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par Alain Éludut le 11 novembre 2019

Pouvoir et masculinité...

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Article extrait du Monde libertaire n°1810 d’octobre 2019
Face aux revendications des femmes féministes (eh oui, il n’y a pas unanimité !), face aux révélations issues de MeToo ou de BalanceTonPorc qui agissent comme une sidération, il est coutume aujourd’hui d’entendre que les hommes sont menacés dans ce qui les forme, dans l’essence de ce qu’ils sont et qu’il est convenu d’appeler leur masculinité.
Non, tous les hommes ne sont pas des agresseurs sexuels, mais les agresseurs sexuels sont des hommes dans leur écrasante majorité.




Le masculin se définit par la virilité [note] , cette sorte d’idéal forcément sujet à déstabilisation ou remise en cause s’il n’apporte pas régulièrement la démonstration de la force qui l’anime, force physique certes, mais aussi le courage, la volonté, l’autorité et la maîtrise, autant de valeurs de pouvoir qui assurent aux hommes leur domination selon un modèle archaïque [note] . Domination dans le rapport existant entre les femmes et les hommes qui conforte leurs privilèges d’hommes grâce à leur positionnement de mâles virils. Cette prétendue crise du masculin révèle, de fait, une crise du pouvoir masculin sans cesse remis en cause aujourd’hui, chose qui est tout à fait nouvelle, alors que précisément ce pouvoir est connu depuis l’Antiquité mais que les femmes n’ont pas jusqu’à présent réussi à faire basculer. Lors de la Révolution française, l’égalité de pouvoir a été momentanément possible, mais cette ouverture de l’espace public à la fois aux hommes et aux femmes a été très rapidement refermée. Le seul changement significatif à partir du XIXe siècle sera le travail salarié des femmes qui leur apportera une certaine indépendance financière leur permettant d’occuper une partie de l’espace public.

Remise en cause du pouvoir masculin
Aujourd’hui, les hommes se trouvent confrontés à l’émancipation des femmes que certains hommes jugent comme une menace à leur identité masculine, très certainement la peur de perdre les privilèges dont ils jouissent, oubliant ainsi l’égalité qui pourrait en découler, surtout au vu des inégalités salariales (en moyenne 20 % d’écart de salaire entre hommes et femmes), d’accès à des postes à responsabilités, de partage des tâches ménagères et de soins, et d’éducation des enfants au sein des familles. Le film de Patric Jean, La domination masculine (2009), montre l’emprise du déterminisme relatif à la virilité, dont l’aspect social finit par être biologisé et passe pour naturel. On peut imaginer que la véritable égalité se traduirait entre autres par la fin des violences physiques envers les femmes (notamment 130 féminicides en 2017, 74 entre janvier et mi-juillet 2019), mais aussi des violences sous emprise et des violences psychologiques, des agressions sexuelles et des viols (93 000 viols de femmes l’an passé) du fait du respect égalitaire assumé.
Au cours des années 1960, et dans le sillage de Mai 68, des groupes d’hommes se sont formés qui ont tenté de déconstruire la masculinité en interrogeant pratiques et fonctionnement genré des hommes. Ces groupes de paroles non-mixtes ont rapidement été traversés de crises et, malgré leur affirmation à défendre une position pro féministe, ils ont pour certains basculé à défendre une idéologie masculiniste tout en revendiquant liberté et égalité. C’est le risque, toujours présent, de développer un ressentiment à l’égard des femmes quand les hommes se retrouvent entre eux à évoquer leurs expériences et parler de leurs émotions. La plupart de ces groupes ont eu une durée de vie éphémère et n’ont pas su provoquer les ruptures nécessaires pour rejoindre réellement les luttes féministes [note] , bien que certains hommes étaient profondément engagés dans des luttes, comme par exemple la question de la contraception masculine.

