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Anarchie dans le monde
par Todo por Hacer. Mensuel Anarchiste. le 22 novembre 2021

L’extrême-droite dans l’Europe du sud et l’émergence d’un climat préfasciste en France

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Nous vivons à une période où se déclarer fasciste reste péjoratif socialement. La limite est nette dans l’imaginaire social, se donner l’étiquette fasciste est mal vu. Cependant, au-delà de cet aspect purement linguistique et symbolique, se comporter en fasciste n’est absolument pas condamné ni même mal vu. Des affirmations telles que "je ne suis ni de gauche ni de droite", "je suis juste un patriote qui défend son pays" ou "nous ne pouvons pas nous permettre que nos frontières soient prises d’assaut" sont parmi les discours les plus répandus dans la société et s’inscrivent dans un courant politique organisé de signe fasciste accepté par les sociétés européennes.

L’ombre du fascisme nous poursuit depuis le siècle dernier, et quoique l’on puisse analyser d’un point de vue historique un mouvement fasciste donné dans un cadre temporel précis, cette tendance au fascisme et sa projection jusqu’à la période la plus actuelle restent dans le floue. Bien qu’il ne faille pas appeler fasciste tout mouvement opposé la gauche révolutionnaire, il convient en revanche de me pas occulter la présence institutionnelle et de fond, d’un fascisme qui est latent dans la classe dominante des sociétés européennes. Le fascisme s’est nourri d’une pensée vitaliste et irrationnelle, ayant sa source dans la culture européenne, une ferveur nationaliste et un héritage colonial, et il a été un outil de défense agressive du capitalisme en péril face aux mouvements ouvriers. Il opère actuellement dans le même sens, depuis des partis au gouvernement jusqu’à des groupes incontrôlés volontairement et utilisés pour augmenter la tension sociale afin de la mener à des positions d’extrême-droite.

Le fascisme éternel et l’augmentation de la violence d’extrême-droite


Umberto Eco, philosophe et sémiologue italien de renommée internationale, auteur du roman "Le nom de la rose", a écrit un essai où il expose les quatorze caractéristiques du fascisme éternel (ou Ur-fascisme). Le fascisme qui semblait avoir été mis en échec dans l’Italie de la seconde moitié du XX siècle, reviendrait, sous une apparence socialement normalisée : "Ce serait tellement plus confortable si quelqu’un s’avançait sur la scène du monde pour dire: je veux rouvrir Auschwitz. Hélas, la vie n’est pas aussi simple. L’Ur-fascisme est susceptible de revenir sous les apparences les plus innocentes. Notre devoir est de le démasquer, de montrer du doigt chacune de ses nouvelles formes, chaque jour, dans chaque patrie du monde."- (Reconnaître le fascisme, Grasset, 2017). Traquer le fascisme n’est pas, par conséquent, une position radicale de fanatisme absolu mais une nécessité sociale absolue ainsi qu’un indicateur de bonne santé collective. Cet essai nous montre quelques-unes des caractéristiques permanentes des courants politiques fascistes, lesquelles, dans un environnement despotique et autoritaire, créent le contexte idoine pour l’émergence d’une nébuleuse fasciste. Généralement peu visible en raison de la tendance autoritaire et criminelle propre au capitalisme global lui-même, ce contexte se développe en symbiose avec les structures de pouvoir existantes et détermine une fascisation de la société.

Ce fascisme éternel facilite de la façon la plus totalitaire qui soit l’avancée de la classe dominante et de sa culture d’exploitation, en créant des points de non-retour et en droitisant drastiquement toutes les structures sociales et culturelles, invalidant la capacité d’action des classes populaires et des groupes marginalisés.

La violence d’extrême-droite est un problème grandissant ces dernières années. Les chiffres montrent que les attentats fascistes ont augmenté de 320% dans le monde. Au premier semestre 2020, aux États-Unis, 70% des actions qualifiées de terroristes répondaient à des motivations d’extrême-droite. En février 2020, un fasciste a assassiné dix personnes à Hanau, une localité proche de Francfort, et une unité d’élite de l’armée allemande a dû être dissoute en raison de ses liens avec des groupes néo-nazis. A l’été 2021, un jeune suédois a fait irruption dans une école un couteau à la main, blessant un professeur ; il avait une liste de noms d’élèves homosexuels contre lesquels il voulait commettre un attentat. Nous ne sommes pas en présence de faits isolés, ni de personnes ayant simplement des pathologies mentales ou de "loups solitaires", mais d’une violence structurelle promue par les discours de haine de l’extrême-droite.

Les intentions de vote en faveur de l’extrême-droite en France atteindrait 35%

Les derniers sondages pour les élections présidentielles de 2022, en France, attribuent à Marine Le Pen, leader du parti d’extrême droite Rassemblement National, entre 17% et 18% des intentions de vote. Déjà, en 2017, elle avait obtenu 21,3% des suffrages. Cette fois, il faut aussi ajouter l’apparition d’un nouveau leader important de l’extrême droite française, Éric Zemmour, que les sondages donnent à égalité avec le RN. Cela voudrait dire, si l’on réunit les deux propositions, que l’extrême droite en France aurait grimpé jusqu’à 35% d’intentions de vote à six mois du rendez-vous électoral.

