« J'suis pas un imbécile, j'suis douanier ! »
Avec Paulo, on va toujours au café du Commerce, juste à côté de la statue d'un ancien que même les vieux n'ont pas connu, Là, j'y paie un apéro, et Paulo régale à son tour, et on cause de ceci et de cela...
Mardi, Paulo, qu'avait vu une émission à la télé sur le voile que portent des gamines embrigadées par des barbus intégristes, y est allé de ses réflexions et commentaires. J'écoute toujours Paulo avec attention, d'abord parce qu'il a été douanier, et aussi parce qu'on a tous les deux la laïcité dans le sang. Bien sûr, moi j'ai envoyé mes drôles à la laïque, et Paulo les siens à la Saint-Jean-Baptiste-de-la-Salle, mais ça change rien à nos idées. Faut pas de curés dans les écoles !
Le voile, c'est un problème pour les instits, et j'avoue avoir tendance à vouloir résoudre ce satané problème à coups de pied dans le cul. Paulo, qui réfléchit plus que moi, a essayé de m'éclairer.
« La laïque, qu'il m'a dit, faut qu'a s'adapte au monde d'aujourd'hui, aussi faut qu'a réfléchisse. Tu vois, Jean-Claude, y'a des choses qui sont raisonnables et faut les accepter à l'école, et puis y'a des choses pas raisonnables, et alors là faut être in-trai-ta-ble ! Tu comprends ? »
Paulo a vu que je comprenais pas grand-chose à son histoire alors il m'a expliqué un peu :
« Quand un gamin de 12 ans refuse de manger du porc, un truc qu'est contraire à sa religion, c'est une position raisonnable et on doit l'écouter. Par contre, si y'veut pas manger son steak parce que la fourchette a touché du porc la semaine d'avant, alors là c'est une connerie, c'est pas raisonnable, et faut y dire merde ! »
« Bon, qu'i'm'a dit, tu sembles pas avoir percuté. J'explique autrement : une 'tite gamine qui vient à l'école avec un voile, ça c'est raisonnable puisque c'est par respect pour sa religion, mais si a'vient avec un chahdort, c'est pas raisonnable, et alors là faut la virer ! »
Sur ce, je suis rentré à la maison et j'ai cogité sur les expliqu's de Paulo qui sont quand même pas faciles à comprendre...
Le samedi, j'avais ma fille à la maison. Elle a deux gamins et, comme moi, quand elle était môme, elle militait à la FCPE pour que notre école elle reste une école ouverte à toutes et à tous sans question d'argent, de couleur, de religion et autres couillonnades.
Comme elle a fait des études par-delà le Bac, jusqu'à l'université, je lui ai demandé de m'expliquer le truc de Paulo qui depuis quatre jours me tournait dans la tête sans que j'arrive à m'y retrouver.
Tout d'un coup, elle s'est levée, a ouvert son sac et en a sorti un numéro de la Revue des parents, le magazine de la FCPE. Elle l'a ouvert à la page 24 et elle m'a dit :
« Il est pas con ton copain Paulo, Jean Baubérot, qui est auteur d'une dizaine d'ouvrages sur la laïcité et le protestantisme, directeur d'études, titulaire de la chaire "Histoire et sociologie de la laïcité" à l'École pratique des hautes études (Sorbonne), directeur du Groupe de sociologie des religions et de la laïcité du CNRS-EPH, membre de la commission Stati, mise en place par le président de la République pour réfléchir sur la laïcité, et aussi protestant engagé, développe exactement la même idée dans le dossier qui lui est consacré. »
Alors, là, je suis tombé sur le cul. Mon pote Paulo, il aurait bien pu être contacté par Jacques Chirac lui-même pour réfléchir et faire des propositions concrètes afin de moderniser nos vieux principes laïques.
Y'a pas à dire, c'est pas pour rien que Paulo était douanier...
Demain, j'y raconterai tout ça, devant un petit Martini blanc, au café du Commerce...
Jean-Claude, groupe Poulaille