Serions-nous une horde fratricide dont le génie consiste à commettre des actes imbéciles avec une compétence indéfiniment renouvelée ? Nous ne sommes pas menacés, nous sommes la menace.
D’où vient notre arrogance ? Le mensonge d’État s’est vu institué en vertu et le mythe de la
méritocratie imposé comme principe de survie. Dans une sublime réconciliation téléologique, tout est ficelé, propre, réglementaire. Ce qui risque de salir la tapisserie est séance tenante aseptisé.
A force d’attendre, nous voici ankylosés, perclus de rhumatismes, souhaitant qu’on en finisse, qu’on nous empaille et qu’on nous expose au musée de l’homme. Pendant ce temps, à Lampedusa, Léros, Cos, Chios, Samos, Lesbos et partout ailleurs le désespoir se déverse par vagues immenses tandis qu’entre deux vins de messe les voisins n’ont rien d’autre à faire que d’espionner le quartier.
Ici s’achèvent nos conciliabules de spectres impertinents et bravaches. Il faut enfin partager. Partage forcé, enfin. Enfin quitter nos repères occidentaux, et dare dare ! L’Occident a trahi, pillé, génocidé pour établir sa puissance. Eux, ils traversent les mers, les terres et les frontières, abandonnant sans sépulture ceux qui meurent en chemin. Ils sont là et nous voici enfin tenu d’apprendre à vivre avec eux, en espérant qu’ils viennent fouetter notre pâleur, revigorer nos ombres, qu’ils nous ramènent la sève qui nous a désertés.

Michèle Victor