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par Gwenolé Kerdivel et Renaud Auger le 1 février 2021

Une entreprise anarchiste ?

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Le Temps de l’Harmonie à Châtillon-en-Vendelais (35)

Article extrait du Monde libertaire n°1824 de janvier 2021
Genèse
L’un de nous (GK) nourrissait depuis 2015 l’envie de quitter le monde professionnel de l’archéologie, ses impasses et ses déceptions, pour faire un emploi utile et ce malgré un doctorat dans la discipline… Il a d’abord été facteur puis non cédéisé sans autre raison que son militantisme anarchiste et un certain charisme. C’est alors que l’envie lui a pris d’être son propre patron et de n’être plus soumis aux diktats de chefaillons de pacotille dans un emploi insensé…
L’idée initiale anarchiste était de monter un bar adossé à une épicerie de produits locaux en milieu rural sous forme coopérative… Un lieu de lien social, barrage à la désertification des campagnes...





La première difficulté était double : trouver des associé.es et un lieu.
Après un test de reprise de fonds de commerce en 2018 à La Couyère (35), puis à Etrelles (35), son choix s’est porté sur Châtillon-en-Vendelais, où il avait été facteur. Il connaissait un peu l’environnement local. Par ailleurs, l’ouverture récente d’une voie verte aux dépens de la ligne de chemin de fer Vitré-Fougères, l’existence d’une route départementale à mi-chemin entre les deux chefs-lieux de canton, la situation centrale du bled et l’existence d’un lac et d’un camping privé ont achevé de le convaincre de se lancer… Sceptique à cause de la présence d’agréments - Française des Jeux, Pari Mutuel Urbain, débit de Tabac - il a considéré qu’un lieu de lien social et de rassemblement ne devait pas commencer par exclure… Donc, au projet s’ajoutèrent ces trois sources d’addiction que sont les jeux, les paris et le tabac. C’est là qu’en février 2019, le second d’entre nous (RA) rentre dans la danse.

Le montage du projet
Une difficulté majeure est vite apparue : le tabac ne permettait nullement une forme coopérative. L’État-dealer a besoin d’un nom sur lequel taper en cas de besoin. La forme juridique de la société permettant de désigner deux gérants était donc une Société en Nom Collectif. Cela induisait une solidarité dans les dettes nécessitant une grande confiance entre nous. Or, le débit de Tabac impliquait une autre mauvaise blague : l’un des deux gérants devait être majoritaire (toujours ce nom sur lequel taper). L’égalité dans la société était déjà égratignée… Ne serait-ce que parce qu’un complément de retraite était cotisé pour l’associé majoritaire… Solidaire en dettes par la SNC, inégalitaires par le débit de Tabac. Toutefois, la société peut encore fonctionner dans une égalité de fait.
L’autre difficulté a été la recherche de financement : les apports n’étaient pas suffisants pour acheter le fonds et démarrer l’activité. Nous ne nous attarderons pas sur l’inutilité de la Chambre de Commerce et d’Industrie, du mépris avec lequel les banques, les membres d’Initiatives Bretagne ou ceux de Presol ont accueilli notre projet (ces derniers étant normalement là pour aider aux dynamismes entrepreneuriales). Une mention particulière pour les derniers cités, représentant l’économie sociale et solidaire, qui nous ont dit en substance qu’un projet de lieu de culture chez les bouseux ne fonctionnerait pas !
La troisième difficulté était l’existant : nous ne pouvions rien faire sans en tenir compte… Entre autres, notre prédécesseur avait conclu un contrat avec un brasseur et un prêt garanti par ce dernier. Or, nous nous devions d’honorer pendant presque deux ans les termes de ce contrat… Dont écouler des quantités déterminées de bières dudit brasseur… Et, comme le système de pression, la machine à café et celle à glaçons lui appartiennent, nous ne pouvions pas faire ce que nous voulions… Notamment servir de la bière brassée localement… Mauvaise surprise parmi d’autres !

La finalisation du projet
Après avoir obtenu un prêt bancaire et effectué les formations de rigueur, nous avons enfin pu signer le 4 octobre 2019 chez le notaire, pour un début d’activité le 8 octobre. Du projet initial, il ne restait que l’esprit, pour la suite, nos convictions anarchistes devaient faire le reste. D’ailleurs, une bonne partie d’entre elles formaient le cadre de notre pacte d’associés. Nous sommes partis, au début de l’activité, sur l’idée de fabriquer notre propre travail sans les contraintes de l’esclavage salarié. Avec pour objectifs de sortir des revenus, de rembourser nos prêts bancaire et familial et de récupérer les sous mis au départ… Pour le reste, nous souhaitions ne pas avoir de salariés mais plutôt de prendre un(e) associé(e) et d’abandonner le navire le jour venu en quittant la société, et non en la soldant et en vendant le fonds de commerce… Ce qui va à l’encontre du fonctionnement classique des commerçants… Le bar doit nous survivre sur les mêmes bases…
Pour le reste, nous avons démarré dès le début avec une armoire de produits locaux secs (hygiène, pâtés, pâtes, vinaigres, compotes et confitures…). Nous avons introduit peu à peu des produits locaux ou militants dans les boissons (thé et tisane de Scop-TI, de K-Cho-T, bières bouteilles locales), sans tenir compte du catalogue de notre brasseur… La question des prix s’est aussi avérée épineuse… Nous avons donc choisi une faible marge pour les produits de l’épicerie afin de les rendre abordables.




Réalités et perspectives anarchistes
Après treize mois d’activités, nous avons traversé de nombreux problèmes (les derniers en date étant les fermetures administratives à cause d’un virus). Les frictions entre nous ont été fréquentes. La réalité nous a souvent rattrapé. Ainsi, la capacité de travail de l’un n’est pas celle de l’autre, l’autonomie au travail n’est pas une capacité qui s’acquiert en claquant des doigts, les fronts et les objectifs sont abondants (suivi des stocks, rigueur dans les encaissements, recherche de nouveaux fournisseurs, consolidation des services actuels, etc.) et nécessitent rigueur et mise en perspective, les heures travaillées sont nombreuses (entre 55 et 70 heures chacun selon les semaines), pour celui qui vit au-dessus du bar le travail ne s’arrête vraiment jamais, les kilomètres pour venir de l’autre sont plus usants que prévu, etc. Au final, nous ne savons toujours pas si l’entreprise est assez viable pour accueillir une personne supplémentaire qui viendrait réduire un peu nos horaires… Par contre, nous sommes heureux de cette aventure où l’indépendance professionnelle est bien là, malgré une auto-exploitation flagrante…
Pourtant, bien que cela soit compliqué, nous réussissons à nous dégager quelques moments de loisir… Les habitants de Châtillon et des environs, qui forment l’essentiel de notre clientèle, semblent nous avoir adoptés et paraissent satisfaits de l’orientation que nous avons donné au commerce : tant avec les produits locaux qu’avec nos projets culturels. Bien sûr, il reste difficile de satisfaire tout le monde. L’orientation anarchiste du projet est plutôt vécue par eux comme anecdotique. Il nous reste encore beaucoup à faire pour améliorer notre cadre professionnel mais nous restons confiants. Quant aux activités culturelles et d’éducation populaire, âme de ce projet anarchiste, il nous faudra relancer la machine, avortée dans son élan le 14 mars 2020…

Gwenolé Kerdivel et Renaud Auger
Groupe La Sociale de La Fédération anarchiste

PAR : Gwenolé Kerdivel et Renaud Auger
Groupe La Sociale de La Fédération anarchiste
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