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par Philippe Diaz le 22 novembre 2025

LE PRIX NOBEL DE LA GUERRE !

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Le Comité Nobel vient d’annoncer que le prix Nobel de la paix 2025 a été décerné à María Corina Machado, la décrivant comme « une ardente et engagée défenseuse de la paix », ainsi qu’une « femme qui maintient la flamme de la démocratie allumée dans une obscurité grandissante », disant qu’elle « remplit les trois critères énoncés dans le testament d’Alfred Nobel pour l’attribution du prix Nobel de la paix. Elle a rassemblé l’opposition de son pays. Elle n’a jamais hésité à résister à la militarisation de la société vénézuélienne. Elle a toujours soutenu une transition pacifique vers la démocratie. » Quelle honte ! Le comité Nobel, soit ne fait plus les recherches qu’il était connu pour faire, soit a souscrit à la révolution trumpist, ce qui est au-delà du pathétique.




Maria Corina Machado a d’ailleurs assuré qu’elle a accepté la récompense « en l’honneur » de Donald Trump, qui pensait recevoir ce prix pour lui-même et qui a souligné sa participation au combat mené par l’opposante vénézuélienne en disant « Je l’ai aidée tout au long du processus ». À l’annonce du choix du comité Nobel, la Maison-Blanche a pourtant déclaré vendredi que le comité faisait passer « la politique avant la paix », ce qui est tout à fait exact.

Maria Corina Machado vient de l’aristocratie vénézuélienne et d’une famille qui possède des sociétés d’électricité et de sidérurgies, dont Sivensa, le plus grand producteur d’acier privé du Vénézuéla. Elle a été élevée dans une école catholique d’élite pour filles à Caracas et un pensionnat à Wellesley, dans le Massachusetts, ce qui lui a permis de qualifier sa jeunesse « d’enfance protégée du contact avec la réalité » ! Elle est diplômée de l’université catholique Andrés-Bello en ingénierie. Elle devint militante politique en 2002, en contribuant à la création du groupe Súmate, qui participa au coup d’État de 2002, tentative avortée de destitution du président Hugo Chávez. Ce groupe, tout comme les autres groupes d’extrême droite au Vénézuéla, sont financés par les États-Unis, soit directement par la CIA, soit par le National Endowment for Democracy (NED), organisation de propagande américaine. En février 2010, elle quitta son poste à Súmate, étant accusée de trahison pour avoir reçu les fonds du NED, destinés à favoriser la destitution d’Hugo Chávez en 2004. Elle continuera dans les années suivantes son travail pour destituer Chávez, ce qui était alors devenu « la cause de sa vie ».

C’est là que j’ai eu la « chance » de la croiser. J’ai passé beaucoup de temps au Vénézuéla pour le tournage de mon documentaire « La Fin de la Pauvreté ? », principalement lors de la campagne pour l’élection présidentielle de 2006 qui fut gagnée par Chávez. À cette époque déjà, la manipulation de l’information par Washington et relayée par Machado, était très efficace, décrivant Chávez comme un dictateur, l’accusant de ruiner son pays et de falsifier les élections.
Ce que nous avons vu et filmé là-bas est bien différent de cette propagande. Faisant un film sur la pauvreté, nous avons visité tous les barrios (bidonvilles) de Caracas et interrogé ceux qui y vivaient, certaines fois dans une extrême pauvreté. Chávez était leur héros, car il leur avait donné pour la première fois la possibilité de voter. En effet, les précédents régimes avaient mis comme condition au droit de vote l’obligation d’une adresse permanente et avaient trouvé très pratique de ne pas reconnaître les barrios comme adresses permanentes ! Chavez leur a aussi apporté les soins de santé gratuits, créant dans chaque quartier de barrio un centre médical où officiaient des médecins cubains, et incluait les soins dentaires et ophtalmologiques. Ceci était en soi une révolution, car les habitants des barrios ne voyaient jamais un docteur de leur vie entière. Il a aussi fait construire dans tous ces quartiers des supermarchés qui vendaient des produits de première nécessité à des prix subventionnés. Nous avons également visité les centres de vote installés partout, qui à l’époque, étaient surveillés par des représentants des Nations-Unies. Là, ces représentants nous ont expliqué que les élections se déroulaient parfaitement bien et qu’elles étaient tout à fait légitimes. Ils nous ont même expliqué qu’en fait, les élections au Vénézuéla étaient beaucoup plus contrôlées que dans la majorité d’autres pays. En plus de voter électroniquement, chaque électeur reçoit une copie sur papier de son bulletin de vote, ce qui n’existe pas, même aux États-Unis, copie qu’il peut donc vérifier et utiliser en cas de contestation.

