Quièn son los culpables ?
Soit dit en passant, aucune sirène officielle n'a décrété de minutes de silence lorsque les bombes des alliés de l'État espagnol sont tombées sur les villes irakiennes, malgré nos plus vives protestations à la guerre, dans la rue et partout sur la planète. Nous ne prendrons donc pas part aux minutes de mascarade institutionnelle.
Une chose est certaine, les victimes sont à compter dans les classes populaires. Encore une fois, ceux qui sont frappés dans leur chair et dans leur âme et conscience, c'est nous, les prolos.
C'est comme si quelqu'un avait voulu se venger de ce peuple qui, vingt-huit ans après le règne terrible de Franco, s'oppose fièrement à l'injustice commise par l'État qui le domine. Il se lève contre la guerre en Irak... On le frappe à coup de bombes ! La déduction n'est pas simpliste.
Quels que soient les responsables qui seront désignés au lynchage médiatique et à la pâture des juridictions d'exception (c'est peut-être ce qui arrivera, d'ici à ce que cet article parvienne à vos yeux de lecteurs), il faudra se rappeler que l'État espagnol a la fâcheuse habitude de savoir choisir ses coupables parmi les innocents qui l'arrangent.
Les soupçons se concrétiseront peut-être sur l'ETA. C'est absurde. Un tel acte équivaudrait à un suicide politique. L'organisation cherche justement à raffermir ses bases populaires, et personne ne lui pardonnerait ce crime, y compris au Pays basque.
On invoquera al-Qaïda, à tort ou à raison. Mais outre le fait que le gain politique de cette opération risque d'être tout autre que le gain superficiel constitué par la sanction du gouvernement Aznar au scrutin législatif (la social-démocratie espagnole, à l'instar de toutes les autres, s'accommode fort bien de ses alternances), on se souvient aussi que la puissance de l'organisation islamiste provient de la volonté active de la CIA et de l'État nord-américain, allié de l'Espagne. Quant à G.W. Bush et Ben Laden, ils ont, en quelque sorte, joué dans les mêmes cours pendant leur enfance, leurs familles respectives étant alliées en affaires. Or, qui doutera que l'ombre du 11 septembre plane sur cette affaire ? Et comme la course pour les présidentielles aux États-Unis est entamée, les mauvaises langues constatent que décidément, al-Qaïda fait toujours parler d'elle au moment où ça arrange Bush.
S'il s'avère exact que les barbus ont fait ça, il faudra se défendre contre les manipulations ! Celles-ci consisteront particulièrement à replier les minorités ethniques ou religieuses vers le communautarisme, notamment les musulmans, bien implantés en Espagne. Pas de soucis pour Aznar, les pétro-dollars du clan Bush lui assureront peut-être l'accès au paradis des cyniques.
Alors que les grands médias de la pensée unique se plaignent de l'insistance des ministres du Parti populaire pour focaliser sur la piste ETA, ces mêmes industries de l'information s'acharnent à ne retenir qu'une seule autre piste : al-Qaïda.
Oh là, c'est trop facile !
D'une part, les attaques de l'ETA sont beaucoup plus ciblées. La police est prévenue lorsque des lieux publics sont concernés.
D'autre part, les fondamentalistes utilisent des kamikazes pour leurs causes sacrées. Il n'est certain, ni que les revendications soient exemptes de doutes, ni que les preuves ne soient le produit de montages.
Car cet attentat nous remémore d'autres souvenirs tragiques.
En Italie, le 2 août 1980, une bombe explose à la gare de Bologne, causant 85 morts et 200 blessés. À l'époque, l'État italien et les médias ne comptabilisaient qu'une seule piste : les Brigades rouges. Depuis, il a été prouvé que l'attentat fut commandité par les services secrets italiens (sous pilotage américain), et que l'opération fut réalisée en association avec l'extrême droite italienne et la mafia. Ce fut l'un des épisodes de la « stratégie de la tension », utilisée pour débarrasser l'Italie du « communisme international ». Notez bien que la stratégie de la tension a été réactivée depuis les événements de Gênes contre le G8, en juillet 2001.
Hormis les mobilisations très massives contre la guerre, toute l'Espagne est traversée par une certaine agitation sociale. Des rassemblements importants ont ponctué les rendez-vous de Barcelone et Séville contre la mondialisation. Mais, surtout, la marée noire en Galice a dressé en bloc la population contre son gouvernement. Autre chose, les Espagnols sont tous conscients, et déjà inquiets, que l'année prochaine le robinet des aides et subventions européennes (mesures relatives à l'intégration de leur économie, comme pour le Portugal ou la Grèce) sera coupé pour être rouvert dans les pays de l'Est qui rejoignent la CEE. Finit le soutien privilégié de la politique agricole et des projets industriels. Le prix des tomates espagnoles va grimper, et les délocalisations vont pleuvoir.
Comme dans toutes les puissances occidentales, pour contenir les populations, on y entretient la paranoïa sécuritaire, et l'on y réprime toute velléité de contestation sociale. L'attentat de Madrid sera l'occasion pour les classes dominantes de serrer la vis répressive un peu plus encore. Oui, le peuple espagnol n'a pas fini de subir les conséquences de ces explosions. À ce titre aussi, nous sommes solidaires avec lui.
Solidaires comme victimes de la guerre de classe engagée par la bourgeoisie contre les pauvres. Car nous allons tous subir les traités internationaux de coopération contre le terrorisme.
Lorsqu'on enquête sur un crime, il est judicieux de se poser la question : « À qui profite-t-il ? » Ainsi, l'histoire nous enseigne que diverses hypothèses sont probables.
La piste d'al-Qaïda sera probablement retenue. Nul doute que le Frente Esquerra (extrême droite phalangiste), dans sa croisade pour la chrétienté, en ressortira renforcé, en même temps que le fondamentalisme musulman. Et ceux qui gagneront le plus : les tenants du capitalisme et de son ordre sécuritaire.
Si la littérature de Noam Chomsky était enseignée dans les écoles, les collégiens sauraient tous et toutes que le terrorisme, c'est le système économique et la politique des États pour l'imposer. Les foules se masseraient alors face aux palais de leurs gouvernements respectifs, posant la question avec colère : « Quièn son los culpables ? ».
À l'exemple du peuple algérien, confronté au « terrorisme islamiste » extraordinairement sanguinaire, et qui demande en chœur à Boutéflika : « Qui tue qui ? », montrant par là qu'il sait que le GIA est une fabrication de l'État algérien.
Errant solidaire