Littérature > Objectif Mars pour le rat noir
Littérature

par Patrick Schindler, individuel FA Paris • le 28 mai 2025
Objectif Mars pour le rat noir
Lien permanent : https://monde-libertaire.net/index.php?articlen=8248
Pour ce mois de mars, début de notre voyage en Grèce , avec Elle est morte heureuse d’Alexandra Papadopoulou ; Le Colosse de Maroussi d’Henri Miller, puis J’ai fermé mes maisons de Marianne Catzaras. Autriche : Stefan Zweig cosmopolite. Etats-Unis : Dans les rêves de Delmore Schwartz. France : Échappées belles de Denis Lavant et Nora, puzzle de littérature et de mort de Jehan van Langhenhooven.
« Ce qui excuse dieu, c’est qu’il n’existe pas » - Stendhal
Alexandra Papadopoulou : Elle est morte heureuse
Ces petites histoires sont aussi courtes, inégales et souvent fatales que celles de Guy de Maupassant. Rédigées avec la précision, le même sens aigu de l’observation et dans le même style d’époque dont seul peut-être diffère, le décor. A celui de la Normandie paysanne de Maupassant se substitue celui des Phanariotes, familles aristocratiques de confession chrétienne orthodoxe pour la plupart d’origine grecque, comme celle de Papadopoulou. Elles évoluaient à la fin de la seconde moitié du XIXe siècle entre les eaux salées de la Propontique, du Bosphore et de la Corne d’Or. On y croise donc nombre de thèmes communs à Maupassant…
Petit avant-goût :
Comment pour une mère, caser sa fille - sinon pour son malheur - avec un riche vieillard ? Plus loin est évoqué « le mal pernicieux que font les mauvaises langues ». Mentionnée également, la mauvaise foi des mères devant l’évidente réalité. Tout aussi délicieux, sont les conseils d’une courtisane comblée à sa meilleure amie. Propos machistes d’hommes issus de la communauté phanariote sur leurs sœurs et leurs cousines « aussi ennuyeuses que des animaux de compagnie » ! Suit, une conversation très animée sur les méfaits et bienfaits de la coquetterie. Puis, l’histoire d’un héros malgré lui, mais mal récompensé. Quelques questions ensuite : quel événement impromptu peut provoquer le rire chez une femme délaissée et comme morte-vivante ? Quels sombres secrets se cachent sous les dorures d’une brillante soirée dansante ? La paranoïa peut-elle entrainer la mort ? Pourquoi se marier et quitter sa famille, si c’est pour trouver pire ? Et quels sont les effets nocifs de la négligence ? L’histoire encore, d’un médecin qui rend malgré lui, une mort heureuse, etc.
Voyage quelque peu désuet mais non sans charme, au sein d’un autre temps et un autre espace.
Henri Miller : Le Colosse de Maroussi
Les impressions d’Henry Miller sont en éveil dès son entrée sur le bateau Marseille/Le Pirée, tandis qu’il se joint aux passagers moyen-orientaux plutôt qu’occidentaux : « Les Grecs comme les Indiens et les Chinois s’ouvrent comme des fleurs ». Passons sur le voyage, durant lequel Miller ne cesse de critiquer les États-Unis avec ses compagnons de rencontre.
Découvrir Athènes avec lui est un véritable plaisir, enthousiaste et communicatif. Miller nous invite à tout voir, tout apprendre et apprécier le calme et la générosité des Grecs, « malgré leur pauvreté ». Sa perception de la ville de Corfou est, elle aussi, très originale ainsi que ses considérations sur le peuple antique qui sont sans illusion « Meurtres et brutalité étant compensés par des spéculations métaphysiques de haut vol », qu’il nous confie à revisiter. « La Grèce demeure une enceinte sacrée et le demeurera, j’en suis convaincu, jusqu’à la fin des temps », nous dit-il également.
Suivent des éloges sur son ami Lawrence Durell, sur l’alcool et la bonne bouffe. Il nous raconte ensuite, sa rencontre « magique » avec le peintre Ghinka et le conteur Georges Katsimbalis, dont il sera beaucoup question plus loin : « Il me donnait l’impression d’une énorme tortue qui serait tombée de sa carapace trop étroite pour elle et en la compagnie duquel, le temps n’existait plus. Les bergers cette race de fous, les brebis et même les devins et les sorcières, devenaient intemporels ».