Malheureusement, ce que nous avons aussi vu est la tour où était installée la CIA, qui occupait à l’époque un étage entier et d’où elle finançait les opposants à Chávez, incluant Machado, et, comme à son habitude, tentait d’organiser sabotages et autres mouvements de déstabilisation du régime. Pour tous ceux qui en douteraient, je recommande la lecture du livre très documenté d’Eva Golinger, avocate américaine qui vivait au Vénézuéla et que j’ai rencontrée : « Code Chávez : CIA contre Vénézuéla ».




Ne nous trompons pas, Machado a toujours été du côté de l’impérialisme nord-américain et a toujours œuvré pour l’intervention militaire des États-Unis au Vénézuéla. Elle était déjà très proche de George Bush junior, et est maintenant très proche de Donald Trump, qui ne cache pas son ambition de prendre le contrôle de ce pays. Est-ce que tout cela ne vient pas en totale contradiction avec l’argument du comité Nobel disant « qu’elle a toujours soutenu une transition pacifique vers la démocratie » ? Est-ce que cela ne la disqualifie pas pour être Prix Nobel de la Paix ? Et elle assume parfaitement son désir d’intervention armée, se disant convaincue que Maduro « quittera le pouvoir avec ou sans négociation » !

Washington a déployé en août huit navires de guerre au large des côtes du Vénézuéla, ce qui associé au Prix Nobel de la Paix, selon Machado est « un coup fatal pour le pouvoir » ! L’administration Trump a frappé en mer au moins cinq embarcations qu’elle a présentées comme étant celles de narcotrafiquants, pour un bilan de plus de 20 morts. Plusieurs sources proches du pouvoir américain font état de frappes imminentes visant le territoire vénézuélien. Le président colombien Gustavo Petro a déclaré qu’un « nouveau scénario de guerre s’ouvrait : celui des Caraïbes » et a ajouté « Il n’y a pas de guerre contre la contrebande ; il y a une guerre pour le pétrole, et le monde doit y mettre fin ». Trump vient d’annoncer qu’il autorisait la CIA à agir au Vénézuéla, confirmant par là même son implantation dans le pays, et a aussi confirmé qu’il envisageait maintenant des actions militaires terrestres, ce que soutient Machado. En fait, le comité Nobel a donné à cette intervention une forme de légitimité ! Maduro, quant à lui, a répliqué en disant que les opérations de la CIA « nous rappellent les 30 000 disparus causés par la CIA lors des coups d’État en Argentine et aussi lors de celui de Pinochet au Chili… Encore combien de coups d’État de la CIA ? ».

Il est vrai que, depuis l’arrivée de Chavez au pouvoir, qui avait nationalisé l’industrie pétrolière, les États-Unis n’ont eu de cesse de tenter par tous les moyens légaux et illégaux de reprendre le contrôle des immenses puits de pétrole de Maracaibo, ce sur quoi travaille actuellement la lauréate du Prix Nobel de la Paix ! « Nous avons un grand respect et une communication fluide (avec Washington), comme j’en ai avec de nombreux autres gouvernements », confie Machado, spécifiquement avec les présidents d’extrême droite, l’Argentin Javier Milei et le Salvadorien Nayib Bukele !

Greg Grandin, un historien américain et professeur à l’université de Yale, a déclaré : « Ils ont donné ce prix à quelqu’un qui partage totalement la face la plus militariste et la plus sombre de l’impérialisme américain. » Bien sûr que les choses ont peut-être changé depuis l’arrivée de Nicolas Maduro au pouvoir. Mais si le comité Nobel voulait renforcer son opposition, ce qui ne devrait sûrement pas entrer dans les considérations pour le Prix Nobel de la Paix, ils auraient pu le décerner à d’autres militantes qui s’opposent à lui, telles qu’Isabel Mejias, qui est à la tête d’Araña Feminista, (l’Araignée féministe) ou Ana Rosa Torres, qui se dit socialiste et qui s’oppose à la politique américaine. Cela aurait été un peu plus acceptable.

Mais il est vrai que le comité Nobel a toujours été très politique dans le sens de la défense d’une vision néo-libérale du monde. Il ne faut pas oublier qu’ils l’ont donné ce fameux Prix Nobel à Henry Kissinger dans les années 1970. Mais au moins pour lui, ils ont attendu jusqu’à ce qu’il négocie la fin de la guerre du Vietnam ! En fait Trump avait raison de considérer qu’il aurait pu l’obtenir !

Par Philippe Diaz, « L’Autre Voix de l’Amérique »
www.philippe-diaz.com
PAR : Philippe Diaz
« L’Autre Voix de l’Amérique »
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