Des luttes possibles
Depuis 2011, il existe en France un réseau d’hommes appelé Zéromacho [note] qui propose aux hommes d’approuver et de signer un manifeste. Plus de 3700 hommes répartis dans 64 pays ont ainsi répondu à cet appel dans lequel il s’agit d’affirmer son opposition à la prostitution, en rejetant la culture machiste qui utilise la sexualité pour dominer et asservir, les femmes en particulier. L’un des slogans de ce réseau proclame : « Construisons ensemble un monde où personne n’imaginera acheter l’accès au corps d’autrui ». En France toujours, a été votée le 13 avril 2016, une loi « visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées ». Il s’agit d’une loi abolitionniste dont les débats, qui ont duré trois ans, ont permis de comprendre ce que sont la prostitution et la situation des personnes prostituées, et comment le système prostitutionnel est un système de violence produit par les rapports sociaux de sexe et de domination masculine. Nous sommes bien loin de l’image fantasmée du « libre choix » évoquée régulièrement pour justifier, voire encourager la prostitution.
Cette démarche fondamentale dans la réflexion sur l’égalité et sa mise en pratique dans le quotidien (cohérence entre « le dire et le faire ») n’est cependant qu’un des aspects que revêt la lutte pro féministe. Zéromacho, cité plus haut, souhaiterait élargir son champ de réflexion et d’action sur l’égalité femmes-hommes, mais mesure cependant les difficultés à mobiliser les hommes, bien que ceux-ci, rencontrés lors d’actions publiques, manifestent et encouragent ces positions dans leur grande majorité. Est-ce à dire que les hommes ont des scrupules à s’affranchir des pouvoirs qui leur sont accordés « naturellement » ? Oui, bien sûr, les hommes ont à perdre, non pas en abandonnant leur place hiérarchique supérieure, mais simplement en partageant le pouvoir qui est propre à leur classe de sexe, et donc en mettant tout simplement le pouvoir à bas.
Tous les groupes d’hommes militants, y compris libertaires, sont confrontés à ces enjeux de lutte anti-patriarcale. Des hommes affirment ainsi qu’il y a d’autres oppressions, d’autres chemins de luttes, et qu’une fois encore, les féministes agissent de façon culpabilisante vis-à-vis d’eux [note] . Pour ceux-là, la lutte contre l’État et le capitalisme doit être prioritaire, sous-entendant que l’émancipation viendra après, ou bien viendra naturellement... (ou ne viendra pas, serait-on tenté de s’interroger) : « Les hommes anarchistes, qu’ils soient hétérosexuels, homosexuels ou queer, doivent reconnaître le fait qu’ils appartiennent à la classe dominante, et que les femmes avec qui ils entrent en relation appartiennent à une classe dominée » [note] .

La grande question qui demeure est comment réduire le pouvoir qu’exercent les hommes sur les femmes, individuellement et collectivement, sachant que cette perte de pouvoir des hommes, pour douloureuse qu’elle puisse paraître, est la condition à l’émancipation, à la justice et à l’égalité entre les êtres, en gardant à l’esprit que la lutte engagée s’inscrit dans une lutte contre toutes les dominations, du patriarcat aux religions et au capitalisme, toutes s’alimentant les unes les autres dans un circuit d’asservissement globalisé contre lequel nous nous dressons.

Alain Eludut
Groupe Pierre Besnard

PAR : Alain Éludut
Groupe Pierre Besnard
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le 16 novembre 2019 22:53:34 par rrubbish

D’accord sur tout ( je suis un mec ) mais Comprend pas ce truc abolitionniste sur la prostitution... Ayant apporté mon aide, hébergé, et étant amis avec des gens du travail du sexe ( femmes et hommes ), je trouve ca hallucinant de soutenir la lois socialo de 2016 qui n’est porté pour moi que par le puritanisme d’un état bourgeois qui veut bannir la misère de ses rues.
Pour l’abolition du salariat, voir du système monétaire en général, évidemment !
Contre le traffic humain, évidemment !
Mais des libertaires qui soutiennent des lois répressives, je n’arrive pas à suivre.

J’aurais plutot confiance aux collectifs de terrain vraiment impliqués dans l’amélioration des conditions des prostitué.e.s, comme sur Besançon, les putains dans l’âme :
[LIEN]