Mais alors, survient la déclaration de la guerre et la mobilisation des Italiens qui se disent neutres, à la frontière albanaise. Comment Henry Miller réussira-t-il à vivre dans ce contexte d’une Grèce occupée ?
Quoi qu’il en soit, cela ne l’empêchera pas pour autant de faire durant dix-huit mois, plusieurs allers-retours entre Corfou et une Athènes alors, « sous l’emprise du Jazz ». Mais, également entre autres, dans une Thèbes « morte en dormant » ; dans une Sparte « répugnante de vertus » ou encore, dans une Crète « cette pierre échouée que l’on a donné à avaler à la Grèce », etc.
Au fil de ces pages, Henry Miller nous gratifie également de grandes réflexions sur l’histoire, notamment durant sa visite d’Elefsis d’où il faut selon lui, « jeter aux orties 2.000 ans d’ignorance et de superstition et se débarrasser du christianisme et de toutes ses inepties ». Il nous prend encore à témoins sur le sens profond de la vie, la vacuité des choses matérielles « tous ces machins inutiles » et ne nous épargne pas plus dans son style incomparable ni ses diarrhées, ni ses ivresses, ni ses multiples rencontres et aventures, toutes plus cocasses les unes que les autres.
Ce n’est qu’après être rentré aux États-Unis qu’Henry Miller rédigera cet émouvant hommage à une Grèce « faite de terre, d’air, de feu et d’eau, qui respire et invite ». Du moins, au temps où celle-ci n’était pas encore envahie par le tourisme de masse !
Un premier passager clandestin de circonstance...
Marianne Catzaras : J’ai fermé mes maisons
Thèmes que la poétesse va décliner tour à tour dans ce petit recueil. Un cri de détresse, une ode d’amour qu’elle nous lance sur les traces du jeune Aziz, le migrant et sa traversée de la Méditerranée, « l’enfant des vagues, un appel à l’urgence, comme un chant de sirènes » … Ce bel ouvrage est agrémenté d’une huitaine de magnifiques photos de l’auteure.
Bravo l’artiste ! Extraits :
Migrants. « Je ne veux pas te voir mourir / Et courir, courir / Vers l’embarcadère ».
J’ai vu la ville se lever. « J’ai vu / Les hommes / Serrés / Les uns contre les autres / Je les ai vu pleurer car ils ne savaient plus raconter […] Je les ai vus fouiller / Dans la mer / Les premiers lambeaux de terre / Et les déposer dans les cités déshabillées ». - « Répétez mon nom lentement pour que je m’en souvienne ».
Les origines. « Le grec, la langue maternelle (pure impure), innocente coupable / Bienveillante et maudite / C’est elle qui a brouillé ma mémoire ».
L’insularité. « Une île / Encore une île / Je n’en peux plus des îles » !...
Stefan Zweig cosmopolite
Stefan Zweig est né à Vienne (à l’époque, en Autriche-Hongrie), en 1881. Ami de Sigmund Freud ; Arthur Schnitzler ; Romain Rolland ; Richard Strauss et Emile Verhaeren, il fait partie de l’intelligentsia viennoise. Il quitte son pays natal en 1934, en raison de la montée du nazisme et de ses origines juives pour se réfugier à Londres, puis au Brésil où il se suicidera. Son œuvre est constituée essentiellement de biographies (Fouché, Marie-Antoinette, Marie Stuart, etc.) de romans et nouvelles dont Amok, La Pitié dangereuse, La Confusion des sentiments, Le joueur d’échecs. Dans son livre testament, Le Monde d’hier, souvenirs d’un européen, Zweig se fait chroniqueur de « cet âge d’or de l’Europe » et analyse ce qu’il considère comme « l’échec d’une civilisation ».
Elles traitent plus particulièrement de sa relation complexe à la judéité, au sionisme et à l’antisémitisme, « bien qu’il ne prît jamais de positions écrites dans la presse ». Nonobstant, il effleura quelques portraits de « figures juives » dans certaines de ses nouvelles. Dans sa correspondance, on croise beaucoup de ses amis célèbres dont Sigmund Freud, Arthur Schnitzler, Romain Rolland ou Max Brod. Elle offre également des considérations sur les personnages de ses nombreuses biographies. Nous vous proposons ci-dessous, quelques petits passages et thèmes abordés, glanés çà et là à travers l’ouvrage.
