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Luttes syndicales
par Bébert le 18 juin 2016

Les âneries habituelles sur les « privilèges » des cheminots qu’on ressort à chaque fois qu’ils font grève

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A chaque fois que les cheminots se mettent en grève, on entend certaines personnes qui remettent sur le tapis cette fameuse « prime charbon » qui serait illustrative des revendications absurdes, rétrogrades et exorbitantes des agents de la SNCF. Or cette « prime charbon » – que ne touchaient que les conducteurs, c’est-à-dire une infime partie des salariés de la SNCF – n’existe plus depuis les années 1970, depuis que les locomotives à vapeur ont cessé de rouler. La dernière loco à vapeur a roulé en 1974.



Il y a aussi cette rumeur selon laquelle les cheminots toucheraient des « primes en tout genre ». Or il y a souvent un malentendu sur les termes employés. A la SNCF, la « prime de travail » n’est pas une « prime » accordée pour avoir travaillé (!!!) : la « prime de travail » dans le jargon de l’entreprise, c’est… tout simplement le salaire. Alors, à moins de considérer que le salaire est un privilège… (mais on va y venir…)
Comme tout le monde, les cheminots ont droit à des congés payés, au 13e mois, qui s’appelle à la SNCF « prime de fin d’année » qui corresponde de fait à 2/3 du salaire moyen (payé le 17 décembre).
Et puis ils bénéficient d’un privilège exorbitant : une « gratification de vacances » d’environ… 15 euros par mois. C’est pas avec ça que nos « privilégiés » pourront fréquenter les mêmes lieux de vacances que les patrons du CAC 40 ou que les commissaires européens…
Les personnels roulants ont également droit à une « prime de parcours » correspondant à la distance parcourue. Et comme dans pas mal d’entreprises, ils ont aussi un « dividende salarial », c’est-à-dire un intéressement d’environ 350 euros par an et par salarié, après abattement fiscal : mais ce « dividende salarial » avait baissé de 9% en 2013 et de 14% en 2014. Mais tout ça est inclus dans le calcul du salaire moyen.
Quant à la « prime pour absence de primes » qui revient régulièrement sur le tapis – une prime que toucheraient les malheureux salariés de la SNCF qui ne bénéficieraient pas des privilèges « exorbitants » des « roulants » –, elle fait également partie des légendes urbaines offertes à la crédulité d’un public (ou des médias). Cette « prime pour absence de primes », ainsi que la « prime charbon », semblaient tellement imprégner l’esprit du public que les cheminots avaient fini par rendre publiques leurs feuilles de paie pour prouver qu’elles relevaient du fantasme. Fantasme confirmé d’ailleurs par la direction de la communication de la SNCF.

Alors, les cheminots sont-ils des « privilégiés » ?
On présente souvent, par exemple, le salaire des conducteurs de TGV comme l’exemple du privilège accordé aux salariés de la SNCF. Précisons que les conducteurs de TGV sont au nombre de 1 800, par rapport aux 14 500 conducteurs de la SNCF et aux 155 000 salariés du groupe.
Ces conducteurs de TGV gagnent entre 2 400 en début de carrière et 3 300 euros brut par mois en fin de carrière, tout compris : (traitement + prime traction + éléments variables de soldes c’est à dire horaires de nuits (2,70 euros par heure), horaires de dimanche et fériés (4,50 euros par heure), repos hors résidence.
Les primes représentent environ 30% du salaire total.
Le salaire moyen de la SNCF était de 2 890 euros en 2012. A titre de comparaison, le salaire moyen de l’ensemble des salariés en France est de 2 410 euros. Mais il faut savoir qu’il y a dans l’entreprise une proportion importante de cadres, qui est en augmentation : le taux d’encadrement est passé de 1 pour 6,8 agents en 2003 à 1 pour 4,2 agents en 2013, ce qui fait incontestablement monter le salaire moyen. La chute vertigineuse des personnels d’exécution suite à des licenciements de masse ont eu de effets, principalement : a) L’accroissement important des collèges maîtrise et cadre qui sont majoritaires à 53% et qui va encore augmenter ; b) La progression de l’UNSA et de la CFDT au détriment de la CGT qui recule et de SUD qui stagne.

