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par Gabrielle Negrel le 3 novembre 2018

Marseille, un mur de la honte au cœur de la ville !

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Alerté par des copains anars du quartier de La Plaine à Marseille, Le Monde libertaire relaie un article de Gabrielle Negrel paru le 31 octobre 2018 sur le site Pressenza International Press Agency



Fin de matinée du 11 octobre, date du dernier marché de La Plaine. Trois fois par semaine, 300 forains permettaient à chacun de trouver ce dont il avait besoin à un moindre coût, 10 0000 personnes par jour de marché venaient y faire un tour, qu’ils soient du quartier ou non, pour boire un café aux terrasses entourant la place, rencontrer les copains, manger un sandwich etc. La Plaine est un quartier populaire avec une grande diversité sociale, culturelle créant cette richesse dont nous avons besoin pour « grandir », une grande place avec un jardin pour les enfants, lieu de rencontre des mamans à la sortie des écoles, des petits commerces l’entourent, des artistes y vivent et créent, des structures associatives y agissent, un parking permet de rayonner à pied dans le quartier et autour de celui-ci. La Plaine témoigne de par son histoire ce qu’est Marseille ; une place où la résistance s’est organisée pour soutenir la Commune en 1871, une ville populaire où les classes populaires habitent en son centre. Le quartier de La Plaine en est le poumon avec sa place où tout le monde se croise et la traverse, à pied, à vélo pour aller d’une rue à une autre, d’un quartier à un autre, à deux pas du centre ville, ce qui en fait un lieu dans l’œil des spéculateurs depuis de nombreuses années.



Ce jour du 11 octobre, 30 camions de CRS accompagnés de la BAC (brigade anti-criminalité) se sont installés tout autour de la place pour encadrer le début du chantier dit de «requalification». La présence de la BAC n’est pas anecdotique, l’état d’urgence inscrit dans la constitution française a ouvert les portes de la criminalisation de la contestation, de la militance. Ce jour là, nous nous sommes retrouvé-e-s jeunes et moins jeunes pour faire face aux coups de matraques, aux interpellations et aux gaz lacrymogènes. Depuis 20 jours, La Plaine résiste, malgré les camions de CRS, les gaz lacrymogènes et la violence policière.



Chaque jour, usagers-habitants se retrouvent sur la place pour continuer à la faire vivre, pour organiser la lutte avec l’Assemblée de la Plaine, collectif réunissant des habitants, des usagers et menant la contestation tambour battant depuis 2015. Nous construisons, ils détruisent!

A quoi ressemble ce projet ? Couper la place en deux par une rue, abattre plus d’une centaine d’arbres (alors qu’ils devaient être replantés), beaucoup ont déjà été tronçonnés, parmi eux sept tilleuls abattus par erreur.



Tout cela pour replanter des arbrisseaux et rajouter des brumisateurs mais aussi supprimer les bancs, installer moult caméras de surveillance, créer un petit « marché provençal » traduction : un marché pour touristes, des terrasses à café pour les touristes et les créateurs de richesse dont la ville rêvent pour son centre. En novembre 2003, l’adjoint au maire délégué à l’urbanisme, Claude Valette, déclarait : « On a besoin de gens qui créent de la richesse. Il faut nous débarrasser de la moitié des habitants de la ville. Le cœur de la ville mérite autre chose. » cité par Eric Zemmour (Le Figaro 18 novembre 2003).

Plus rien ne sera gratuit, il faudra toujours avoir le porte-monnaie ouvert et plein, l’usage sera considéré comme une déviance à combattre, la place publique disparaîtra au profit de la consommation et par extension ce quartier populaire mourra. Les travaux dureront trois ans au minimum, beaucoup de petits commerçants actuels n’y survivront pas. Le bruit sera insupportable, certains partiront ce qui permettra l’augmentation des loyers et expulsera ceux qui ont peu de moyens financiers, qui ne correspondent pas à la norme imposée.

Tous les habitants et usagers de La Plaine ne rejoignent pas forcément la contestation, ce qui par contre unit tout le monde est la nécessité de rénover La Plaine. Une rénovation qui doit être faites réellement avec les habitants, en respectant la diversité et l’usage du lieu.

Pourquoi depuis de nombreuses années rien n’a été fait pour améliorer le quartier malgré les demandes des habitants, notamment concernant l’éclairage, comment faire avec les dealers, rénover les écoles ? La réponse est simple, laisser pourrir un quartier est la justification des élus/des spéculateurs pour imposer par la violence leur monde.

M. Gérard Chenoz adjoint au maire et président de la Soleam (Société locale d’équipement et d’aménagement de l’aire marseillaise) dirige les travaux, il affirme : « pour que les gens soient mélangés il faut que certains partent », « les aménagements devront être pensés de manière à interdire tout usage déviant de l’espace », n’hésitant pas à insulter les hommes et les femmes qui défendent une vie de quartier en les traitant de « punks à chien, de casseur ».

Ce qui se passe à la Plaine va au-delà de ce quartier, de cette ville, de ce pays. Ce projet dit de « requalification » est le symbole sombre et triste de cette société déshumanisante, de cette nouvelle façon de concevoir les villes, ce que l’on nomme la « gentrification », c’est à dire chasser les pauvres des centres villes pour y installer les gens qui consomment, considérés comme les créateurs de richesse. Les places publiques, les quartiers populaires n’existeront plus et seront remplacées par des lieux de consommation.



L’image de ce mur de la honte, ce mur de béton haut de 2m50 qui va coûter 340.000 euros et encercler toute la place de La Plaine doit circuler dans le monde entier, ce n’est pas le problème d’un petit quartier isolé mais c’est bien le monde de demain qui se construit par la violence où la pauvreté est chassée à l’extérieur des villes. Ce n’est pas un chantier mais une prison, l’expression d’un acte brutal, violent et du mépris que ces politiques/financiers/spéculateurs ont pour la majorité de la population. Rien n’est prévu pour que les piétons puissent circuler autour de la place, pour permettre aux personnes âgées de se déplacer sans trop de difficulté, pas de panneau, rien.

Voulons-nous vivre dans un monde, un pays, une ville, un quartier « aseptisé » ou rien ne dépasse ni à l’extérieur, ni à l’intérieur et tout se ressemble, un environnement où les arbres vont être remplacés par des brumisateurs. La prochaine étape est-elle que toutes les personnes non normées, qui ne sont pas « les créateurs de richesse » voulus par la société seront décrétés « malade ». Que vont-ils faire de nous ? Nous abattre comme les arbres, abattus parce que soi disant malades ou nous parquer derrière un grand mur de béton haut de 2m50 et nous laisser crever ?

Ce qui se joue aujourd’hui à Marseille, à La Plaine, c’est notre devenir, le devenir des villes, de comment nous allons habiter, comment nous allons être et faire ensemble. A la Plaine une résistance urbaine s’organise, avec les moyens qu’elle a, qu’elle invente.

Le chant de la Plaine résonne chaque jour « Nous sommes tous des enfants de La Plaine ».

Article relayé par Pat de Botul de la Fédération anarchiste
PAR : Gabrielle Negrel
Militante pour la non-violence et les droits humains, Gabrielle Négrel, aide-soignante de formation, a été syndicaliste avant d’écrire pour Pressenza
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