La première partie regroupe quelques-unes de ses lettres écrites de 1900 à 1918, avant et durant la Première guerre mondiale « qui m’a ouvert les yeux ». A cette époque, Zweig s’intéressait aux théories de Martin Buber avec lesquelles il n’était pas forcément toujours en accord. Ainsi : « Je ne conçois la judéité que comme un sentiment sans formes, ni frontière, ni démarcation possible. Je préfère l’idée douloureuse de la diaspora […] Je refuse que la judéité soit une prison […] La sensation d’être Juif ne me pèse pas ». On peut également y lire cette remarque d’une acuité confondante et visionnaire : « J’ai l’ultime conviction que l’acharnement antisémite se déchargera après-guerre […] La judéité est confrontée à sa crise la plus grave depuis l’Inquisition ».
Dans la seconde partie, ses lettres sont datées entre 1920 et 1932 « sa période la plus prolifique ». Beaucoup tournent autour de la créativité dans les sphères culturelles judaïques. On y apprend que Stefan Zweig avait alors comme projet de créer une Anthologie de la poésie hébraïque universelle en en écartant cependant, l’aspect communautaire « c’est-à-dire sans Heimat (ville natale), au sens noble du terme » ! On lit ailleurs des commentaires sans appel sur l’assassinat de Rosa Luxembourg, Karl Liebknecht et Gustav Landauer, comme : « Il n’est rien que je déteste plus que l’autodéification des peuples dans la tempête de la haine du monde et des idées ». Tandis que les idées d’extrême-droite se propagent, nous verrons pourquoi il refuse de se rendre en Frise orientale, « nid des pangermanistes », après l’assassinat de Walter Rathenau. On devine dans ses lettres, les mauvais traitements faits à ses amis Sigmund Freud, Arthur Schnitzler et Albert Einstein. On y croise également un Zweig « partie prenante » de la cause animale, ou très ironique : « Je n’ai rien contre les nationaux-socialistes qui écrivent "Interdiction aux Juifs", au moins cela a le mérite d’être clair » !...
Enfin les lettres de 1933 à 1941, traitent principalement de l’accession - démocratique comme le rappelle Zweig ! - du national-socialisme « Pire que ce que le Moyen-âge, la Roumanie ou la Russie n’aient jamais fait », d’abord en Allemagne, puis dans tous les pays annexés. « Témoignage essentiel - selon les éditeurs - à l’heure où avec le soutien d’une partie de la société, l’idéologie ouvertement raciste et antisémite refait surface ». Stefan Zweig n’admet pas le silence des écrivains allemands non-juifs (mis à part Thomas et Heinrich Mann et trois autres) sur le nazisme, ainsi que de la part des États démocratiques. Il se met à douter de la colonisation juive de la Palestine. Ailleurs, il explique dans quel but il écrit alors son Erasme d’Amsterdam, comme un symbole contre la barbarie. Il s’explique encore sur sa non-participation à la revue antifasciste Die Sammlung, crée par Klaus Mann, le fils ainé de Thomas (à ce propos, voir la longue correspondance échangée entre eux à ce sujet, dans Klaus Mann ou le Vain Icare de Patrick Schindler). Zweig rêve plutôt d’une « grande fédération des écrivains juifs-allemands » ouvrant sur un manifeste commun. Plus loin, nous allons découvrir pour quelles raisons Zweig va décider d’envoyer la plus grand partie de sa correspondance à la Bibliothèque juive de Jérusalem. On peut tomber ailleurs, sur cette définition de Franz Kafka : « l’esprit juif sous sa forme la plus sublime ». Nous le suivons en voyage, « tandis que les choses s’enveniment sur le vieux continent ».
Pour n’en citer que quelques exemples : l’avènement du gouvernement roumain nationaliste antisémite ; sur le plan personnel : sa première femme, Fridericke qui refuse de quitter l’Autriche en train de se nazifier ; les persécutions de Juifs après l’Anschluss par « l’Hitléraille » ; le refus de l’URSS d’accueillir les exilés juifs ; ou encore les rapports entre Staline et Hitler, préfigurant le pacte de non-agression et la situation des Juifs-polonais après l’annexion nazie, etc. Réflexions amères sur les 400.000 Juifs riches, restés en Allemagne nazie. Nous suivrons un Stefan Zweig, réfugié - comme Freud - à Londres, durant le Blackout en septembre 1939 et les tracasseries administratives que doivent y subir les étrangers. Enfin, le terrible épisode de sa fuite au Brésil, « où les Juifs sont divisés en petits groupes antagonistes, tout comme aux États-Unis ».