Le salaire moyen à la SNCF est fort loin des 20 832 euros d’un commissaire européen, salaire auquel il faut ajouter 3 124,9 euros d’allocation de résidence + 607,71 euros de « frais de représentation » (???) soit 24 565,15 euros par mois. A cela il faut ajouter 41 665 euros de prise de fonctions et 20 832 euros d’indemnité de départ. En outre, les fonctionnaires européens ne paient pas d’impôts dans leur pays mais des impôts communautaires beaucoup moins importants. Enfin, à partir de 65 ans, les anciens commissaires de Bruxelles touchent une retraite calculée sur la base de 4,275% du salaire de base pour chaque année passée comme commissaire. « Si M. Moscovici, 57 ans, se contente de son mandat de cinq ans pour sa carrière européenne, il pourrait donc toucher une pension de retraite mensuelle de 4 452,84 euros. » [note]

Apparemment Moscovici ne devait pas être à l’aise dans ses baskets car il a démenti toucher un tel salaire, ce qui est d’autant plus con que les revenus des commissaires européens sont parfaitement accessibles au public. Ce sont ces gens-là qui expliquent aux salariés européens qu’ils gagnent trop.

Encore une légende urbaine : les cheminots ne travaillent pas 25 heures par semaine. Tout le monde à la SNCF est soumis aux mêmes réglementations qu’ailleurs sur les 35 heures. Mais il faut savoir que les trains fonctionnent 24 heures sur 24 toute l’année. Ça implique des aménagements d’horaires intégrant les nuits, les samedis, dimanches et les jours fériés pour tous les salariés, roulants (environ 30 000 personnes) comme sédentaires. Certains salariés sont contraints de prendre leurs repos hors de leur domicile. Si vous étiez coincés contre votre gré une nuit à Brive-La-Gaillarde à cause de votre boulot, vous considéreriez ça comme du travail, ou pas ? Un « découcher », comme on appelle ça, vous donne droit à 72 euros d’allocation pour les repas et la nuit passée en dehors de chez vous. Les conducteurs de TGV sont soumis à des roulements hyperproductifs et peuvent faire jusqu’à 10 découchers par mois !

« La retraite à 50 ans » ? Il y avait une obligation de départ à 50 ans pour les conducteurs de train. Sinon, c’était 55 ans pour les autres. Mais ceux qui mettent le doigt sur cette clause omettent en général de dire que les cheminots cotisent 0,85% de plus que les autres salariés. Certes, 0,85% ce n’est pas beaucoup, mais calculez sur 40 ans… En outre, les cheminots touchent une retraite minorée par rapport au taux plein. Depuis des réformes introduites en 2008 (allongement de la durée de cotisation) et 2010 (suppression de l’obligation de départ), l’âge de départ est de 52 ans pour les conducteurs et 57 ans pour les agents en service sédentaire – à condition d’avoir été embauché avant l’âge de 31 ans. Pour les autres, ils relèvent du régime général.

Je fais une digression. J’aime bien les digressions, je ne sais pas pourquoi.
Il y avait au International Herald Tribune, un journal états-unien publié en France, un journaliste qui ne cessait de dégoiser sur le système d’assurance maladie français, qui « coûtait cher à l’État », qui « entravait la compétitivité des entreprises » et toute cette sorte de conneries diffusées par les néolibéraux. Ce genre d’argument était particulièrement con parce que la sécurité sociale ne coûte absolument rien à l’État, puisque les parties qui en alimentent les caisses sont d’une part les salariés, d’autre part les employeurs.
En plus, l’État doit énormément d’argent à la Sécurité sociale : en comptant les exonérations de cotisations accordées aux entreprises, les arriérés de cotisations sociales que l’État ne paie pas, cela fait plusieurs milliards d’euros. Sachant que l’État ne remboursera sans doute jamais, on peut dire que la Sécurité sociale contribue à financer l’État, dont les dirigeants, de droite comme de gauche, essaient de nous culpabiliser à cause du « trou » de la Sécurité sociale !!!
Or on entend souvent des abrutis de commentateurs soi-disant avisés nous sortir l’argument de la Sécurité sociale qui « coûte cher à l’État ». C’est complètement faux.

