie d’artiste, fraîchement achevée. Et puis, un beau jour de 1956, Léo Ferré téléphone de Belgique à son interprète pour qu’elle lui succède dans un cabaret bruxellois. Préservée grâce au disque, la version d’Avec le temps reste un moment inoubliable. Commence la période des voyages. En tournée au Canada français, elle partage la vedette avec Félix Leclerc. Elle enregistre à Paris Noces d’or de Jean-Pierre Ferland. Dès 1957, elle gravait Quand les hommes vivront d’amour qui n’apportera qu’en 1974 à Raymond Lévesque la reconnaissance inattendue du Québec. Les années quatre-vingt voient une fascination réciproque entre France et Japon : l’ambassadrice a du charme. Triomphe. En témoignent deux albums réalisés en public à Tokyo et parus respectivement en 1981 et 1982.
La créatrice des Feuilles mortes s’est éteinte à Paris le 17 septembre 2011 à l’âge de 93 ans. Elle avait débuté dès 1938 dans une boîte montmartroise et chantait Margaret vous aime bien de Jamblan et Coquatrix, ajoutant bientôt à son répertoire Charles Trenet, Jean Tranchant, Mireille… Dans les années cinquante, elle avait encore innové en instituant la formule des « chansons à la carte ». Après avoir coché une liste de soixante chansons, chaque spectateur pouvait espérer « voir » chanter la chanson de son choix. Prouesse rarement égalée. Et renouvelée jusqu’aux années soixante-dix… Notamment lors de sa rentrée au théâtre Montparnasse où les suppliques fusaient de toutes parts.
En février 1991 4, Cora Vaucaire déclarait : « La saison prochaine, j’espère bien une scène parisienne […] Moi, je voudrais aller au TLP Déjazet [Théâtre libertaire parisien]. Déjazet. Parce que j’y trouverai un public varié. J’y ai déjà chanté et c’est là que je voudrais repasser. C’est vraiment un théâtre pour la chanson. Il remplacera Bobino. » L’occasion de saluer ici Hervé Trinquier et toute l’équipe qui animèrent ce lieu devenu une référence dans la chanson française.
1992 : dans la foulée d’une série de récitals au TLP Déjazet, Cora Vaucaire, toujours accompagnée par le pianiste Michel Frantz, se produit pour la première fois à l’Olympia. Jean-Michel Boris, directeur de la salle parisienne, avait tenu sa promesse de réparer un oubli pour le moins incompréhensible… Au critique littéraire Gilles Costaz 5, Cora Vaucaire confiait ceci : « La chanson passe pour un art mineur, je me demande bien pourquoi. Je crois, au contraire que c’est un art très complet, car il faut bien du talent pour écrire une vraie chanson. En trois minutes on doit exprimer toute la tendresse, le désespoir, toute la joie et les regrets, tout l’amour du monde ; et il doit y avoir une fameuse ligne mélodique que chacun pourra fredonner. »

Laurent Gharibian (merci à Thierry Porré)



(1). Chanson signée Michel Vaucaire et Jean-Michel Arnaud.
2. Livret du CD réalisé en public à la Comédie des Champs-Élysées ; « Cora Vaucaire 91 ».
3. Le double enregistrement de 1966 reçoit la même année le Grand Prix in honorem de l’Académie Charles Cros.
4. Revue Je chante n° 3 – Réédition 1996. Interview : Raoul Bellaïche et Dany Lallemand.
5. Auteur de Cora Vaucaire, collections « Chansons d’aujourd’hui », éditions Seghers, 1973.