En achevant cet ouvrage de tout premier ordre sur le plan historique, on comprend que mieux ce qui va pousser Zweig ainsi que sa seconde épouse Lotte, au suicide …
Delmore Schwartz : Dans les rêves
Dans la préface de Dans les rêves (éd. Rivages poche, traduction Daniel Bismuth), Lou Reed lui écrit cet hommage « Ô Delmore, comme tu nous manques. […] Génie maudit, tu as écrit la plus grande nouvelle jamais écrite » !
Treize nouvelles nous sont offertes ici - qui, on se doit de l’avouer, ne sont pas toutes de la même verve - dans lesquelles Delmore Schwartz « obsédé par le mythe de Narcisse, la relation avec la mère, l’identité, le cinéma ou encore, la pieuvre Newyorkaise », déroule un grand talent narratif.
Sélection de quelques-unes.
La première, sans doute autobiographique est assez surprenante. Elle met en scène, dans ce qui pourrait être un film muet, la rencontre entre son père et sa mère à Brooklyn, en 1909. Mais ce qui commence comme un rêve va se terminer en une espèce de cauchemar éveillé, chargé de signes.
Changement de décor : nous rentrons de Paris dans une Amérique en pleine crise économique (1936), en compagnie de notre narrateur « incapable de se décider à faire quoi que ce soit », sinon écouter les récits nostalgiques de sa mère !
Plus loin, Delmore Schwartz met en scène, un groupe de jeunes gens juifs new-yorkais « de la classe moyenne inférieure, avec son lot d’illusions et de pauvreté ». Il peint avec un grand doigté et un sens de l’humour exceptionnel, les espoirs, questionnements philosophiques et désenchantements de cette bande d’écrivaillons ratés ou de professeurs désabusés, cancaniers, crânes et alcoolisés. Et qui « confrontent avec fougue leurs visions antagonistes du monde ».
Plus loin, il est question d’un réveillon raté par des individus résolus à le passer en mauvaise compagnie, plutôt que seuls. Irrésistible. Comment ne pas penser au Thanks God it’s not X’mas des Sparks.
Puis encore, nous assistons au discours pompeux et de plus en plus hystérique d’un orateur choisi au pied levé pour une remise de diplômes à des étudiants, partagés entre indifférence et ahurissement.
Suit une description de la vie « trépidante » d’un fils de famille feignant et bon en rien, mais fort gueule.
Plus sérieux, le renversement d’arguments racistes par un vieux professeur d’université dans le contexte enflammé de la Seconde guerre mondiale et des révoltes des Noirs et Latinos.
Ces nouvelles sont aussi l’occasion pour Devon Schwartz de placer ci et là, quelques réflexions sur Fiodor Dostoïevski, Franz Kafka, James Joyce, Thomas Mann, E.T. Eliott, Brueghel ou encore sur un André Gide jaloux de Marcel Proust. Parfois, de petits textes atypiques viennent s’interposer dans ces tableaux, ainsi celui évoquant le beau geste désintéressé d’un jeune poète ou, le petit conte fantastique sur le mystère de ces statues de glaces aux formes humaines qui vont mettre les New-yorkais en effervescence.
Quelle meilleure conclusion que d’écouter My House, chanson composée par Lou Reed, en hommage à Delmore Schwartz :
Traduction en français du passage le concernant directement : « Mon ami et professeur a pris la chambre d’amis. Il est mort, le juif errant, enfin en paix. Les autres amis ont mis des pierres sur sa tombe. C’était le premier grand homme que je n’ai jamais rencontré. Delmore, tout ton humour me manque. Tes blagues et tes bons mots me manquent »
Denis Levant : Echappées belles
Belle rencontre à la librairie d’Athènes Lexikopoleio où Denis Lavant, cet artiste érudit et polymorphe est arrivé, ce jour-là, avec la - typique - demi-heure grecque de retard ! Il nous l’a grandement restituée ne serait-ce qu’en commençant par nous surprendre. « Je n’aime pas les présentations autobiographiques traditionnelles, figées et chronologiques. Je préfère de loin me laisser dériver au fil de mes humeurs et de ma fantaisie. Rien à regretter dans la mesure où mon livre vous apprendra ce que je ne vous dirai pas ce soir, mis à part quelques bribes. Je préfère largement vous lire quelques extraits de textes de mes auteurs préférés. D’ailleurs, il y a beaucoup de poésie dans mon itinéraire de comédien ».
