Camus : les libertaires et la non-violence

mis en ligne le 5 juin 2010
Le 4 janvier 1960, Albert Camus décédait dans un accident de voiture. Pour le cinquantième anniversaire de sa mort, les hommages sont nombreux, les tentatives de récupération également. Le summum était atteint par la tentative de « panthéonisation » menée par Nicolas Sarkozy. Le transfert au Panthéon des restes de Camus a été heureusement évité, grâce à l’opposition formelle de son fils Jean. Mais ce n’est pas fini. En 2013, Marseille sera capitale européenne de la culture et elle fera de Camus sa « figure tutélaire ». Opéra, ballet, colloque, exposition et même matchs de football seront alors organisés. Tout cela contribuera à montrer un Camus totalement aseptisé. Ces manifestations feront tout leur possible pour ne pas parler du lien qui unissait Camus avec les libertaires. Ces relations ont été mises en évidence par Lou Marin dans un ouvrage paru en 2008 1. La même année, un colloque était organisé sur ce thème à Lourmarin 2, ce village du Vaucluse où Camus avait acheté une maison avec l’argent qu’il avait reçu pour le prix Nobel et où il a été enterré. Le 4 janvier 2010, les éditions Égrégores et Indigène Éditions organisaient une rencontre au théâtre Toursky de Marseille, intitulée Albert Camus avec les libertaires. Des textes de Camus ont été lus par Richard Martin, Aïcha Sif et Benjamin Barou-Crossman. Claire Auzias a parlé de son expérience d’éditrice des textes libertaires de Camus. Jean-Pierre Barou a évoqué le débat entre Camus et Sartre à propos du terrorisme. L’intervention de Lou Marin, Camus et sa critique libertaire de la violence, est aussi le titre de la brochure qui est parue récemment chez Indigène éditions 3. L’auteur a milité à partir de 1979 dans le mouvement antinucléaire en Allemagne. Il participe à la revue anarchiste non violente Graswurzelrevolution et est un membre actif du Cira (Centre international de recherches sur l’anarchisme) de Marseille. Son pseudonyme est un hommage évident à Albert Camus qui s’est longtemps interrogé sur l’utilisation de la violence. Il a toujours été partisan de la liberté des peuples de la Hongrie à l’Algérie, en passant par la Tchécoslovaquie et l’Espagne. Pendant la Résistance, il avait appris la contre-violence, mais contre son gré. Il était conscient des contradictions qui peuvent exister entre la nécessité de la lutte des peuples et son désir de non-violence. Il écrivait « la violence est à la fois nécessaire et injustifiable » mais aussi « la non-violence est souhaitable mais utopique ». Son soutien aux luttes des objecteurs de conscience est ancien. Dès 1949, il refuse « toute légitimation de la violence ». Pour changer les choses, il ne faut plus tuer celui qui détient le pouvoir. Produire de nouvelles victimes ne sert à rien. La révolution doit être fidèle aux valeurs de la révolte et défendre la vie. En 1955, il rédige un hommage à Gandhi et en 1958 il souhaite que les méthodes de cet homme politique indien soient appliquées par les militants algériens. À la fin de sa vie, Camus critiquait la double dimension de la violence : celle du capitalisme et celle des mouvements révolutionnaires. Il avait développé cette attitude en dialoguant avec les libertaires et avait toujours en tête l’idée d’une révolution non sanglante.



1. Albert Camus et les libertaires (1948-1960) : écrits rassemblés par Lou Marin. Marseille : Égrégores, 2008. 361 pages. 15 euros.
2. Le don de la liberté : les relations d’Albert Camus avec les libertaires. Lourmarin : Rencontres méditerranéennes Albert Camus, 2009. 163 pages + 1 disque audio. 18 euros.
3. Camus et sa critique libertaire de la violence par Lou Marin. Montpellier : Indigène, 2010. 24 pages. 3 euros.