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par collectif antifasciste polonais 161 Crew le 26 avril 2022

Interview d’un militant d’Opération Solidarité en Ukraine

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par le collectif antifasciste polonais 161 Crew et publié sur Umanità Nova


Note de la rédaction web en introduction à cette entrevue dans Umanità Nova par Rédaction web d’Umanità Nova



Umanità Nova, le 14 avril 2022.
Nous avons reçu la traduction par un membre de la rédaction de Libcom d’une interview réalisée par le à un militant d’OpSol (“Operation Solidarity”).
OpSol est une organisation fondée par des anarchistes et des socialistes libertaires d’Ukraine qui ont pris un parti bien précis dans le contexte de la guerre entre l’Ukraine et la Fédération Russe en décidant de participer activement au conflit.
Le lectorat d’Umanità Nova connaît la position des compagnes et compagnons de la Fédération Anarchiste italienne sur la guerre. Nous anarchistes sommes fermement convaincu.e.s que l’on doit déserter et boycotter toutes les guerres parce qu’elles sont depuis toujours la manifestation la plus brutale et la plus explicite de l’affrontement permanent entre les appareils de pouvoir politique et économique qui se partagent le monde.
Les personnes travailleuses, opprimées, exploitées sont les premières victimes de toutes les guerres. Les populations civiles sont celles qui en souffrent davantage. Seules les personnes riches y gagnent à une guerre : avant, pendant et après.
En Ukraine il y a des anarchistes et des antifascistes qui ont décidé de prendre les armes pour se défendre de l’agression militaire de Poutine et ce pour de multiples raisons dont nous avons rendu compte dans les pages d’Umanità Nova, en particulier au début du conflit. Nous sommes un journal anarchiste, c’est pourquoi nous croyons au débat, à la pluralité des positions, à la nécessité de connaître le plus possible ce qui se passe dans le monde afin de nous faire une opinion consciente. Nous ne voulons pas refuser à notre lectorat la possibilité de se forger leur opinion, même si nous ne la partageons pas.
Nous n’exprimons aucun jugement moral ni ne cherchons à nous en prendre à qui, tout en déclarant anarchiste, décide de s’organiser y compris sous l’égide des forces armées ukrainiennes pour défendre les libertés bourgeoises que cet État garantirait. L’idée qui revient le plus souvent dans les déclarations de ces compagnes et compagnons, c’est que, si Poutine gagnait, il ne resterait en Ukraine pas même ces bribes de liberté dont ils et elles jouissent actuellement. Nous sommes également conscients -ayant lu cette semaine de nombreux articles et forums de discussion- que certain.e.s anarchistes de l’Est reprochent à ceux et celles de l’Ouest de manquer d’empathie parce que – en fin de compte – nous nous n’avons pas les chars d’assaut sous nos fenêtres et les bombes ne volent pas au-dessus de nos têtes.
En réalité, nous sommes anarchistes et ne pouvons rester indifférent.e.s devant les peurs légitimes des compagnes et compagnons ukrainiens. Mais le fait de ne pas avoir la guerre chez nous est loin de nous rendre insensibles à leurs souffrances mais nous permet peut-être d’avoir un point de vue politiquement plus lucide et objectif.
Nous ne sommes absolument pas convaincu.e.s que dans le contexte de la guerre entre la Russie et l’Ukraine, les groupes anarchistes aient réellement une marge de manœuvre pour œuvrer dans le sens d’une intervention authentiquement libertaire ou révolutionnaire. Les dynamiques de guerre entre États écrasent toute instance ne serait-que vaguement progressiste. Cela en a toujours été ainsi et le conflit russo-ukrainien ne fait pas exception. Nous ne nous autorisons pas la condamnation du choix individuel de qui prend une arme pour se défendre soi-même ou ses êtres chers d’une brutale agression militaire. Mais nous ne pouvons pas partager ou justifier le choix stratégique ou politique que requiert de s’enrôler dans une armée régulière pour défendre un État, en combattant pour la énième fois dans une guerre par procuration. qui n’est faite exclusivement que pour redéfinir les centres de pouvoir, les nouvelles hégémonies et des visées impérialistes renouvelées.
Nous avons cependant décidé de publier le matériel qui nous est parvenu parce que, nous insistons, il est important de connaitre le plus d’avis possible pour permettre à nos lectrices et lecteurs de se faire leur propre idée sur des questions aussi délicates, douloureuses et complexes
.




Je voudrais avant tout te remercier d’avoir trouvé le temps de répondre à quelques questions. Pourrais-tu nous parler un peu d’Opération Solidarité ?
OpSol est une initiative formée de volontaires, devenue à présent une organisation. fondée par des communistes libertaires et des anarchistes en Ukraine un peu avant la nouvelle intensification de la guerre russo-ukrainienne. Notre action vise principalement à opérer quatre types d’intervention :

1. Soutenir les compagnes et compagnons (activistes anti-autoritaires, de gauche, antifascistes) dans la lutte armée contre l’occupation.
2. Les aider à fuir ou s’expatrier, ainsi que leurs familles
3. Sauver la communauté d’activistes formée en 2014
4. Aider les autres qui en ont besoin dans la mesure de nos moyens. Nous sommes un réseau de personnes diverses qui se sont unies de par les dangers communs, nos visions et nos intentions.