S’emparant d’un micro (dont il n’avait pas vraiment besoin vu sa tessiture !), Denis Lavant nous a d’abord lu un petit texte dont il nous a laissé deviner l’auteur. A la surprise générale, il était de Bobby Lapointe !
A la demande du public grec qui ne le connaissait pas, il s’est livré alors à un petit résumé de ses quarante ans de carrière. Puis passant du coq à l’âne, il nous a fait part de son admiration pour le peuple russe, sa culture et sa langue qu’il a apprise au lycée ! « Personne à l’époque ne parlait russe, j’avais l’impression de parler une langue secrète » … Mais il fut quelque peu désenchanté en apprenant qu’en fait, contrairement à ce qu’il pensait, il n’avait aucune racine russe.
Il nous a raconté ensuite, la naissance de sa passion pour le spectacle : avant le cinéma le théâtre, l’acrobatie et l’expression corporelle, « Pour moi, le départ idéal pour lier le geste à la parole. Car, ça à mon avis, ça ne s’apprend pas dans les cours d’art dramatique. Pour ma part, ce sont les Chaplin, Buster Keaton ou Harpo Marx qui m’ont appris en quoi le burlesque est essentiel dans notre métier. Mais ce qui m’a vraiment ouvert la voie, c’est la poésie que je considère comme le meilleur chemin de la pensée, celui véhiculé par les images. Et j’ai toujours à cœur de désacraliser les poètes pour les faire descendre un peu de leur piédestal ».
C’est donc avec impatience qu’il nous a invité dans son petit monde. Par la lecture d’un texte aux mots fracassants tandis que nous avions l’impression que tout son corps collait aux mots, comme pour les expulser du papier où ils étaient couchés et nous laissant encore en deviner l’auteur. Cette fois-ci Arthur Rimbaud évoquant la fin tragique de La Commune de Paris dans Paris se repeuple. Denis a enchainé sur un texte oublié de Verlaine et un autre d’Henri Michaux « Cet explorateur des drogues et du langage dont les textes, comme ceux de Stéphane Mallarmé, notamment Un coup de dés jamais n’abolira le hasard, sont réputés difficiles. Pour ma part, je les trouve comme sculptés et composés pour être dits et non pas lus ». Et d’enchaîner avec un extrait du magnifique Coup de corne et la mort et « son récurent cinq heures du soir », qui rythme ce poème de Federico Garcia Lorca. Occasion rêvée pour Lavant de nous expliquer ce qui à son sens, constitue « la substantifique moelle de la création » : le Duende, ou l’esprit d’évocation (la muse en France et l’Ange en Allemagne). « Duende que l’on trouve autant chez les danseurs de Flamenco que dans la chorégraphie des toreros (si l’on gomme le côté cruel insoutenable), mais aussi dans la peinture du Greco. Un combat contre soi-même. Avec son côté noir, comme dans les textes de Jim Morisson ».
Le temps passant, Denis Lavant ne pouvait plus s’arrêter. Et de fouiller dans « le tas de mes poèmes en vrac dont je ne me sépare jamais » et d’en ressortir d’un geste de magicien, un extrait de La balade des pendus, ce texte « si lucide et prévenant de François Villon sur le péril de vivre ».
Ce qui fut plus un spectacle qu’une dédicace lambda s’acheva sur un extrait du trop peu connu Le Satyre tiré de La Légende des siècles de Victor Hugo, « un texte que l’on pourrait, contre toute idée reçue sur Hugo, qualifier de libertaire » …
Le théâtre pour commencer, puis la pantomime. Mais aussi lors de sa formation, son long flirt avec les « genres dits mineurs » : acrobatie, improvisations. Lavant nous livre à ce sujet ses nombreuses et diverses influences.