A l’origine, la Sécurité sociale était indépendante de L’État. En fait, le budget de la Sécu est à peu près égal à celui de l’État (il a longtemps été de loin supérieur), et son déficit est inférieur, et de beaucoup, à celui de l’État. A un moment où les instances européennes ont commencé à exiger que le déficit des États membres ne dépasse pas un certain seuil, le gouvernement français a décidé d’intégrer le budget de la Sécu à celui de l’État, de manière à faire baisser, en valeur relative, le déficit du budget de l’État. Mais si une telle opération a été possible, c’est parce que le déficit de la Sécurité sociale était considérablement moins important que celui de l’État ! Ça montre à quel point est stupide l’argument selon lequel la Sécu « coûte cher à l’État ». Il n’est pas facile d’obtenir des informations sur le budget de la Sécu : sur Internet, si vous tapez « Budget de la Sécurité sociale » vous tombez systématiquement sur « Déficit de la Sécurité sociale », et ce déficit est donné en valeur absolue, jamais en pourcentage. X milliards d’euros, ouille ouille ouille, c’est du sérieux. Et puis on se sent vachement coupable. Peut-être aurais-je dû me faire opérer de la prostate à vif, on aurait économisé sur l’anesthésie et j’aurai sauvé la Sécu !
Or ce déficit est que dalle, à peine plus de 3,7%, alors que celui de L’État est de 25% ! Or jamais, lorsque les médias parlent du « trou » de la sécu, on ne donne l’information en pourcentages.

Je digresse, je digresse, et j’oublie mon journaliste du International Herald Tribune. Donc, après avoir expliqué (ou à force d’avoir expliqué…) en quoi notre système de sécurité sociale était néfaste, pas de pot, il attrape le cancer. Comme il était salarié d’une entreprise qui relevait du droit du travail français (celui que notre gouvernement socialiste veut détruire), qu’il y avait à l’époque des visites médicales obligatoires dans les entreprises, il a été dépisté à temps et ses soins ont été entièrement pris en charge par la Sécu (qui ne coûte rien à l’État). Il a donc été guéri, après quoi il a expliqué (c’est la moindre des choses) dans un article de son journal ce que ça lui aurait coûté s’il s’était trouvé aux États-Unis : il aurait dû emprunter, vendre sa maison, etc. Bref, la cata.

Bon, de quoi je parlais, déjà ? Ah oui, des cheminots.
Il y en a qui s’indigneraient presque que les cheminots aient une prise en charge médicale à 100 %. Mais en France les salariés bénéficient de la Sécurité sociale et d’un système de protection complémentaire qu’on appelle des mutuelles. Ça ne concerne pas que la SNCF, c’est comme ça partout. Cela rend les soins médicaux pratiquement gratuits. En outre, en France, la sécurité sociale prend en charge à 100% un certain nombre de maladies graves, comme le diabète, le cancer, etc. Ça ne concerne pas que les cheminots.

Plutôt que de s’indigner que telle catégorie de salariés bénéficie, prétendument, d’avantages médicaux exorbitants, les commentateurs devraient plutôt s’attacher aux problèmes rencontrés par les nombreuses personnes qui passent entre les mailles des filets de protection qui ont été établis et qui ne se soignent pas parce qu’elles n’en ont pas les moyens.
PAR : Bébert
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