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par David GAILLARD-BAZYLENKO • le 6 septembre 2025
Le viol est une arme de guerre.
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Le viol est une arme de guerre.
Il est même aujourd’hui plus juste de parler de violences sexuelles liées aux conflits, selon la terminologie adoptée par les Nations Unies. Cette expression englobe non seulement le viol, mais aussi l’esclavage sexuel, la prostitution forcée, la grossesse ou l’avortement forcés, la stérilisation, le mariage forcé, ainsi que toute autre forme de violence sexuelle de gravité comparable. Elle s’applique aux femmes, aux hommes, aux filles et aux garçons, dès lors que ces violences sont directement ou indirectement liées à un conflit armé.
Dans nos sociétés dites en paix, les violences sexuelles s’insèrent dans un système patriarcal structurel. En contexte de guerre, elles s’exacerbent au sein d’un système militariste et patriarcal, dans lequel elles deviennent des outils politiques, stratégiques et psychologiques. Il ne s’agit pas de violences « accidentelles », mais de tactiques de domination au sein de l’entreprise genrée qu’est la guerre. Est-ce là une manifestation du fait guerrier qui repose sur des logiques patriarcales de domination ou bien est-ce la manifestation, une fois les normes fragiles tombées, de l’impunité des hommes ? Surement les deux. Notons également que dans le contexte de la guerre russo-ukrainienne, notamment dans les prisons russes, les prisonniers - en grande majorité des hommes – sont victimes, eux aussi, de sévices sexuels.
En Ukraine, le silence de l’occupation
Depuis février 2022, l’armée d’occupation russe est coupable de violences sexuelles massives dans les territoires ukrainiens qu’elle a envahis. Ces actes sont utilisés à des fins de soumission, d’humiliation et de contrôle social. Loin d’être spontanés, ils s’inscrivent dans un projet de « russification » des zones occupées : passeportisation forcée, changement des programmes scolaires, imposition de la langue russe, rattachement des réseaux médiatiques à ceux de la Russie (qui implique une propagande intensive), imposition du rouble, installation de colons russes, traque des “opposants” (il suffit de liker un poste en soutien aux forces armées ukrainiennes sur les réseaux pour être inquiété en tant que “nationaliste ukrainien”), déportations d’enfants ukrainiens en Russie - c’est d’ailleurs pour cela, après avoir rapporté suffisamment de preuves, que la Cour Pénale Internationale a condamné les dirigeants russes et Poutine pour “crimes de guerre”.
Dans ce contexte, les violences sexuelles deviennent un outil parmi d’autres de contrôle du territoire et des corps, aggravé par un climat d’impunité totale. Personne ne contrôle les exactions des occupants russes. Le silence qui entoure ces violences n’est pas uniquement celui des victimes, il est aussi imposé par la peur des représailles et par la terreur d’une armée d’occupation.
Comme le rappelle la politiste étasunienne féministe Cynthia Enloe, la guerre est une entreprise genrée. Le corps des femmes devient un support de domination militaire, au même titre que le territoire. Le corps féminin est un butin de guerre (lorsque le viol est utilisé comme une forme de conquête territoriale et d’humiliation de l’ennemi), un symbole collectif (où la violence sexuelle vise à briser la cohésion du groupe, à « souiller » une identité nationale, ethnique ou politique - le corps féminin est alors ramené à sa fonction maternelle), mais aussi une ressource affective, mobilisée pour « soutenir » les combattants (en plus des fonctions de soin ou d’assistance). Sur ce dernier point, on peut considérer que les femmes effectuent un travail de care qui n’est pas reconnu comme tel, comme le précise Daria Saburova dans son ouvrage (Travailleuses de la résistance. Les classes populaires ukrainiennes face à la guerre, Éditions Croquant, 2024).
Soutenir les victimes et documenter les crimes : l’association SEMA - Ukraine
Face à ces crimes, l’association SEMA Ukraine joue un rôle crucial. Créée par et pour des survivant·es depuis 2019, cette organisation œuvre pour la visibilisation des violences sexuelles liées au conflit, leur reconnaissance comme crimes de guerre, et la prise en charge psychologique et matérielle des victimes. Pour la diginité, la reconstruction individuelle et collective. En travaillant en réseau avec les institutions ukrainiennes et internationales, SEMA Ukraine rappelle que la justice pour les survivantes ne peut pas être un angle mort de la guerre — elle en est l’un des combats les plus essentiels. Elle milite par exemple pour une meilleure reconnaissance des victimes de violences sexuelles en Ukraine même, avec la mise en place de plus de moyens pour permettre de briser le silence et la réparation. Se pose alors la question : qui va payer pour les réparations ? L’association milite également pour une reconnaissance de la responsabilité de l’État russe, dans un objectif de justice post-conflit. Dans tous les cas, l’Ukraine et les Ukrainien·nes souffrent du manque de moyens. Du fait de la guerre, les conditions de vie deviennent de plus en plus précaires. Du fait du reflux de l’aide international, notamment depuis le départ de l’USAID exigé par Trump en janvier dernier, les associations locales (souvent dépendantes d’un système de financement humanitaire international) peinent à mener à bien leurs actions. Sema-Ukraine regroupe alors de véritables résistantes, contre le silence et pour la dignité.
David GAILLARD-BAZYLENKO
PAR : David GAILLARD-BAZYLENKO
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