Rapidement, on prend conscience de l’étendue de sa palette. Et puis bien sûr, le cinéma « un univers dans lequel je suis entré par hasard, grâce à Leos Carax ». Le personnage qu’il a préféré interpréter ? « Mr Merde, un clochard qui vit dans les égouts de Tokyo ». De ci de là, Denis nous gratifie de savoureux flashbacks impulsifs sur son enfance - il est né dans une famille bourgeoise et cultivée. Puis sur sa jeunesse « ouverte au monde par la lecture », notamment la poésie « cette parole muette », sa passion « J’ai choisi l’imaginaire parce que le réel m’effrayait. Les livres eux, recèlent de magnifiques images et paysages réveillés par les yeux qui les font s’envoler dans l’imagination ». Plus loin, Lavant se livre à une apologie du théâtre forain et du métier de comédien. Tout en glissant entre les lignes pour notre plus grand plaisir, des extraits multiformes, tels celui de La Chanson de Craonne.
Nous avons aussi l’occasion de croiser au passage, une foule de gens les plus divers parmi lesquels, Zo d’Axa ; Francis Bacon ; Jean Genet ; James Baldwin ; Marcel Moreau ; Jean-Pierre Martinet ; Pier Paolo Pasolini ou encore, LF Celine, « ce sale bonhomme mais écrivain de génie » !...
Par son style et l’étendue des sujets évoqués, cette autobiographie diffère radicalement du genre habituel.
Avant de nous quitter, Denis Lavant nous a avoué que « encore à ce jour, je continue à me remettre perpétuellement en question ». Puis cette petite dédicace particulière aux lecteurs du Rat noir :
2e passager clandestin...
Jehan van Langhenhooven : Nora puzzle de littérature et de mort
Nora, puzzle de littérature et de mort (éd. Douro), le dernier ouvrage de notre ami Jehan Van Langhenhoven (déjà croisé dans cette rubrique), vient de sortir.
Pour se présenter aux lecteurs, Jehan est, on ne peut plus sobre : « Enfance dans les banlieues populaires et rouges. Marques indélébiles. Possède un chien. Fidélité indéfectible par-delà la mort et les années ». On se doit d’ajouter qu’il est l’animateur d’une émission sur Radio libertaire qui a vu défiler devant son micro bien du beau monde, depuis un bon nombre d’années !
Cette fois-ci, il nous entraine toujours armé de sa fougueuse plume pleine de verve, dans le mystère de la belle et plantureuse Nora, « femme de toutes les voluptés ». Le mystère de sa courte vie est commenté par le narrateur de ce petit livre : Nicki Bellmoor. Un anti-héros « en quête du prix Nobel du livre érotique et sans orthographe » ! Reporter au Paris News, spécialisé dans les faits divers sanglants, il va tenter de rassembler pour nous, toutes les pièces du « puzzle » entourant le meurtre de la belle et trouble Nora.
Pour autant, Niki se trouve faire partie des présumés coupables du meurtre de la belle, avec une bonne douzaine d’autres individus, dont, un jeune imberbe ; un prétendu manchot ; un « redoutable » docker ou encore Sandro Becker, « peintre ultime survivant du Grand Painting Barnum ». Tous vont être interrogés tour à tour, par des inspecteurs aussi insolites et atypiques que les prévenus.
Entre deux digressions - au sujet desquelles l’auteur, au passage, philosophe « mais qu’est-ce que la vie sinon une longue suite de digressions » -, Niki va tenter d’y voir un peu plus clair dans cet imbroglio, confiant ses doutes à une palette d’individus hauts en couleurs. Nous n’en sommes qu’au début de l’histoire lorsque l’auteur nous prévient que « les chapitres qui suivent seront pétris d’apartés, de chemins de traverse, pieds dans le plat ou cheveux explosifs dans la soupe fumante » !
Après la mise en terre au Père Lachaise de la pauvre Nora, en effet les aventures de Niki ne flirtent jamais avec l’ennui ni la langueur. Elles se prolongeront sous d’autres cieux (le Bronx), sans que son obsession disparaisse pour autant : « tenir toujours vivant le spectre de son héroïne ».
Ce petit recueil « plein de nerfs ombiliqués » nous donne l’occasion de croiser, même brièvement quelques invités de marque, tels Herman Melville ; Dylan Thomas, Charles Baudelaire « cet expert en théâtre funèbre, fantasmagorie et divers simulacres » ; Francis bacon, Ibsen ou encore le catcheur Maurice Tillet dit « le monstre ». Bon voyage !
Patrick Schindler, individuel FA Paris
un dernier passager clandestin...
PAR : Patrick Schindler, individuel FA Paris
Individuel FA. Paris
Individuel FA. Paris
SES ARTICLES RÉCENTS :
Réagir à cet article
Écrire un commentaire ...
Poster le commentaire
Annuler