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par Nestor Potkine le 19 octobre 2023

CONTRE L’ÉTIQUETAGE

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ARTICLE EXTRAIT DU MONDE LIBERTAIRE PAPIER NOVEMBRE 2023 NUMÉRO 146: CINQUANTE NUANCES DE RACISME




Très compliquée, la notion d’identité, surtout en ces temps d’autodafés identitaires. On peut certes tout d’abord la croire simple, et la diviser en deux grandes catégories : l’identité donnée ou imposée (en langage compliqué, on dit « hétéronome », c’est-à-dire « qui reçoit de l’extérieur les lois qui la gouvernent ») et l’identité choisie, c’est-à-dire « autonome », c’est-à-dire « qui se donne ses propres lois. »

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Il suffit de quelques secondes de réflexion pour s’apercevoir que c’est à droite, et en particulier à l’extrême-droite, qu’on estime que les seules identités qui vaillent sont les identités hétéronomes. On notera que ces identités sont presque toujours des identités collectives : les Turcs, les Français, les Chrétiens, les serfs… On notera, en outre, que ces identités hétéronomes ont surtout servi, précisément, à imposer des lois, en général scélérates, à des gens qui n’en avaient pas nécessairement envie. Imposer par la violence, bien sûr : la colonisation, la conscription, la dîme, la corvée, l’esclavage, les camps de concentration, voilà quelques conséquences des identités hétéronomes.

L’identité hétéronome est de droite

Ceci explique clairement qu’à gauche on défende souvent la position selon laquelle les meilleures identités sont les identités autonomes, choisies. Une position évidemment populaire chez les anarchistes, qui se veulent par définition internationalistes. Par exemple, pour ma part, si l’on réussissait à me persuader de réduire qui je pense être à un seul mot, et celui-là uniquement topographique, je ne répondrais pas « Européen » ou «  Français » (identités données), mais « Parisien » (identité choisie).

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Mais…
Je viens d’écrire « réduire qui je pense être à un seul mot ».
Voilà que revient la complexité, l’infinie complexité de la si glissante, si fuyante, si traîtresse, si dangereuse notion d’identité.
Comment peut-on avoir l’infernal culot de réduire un être humain à un seul mot ? Et ce culot peut être, voire est très souvent, autonome : tant de gens se réduisent à un mot, ou à une petite suite de quatre ou cinq étiquettes.
Comment oser infliger ou s’infliger, une étiquette, comme si une personne équivalait à un paquet au supermarché : Spaghettis, 500 gr, Biscuits fourrés, 250 gr, Nestor Potkine, 95 kg ?
J’avais quinze ans : je n’oublierai jamais, au lycée, dans une salle moche, grise, vide, cette camarade affalée sur le sol, mâchant son chewing-gum, et me déclarant tout à trac et sans la moindre raison : « Moi, je suis Celte ! ».
Je sentis qu’il eût été mal vu que je lui réponde : « Toutes mes condoléances ».
Qui lit cet article peut se livrer à l’exercice si simple, et si ironique en ce siècle narcissique, consistant à dérouler la liste de ses identités. Ainsi, on peut me dire a minima, selon les circonstances et les interlocuteurs ; Terrien (pas Martien) ; être humain (ni bonobo hélas, ni alligator heureusement) ; Français ; possesseur d’un nom de famille ; fils d’un Cantalou ; arrière-petit-fils d’une Arawak ; Octavon ; Parisien ; voyageur ; lecteur acharné ; bachelier ; guide-interprète auxiliaire définitif (sic) ; conférencier ; polygraphe ; voisin ; habitant du quartier ; cycliste ; piéton ; passager ; anarchiste ; membre de la Fédération Anarchiste ; animateur d’émission à Radio Libertaire ; oncle (je ne suis plus fils, frère, petit-fils, neveu) ; cousin ; athée. 25 identités, au moins !

À chacun tant d’identités

Combien données/imposées, combien choisies ?
On me pardonnera donc si j’ai secrètement envie de gifler quiconque aurait la naïveté de me demander « qui êtes-vous ? » en impliquant clairement que la réponse doit tenir en un seul mot.
On voit aussi qu’en admettant que je ne gifle personne et que je réponde par un seul mot, cette réponse dépend entièrement de qui a posé la question, dans quel contexte, à quel moment. À une douanière dans l’exercice de ses vilaines fonctions, je suis censé répondre « Français » plutôt que « bachelier ». Toutefois, à cette douanière habillée en civil et prenant un expresso au café du coin, je peux répondre par « ton cousin ». Au libraire, chez qui je viens donner une conférence, je réponds « le conférencier de ce soir ». À une nouvelle habitante de mon immeuble, « un voisin ». Aux différents barbus qui voudraient me persuader que Moïse, ou Allah, ou Osama, ou Jésus, sont les sauveurs de l’humanité, je réponds « Athée ».
On voit enfin que plusieurs de ces identités peuvent changer. Je peux changer de nationalité. De nom de famille. De lieu de résidence. De métier. De moyen de transport. D’opinion politique (n’y comptez pas trop). D’opinion religieuse (une éventualité aussi probable qu’Emmanuel M. demandant à entrer à la FA).

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Bref, réduire autrui, ou se réduire soi-même, à un mot, ou même à quatre ou cinq mots, signifie souffrir d’une insigne malhonnêteté intellectuelle, et/ou d’un très blâmable aveuglement, et/ou d’un abyssal manque de compréhension de la variabilité humaine.

D’où trois propositions :
- Affirmer que l’identité est exclusivement donnée, ou intégralement choisie, et, dans les deux cas, réductible à un ou quelques mots, c’est ne pas se placer dans la réalité.
- Faisons preuve d’une grande tolérance devant les identités d’autrui.
- En ce qui concerne les identités que nous présentons à autrui, souvenons-nous que « présenter » une de nos identités à autrui revient à contraindre autrui. Contraindre autrui à ne voir, à n’utiliser que cette étiquette-là, et ce alors que les étiquettes, pas toujours sincères, pas toujours exactes, sont en revanche toujours insuffisantes.

Nestor Potkine (ou Pestor Notkine, ou Keptor Nostine, ou Tepkor Sotnine, ou individuel FA… choisissez !)
PAR : Nestor Potkine
individuel FA
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