Chroniques du temps réel > Travailler confinée...
Chroniques du temps réel
par SC • le 14 avril 2020
Travailler confinée...
Lien permanent : https://monde-libertaire.net/index.php?articlen=4701
Témoignage
Nous publions, et publierons, des témoignages de personnes qui travaillent malgré le confinement, le covid-19 et le mal être qui en découle. Ces témoignages ont été recueillis par le groupe Graine d’Anar de Lyon. Merci à lui.
Travailler confinée…
Depuis maintenant trois semaines, nous expérimentons le travail à distance. Pour moi il s’agit d’essayer d’enseigner la philosophie tout en vivant avec ma tribu, tous les quatre.
Évidemment, le temps de travail s’allonge : il faut préparer des cours compréhensibles sans être en relation directe avec les élèves, inventer des exercices qui leur permettront d’assimiler le raisonnement et de s’approprier les arguments, corriger rapidement ces exercices, en redonner. Il faut repérer les élèves qui n’ont pas accès à la plate-forme de l’Espace Numérique de Travail (ENT), qui n’ont pas d’ordinateur ou de connexion internet, ou qui n’ont tout simplement pas la motivation nécessaire pour continuer à travailler dans ces conditions.
Les inscriptions sur Parcoursup sont désormais terminées, ouf. Il a fallu appeler la quinzaine d’élèves qui n’avaient pas confirmé leurs vœux la veille de la fermeture du serveur, relire et modifier leurs lettres de motivation pour les formations qui en demandent, discuter des dernières hésitations de certain.e.s, rassurer, encourager etc. Mais tout ça derrière un écran d’ordinateur ou au téléphone ! Cette distance modifie tellement nos relations ; je m’aperçois justement combien notre travail d’enseignant est un métier de relation.
J’ai décidé de ne pas faire de classe virtuelle ; d’abord parce qu’avec deux enfants en bas âge, dont un bébé qui découvre la bipédie et les prises électriques, c’était compliqué d’imaginer trouver des plages de deux heures sans être interrompue… Ensuite parce que ce procédé me semble poser au moins autant de problèmes qu’il en résout : tous les élèves n’ont pas la possibilité de suivre le cours en visio- : il faut un accès assez long à l’ordinateur et un espace de tranquillité. Tou.te.s mes élèves n’ont pas cette chance.
Or les classes virtuelles ne peuvent pas être enregistrées : ce qui se passe à ce moment-là n’est plus accessible aux autres. Or un des problèmes des enseignants actuellement est de maintenir une forme d’égalité entre les élèves, alors que le confinement nous replie tou.te.s dans nos bulles privées. J’ai donc décidé de rédiger intégralement les cours pour les poster sur l’Espace Numérique deTravail, où ils resteront disponibles pour chacun.e, le temps qu’il leur faudra pour les consulter. Il faut donc écrire en tentant d’imaginer toutes les objections, les demandes d’exemples, les incompréhensions de chacune, de chacun. Voir en imagination celui-là froncer les sourcils, celle-là éclater de rire, celle-ci produire l’objection qui met par terre l’argument développé…Bref, écrire en me projetant avec elles, avec eux. C’est à la fois passionnant et chronophage.
Le risque est donc l’auto-aliénation au travail. La contrainte intériorisée m’empêche de prendre un repos nécessaire. La vie confinée avec les deux enfants est pourtant déjà une activité à plein temps. Aussi faut-il travailler la nuit, quand ils sont couchés. Donc les nuits sont courtes. Il m’a fallu faire un effort pour cesser de travailler ce week-end, pour la première fois depuis le début du confinement (qui dure depuis 3 semaines au moment de la rédaction de ce texte).
Hier, je ne me suis pas connectée à l’ENT, je n’ai pas ouvert les mails de l’administration, du rectorat, des élèves, des parents d’élèves, des collègues. J’ai respiré en réalisant qu’en décidant de ne pas maintenir l’examen, le ministère nous permettait de nous décharger de la contrainte de clore les programmes.
Il est désormais possible d’employer le temps qu’il nous reste pour développer les cours qui, dans ce temps présent inouï, semblent essentiels : Qu’est-ce qu’une connaissance scientifique ? Pourquoi et comment peut-on se fier aux avis de la communauté experte sans renoncer à son libre arbitre ? Pourquoi les théories complotistes sont-elles si séduisantes ? Pourquoi la connaissance biologique est-elle si difficile à établir ? Miser sur l’immunité collective est-ce là une démarche juste ? Pourquoi le conséquentialisme est-il si problématique quand il se fait politique concrète ? Qu’est-ce que le bien commun ? Pourquoi des services publics ? …
Bref, enseigner la philosophie ne m’a jamais semblé aussi nécessaire et aussi difficile à faire concrètement qu’aujourd’hui. Comme d’habitude, on va inventer des façons de le faire, mais on risque d’y laisser quelques plumes de plus que d’ordinaire.