La couverture médiatique dont bénéficie Éric Zemmour du fait qu’il est polémiste à Cnews (chaîne de télévision française) l’ont propulsé nouveau chantre du fascisme en France. La gauche parlementaire espère bien qu’il ne s’agisse que d’une bulle médiatique qui éclatera d’elle-même, il n’en est pas moins vrai que cela fait deux décennies que l’extrême droite menace de prendre le contrôle du gouvernement en France. Et ce n’est pas tout parce que l’extrême droite essaye, depuis les années 80 d’être l’acteur principal des luttes sociales avec des positions ultranationalistes et de semer la peur dans les quartiers populaires et d’immigrés. La dernière tentative en ce sens a été au cours de la naissance du mouvement dit des Gilets Jaunes, dont les actions décentralisées et une organisation informelle ont rendu possible que des groupes d’extrême droite cherchent à orienter le mouvement vers leurs intérêts nationalistes. De fait, des tensions antifascistes se sont produites au sein de ce mouvement et, en fonction du territoire et de l’organisation de la gauche, certains groupuscules d’extrême droites ont eu plus ou moins de succès dans leur objectif de casser la dynamique de cette lutte sociale.

Eric Zemmour agite la politique française et détrône Le Pen dans un sondage


Le polémique communiquant Éric Zemmour n’a pas même confirmé sa candidature mais aussi bien son discours que son caractère médiatique associé à son héroïsme nationaliste, le poussent à postuler dans la course électorale. Le philosophe français Alain Badiou parlait de pétainisme transcendantal, une caractéristique sociale qu’il attribue à la société française en état de crise et de lassitude, un sentiment idolâtre qui la porte à s’en remettre à qui leur promet protection et la restauration d’un ordre ancien. Cette idée ne fait que définir toute dérive sociale sur des positions conservatrices, ouvrant un espace autoritaire et réactionnaire où l’idéologie fasciste peut prendre ses aises. Ces dynamiques d’essor fulgurant de l’extrême-droite rappellent des épisodes de la dernière décennie comme Donald Trump aux États-Unis ou Jair Bolsonaro au Brésil. Le phénomène Zemmour est un symptôme de ce processus de fascisation, un personnage qui attire les élites désabusées de la droite traditionnelle.

Marine Le Pen a obtenu que 30% à 35% d’ouvriers votent extrême-droite, même si elle n’a jamais réussi à entraîner le traditionalisme catholique. L’hostilité agressive de la leader de l’extrême-droite française se fondait sur les attaques à l’immigration comme arme sociale au moyen d’un discours de haine de la différence et en faisant appel à des arguments économiques. La nouvelle extrême-droite, en revanche, représentée par Éric Zemmour, né dans une famille juive, a réussi à faire de la question religieuse et culturelle, quelque chose d’essentiel. Il affirme que le multiculturalisme et l’Islam sont en train de saper les fondements de notre nation et de l’Europe. La bataille sociale se situe dans les limites marquées par l’extrême-droite qui, avançant fermement dans son discours médiatique, établit de nouveaux paradigmes culturels et élimine les questions de classe, de genre ou de racisme comme éléments structurels affectant nos sociétés.

Reconstruire une culture de gauche, populaire et antifasciste


La gauche antifasciste française a manifesté régulièrement depuis la fin du printemps, voyant qu’il fallait freiner la spirale droitière qui dévaste le pays. Le 5 juin dernier, c’était le huitième anniversaire de l’assassinat du jeune antifasciste Clément Méric, à Paris, un homicide perpétré par le néonazi espagnol Esteban Morillo en 2013, et qui lui a valu une condamnation à 11 ans de prison. La capitale française accueillait, comme chaque année, une marche en sa mémoire, annonçant une grande marche une semaine après de 150 000 personnes dans les rues de toute la France. Les discours sur l’insécurité face aux immigrés et à l’Islam sont au cœur des débats et favorisent un climat réactionnaire et de banalisation des propositions fascistes. ces mobilisations doivent se traduire par une relance des luttes à gauche, la nécessaire irruption sur une scène politique et médiatique complètement droitisée et dans une société qui se jette dans les bras du fascisme français et ses propositions.

Les déclarations publiques lancées par des militaires parlant d’effondrement du pays et de l’ombre d’une guerre civile, ou les menaces contre des électeurs de gauche ont été neutralisées dernièrement par le gouvernement conservateur du président Emmanuel Macron, qui favorise cette atmosphère préfasciste en France. Un autre exemple de la renaissance su fascisme dans l’Europe du sud a été l’attaque le mois dernier par un groupe d’extrême-droite du siège national de la CGIL, le principal syndicat italien. Une marche a été organisée à Rome pour demander l’illégalisation des organisations néofascistes, cependant certaines voix se sont levées pour dire qu’il ne suffit pas de combattre ces groupes uniquement au niveau institutionnel mais en construisant une nouvelle culture antifasciste bien accueillie par toute la société.

Traduction de l’espagnol : Monica Jornet. Groupe Gaston Couté FA
PAR : Todo por Hacer. Mensuel Anarchiste.
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