Travailler confinée…
Depuis maintenant trois semaines, nous expérimentons le travail à distance. Pour moi il s’agit d’essayer d’enseigner la philosophie tout en vivant avec ma tribu, tous les quatre.
Évidemment, le temps de travail s’allonge : il faut préparer des cours compréhensibles sans être en relation directe avec les élèves, inventer des exercices qui leur permettront d’assimiler le raisonnement et de s’approprier les arguments, corriger rapidement ces exercices, en redonner. Il faut repérer les élèves qui n’ont pas accès à la plate-forme de l’Espace Numérique de Travail (ENT), qui n’ont pas d’ordinateur ou de connexion internet, ou qui n’ont tout simplement pas la motivation nécessaire pour continuer à travailler dans ces conditions.
Les inscriptions sur Parcoursup sont désormais terminées, ouf. Il a fallu appeler la quinzaine d’élèves qui n’avaient pas confirmé leurs vœux la veille de la fermeture du serveur, relire et modifier leurs lettres de motivation pour les formations qui en demandent, discuter des dernières hésitations de certain.e.s, rassurer, encourager etc. Mais tout ça derrière un écran d’ordinateur ou au téléphone ! Cette distance modifie tellement nos relations ; je m’aperçois justement combien notre travail d’enseignant est un métier de relation.
J’ai décidé de ne pas faire de classe virtuelle ; d’abord parce qu’avec deux enfants en bas âge, dont un bébé qui découvre la bipédie et les prises électriques, c’était compliqué d’imaginer trouver des plages de deux heures sans être interrompue… Ensuite parce que ce procédé me semble poser au moins autant de problèmes qu’il en résout : tous les élèves n’ont pas la possibilité de suivre le cours en visio- : il faut un accès assez long à l’ordinateur et un espace de tranquillité. Tou.te.s mes élèves n’ont pas cette chance.
Or les classes virtuelles ne peuvent pas être enregistrées : ce qui se passe à ce moment-là n’est plus accessible aux autres. Or un des problèmes des enseignants actuellement est de maintenir une forme d’égalité entre les élèves, alors que le confinement nous replie tou.te.s dans nos bulles privées. J’ai donc décidé de rédiger intégralement les cours pour les poster sur l’Espace Numérique deTravail, où ils resteront disponibles pour chacun.e, le temps qu’il leur faudra pour les consulter. Il faut donc écrire en tentant d’imaginer toutes les objections, les demandes d’exemples, les incompréhensions de chacune, de chacun. Voir en imagination celui-là froncer les sourcils, celle-là éclater de rire, celle-ci produire l’objection qui met par terre l’argument développé…Bref, écrire en me projetant avec elles, avec eux. C’est à la fois passionnant et chronophage.
Le risque est donc l’auto-aliénation au travail. La contrainte intériorisée m’empêche de prendre un repos nécessaire. La vie confinée avec les deux enfants est pourtant déjà une activité à plein temps. Aussi faut-il travailler la nuit, quand ils sont couchés. Donc les nuits sont courtes. Il m’a fallu faire un effort pour cesser de travailler ce week-end, pour la première fois depuis le début du confinement (qui dure depuis 3 semaines au moment de la rédaction de ce texte).
Hier, je ne me suis pas connectée à l’ENT, je n’ai pas ouvert les mails de l’administration, du rectorat, des élèves, des parents d’élèves, des collègues. J’ai respiré en réalisant qu’en décidant de ne pas maintenir l’examen, le ministère nous permettait de nous décharger de la contrainte de clore les programmes.
Il est désormais possible d’employer le temps qu’il nous reste pour développer les cours qui, dans ce temps présent inouï, semblent essentiels : Qu’est-ce qu’une connaissance scientifique ? Pourquoi et comment peut-on se fier aux avis de la communauté experte sans renoncer à son libre arbitre ? Pourquoi les théories complotistes sont-elles si séduisantes ? Pourquoi la connaissance biologique est-elle si difficile à établir ? Miser sur l’immunité collective est-ce là une démarche juste ? Pourquoi le conséquentialisme est-il si problématique quand il se fait politique concrète ? Qu’est-ce que le bien commun ? Pourquoi des services publics ? …
Bref, enseigner la philosophie ne m’a jamais semblé aussi nécessaire et aussi difficile à faire concrètement qu’aujourd’hui. Comme d’habitude, on va inventer des façons de le faire, mais on risque d’y laisser quelques plumes de plus que d’ordinaire.
PAR : SC
SES ARTICLES RÉCENTS :
Réagir à cet article
Écrire un commentaire ...
Poster le commentaire
Annuler