On dirait que les anarchistes et antifascistes à travers le monde ont plutôt bien répondu aux besoins des compagnes et compagnons qui fuient l’Ukraine. Es-tu d’accord ou penses-tu que le soutien est insuffisant ?
Nous sommes d’accord et nous ne nous attendions pas à un tel soutien. C’est incroyable et important pour notre moral ! Mais OpSol n’a pas pour objectif uniquement de se faire connaître des mouvements politiques et des compagnons mais aussi de l’opinion publique. Nous avons besoin de votre soutien pour atteindre nos objectifs généraux et construire de bonnes perspectives politiques à court terme. La guerre finira et nous aurons besoin de reconstruire le mouvement.

Qu’a réussi à faire Opération Solidarité au cours des premières semaines de la guerre ?
Nous avons organisé deux dépôts à Kiev et en Ukraine occidentale, et aussi monté une filière logistique, sans la moindre expérience en la matière. Nous avons une trentaine de personnes (des volontaires) qui sont en train de monter des réseaux de communication et les filières dont je parlais. Nous participons à plus de cinq convois de transport d’équipements et d’aide humanitaire. Nos réseaux sociaux ont touché plus de 50 000 personnes avec plus de 5000 nouveaux followers en près d’une semaine. Ce n’est pas tant que ça mais nous n’avions jamais eu de résultats comparables ni la capacité de nous développer à ce rythme, évidemment. Et évidemment Facebook/Meta, ça pue. C’est le cauchemar numéro un des réseaux sociaux.

Pourrais-tu nous en dire plus sur les anarchistes et les antifascistes impliqués dans la lutte armée contre l’invasion de Poutine ? Nous savons qu’il y a des comités de résistance (CR) ; pourrais-tu nous donne plus de détails ? Y a-t-il des camarades qui combattent ailleurs qu’à Kiev ?
Il y a des personnes qui ont décidé de s’armer pour se protéger et protéger leurs ami.e.s et leur famille, mais aussi pour protéger simplement notre mode de vie. Certain.e.s compagnes et compagnons de l’étranger ont été surpris, voire fâchés, que nous ayons organisé une résistance en Ukraine, que nous ayons pris les armes et ayons combattu. Nous n’aimons pas l’État ukrainien (il est néolibéral, plutôt que nazi ou fortement autoritaire), il est très problématique avec, par exemple, le système oligarchique, la corruption, la destruction continue de la protection sociale, la violence de la police et les nazis, etc. mais, en même temps, d’une part l’Ukraine est un endroit où il y a relativement peu de contrôle de l’État, même s’il augmente constamment, et d’autre part, c’est aussi un terreau pour les mouvements progressistes qui sont en train de beaucoup se développer.
Donc nous résistons parce que notre avenir (physique et politique) en dépend. Si la Russie gagne, toutes les conquêtes progressistes que nous avons obtenues par la lutte, seront piétinées et anéanties. Regarde ce que fait Poutine à nos camarades, comme dans l’affaire Network [enquête de l’État russe contre des anarchistes et des antifascistes quant à leur présumée appartenance à un groupe terroriste inexistant, le dit Network. Sept jeunes ont été emprisonnés et condamnés à des peines allant de 6 à 18 ans d’emprisonnement, obtenues par la torture pendant les interrogatoires]. Nous voyons tristement des ressemblances assez intéressantes avec la guerre civile en Ukraine d’il y a plus d’un siècle. Avec l’histoire de Nestor Makhno et sa lutte, avec ses fortes convictions politiques et éthiques. Les compagnes et compagnons ont décidé de rester et de lutter contre l’occupation, en se donnant donc le nom de CR. Il y a beaucoup de personnes qui viennent de la Biélorussie et de la Russie, qui veulent aussi renverser les dictateurs pour améliorer -sinon créer- un système social et leurs propres vies. Et oui, en effet, il y a des compagnes et compagnons qui combattent dans plusieurs villes d’Ukraine et font aussi partie des CR.

Que dirais-tu aux personnes, notamment en Europe Occidentale, qui vous critiquent pour vous être laissés embarquer contre l’invasion de Poutine et vous appellent "anarcho-OTAN", etc. ?

Venez nous trouver ici en Ukraine ! Venez à Charkiv, Marioupol. Ou Kiev. Regardez avec vos propres yeux et voyez quelle est la situation. Tu ne peux pas rester chez toi à ne rien faire quand des bombes tombent sur les rues et les personnes que tu connais, parce que tu ne pourras rien faire d’autre que mourir et tout perdre. On ne peut pas rester les bras croisés et envoyer des messages sur Twitter à présent, surtout si tu as des projets ou quelque notion politique, parce que c’est une guerre qui implique un peuple tout entier et pendant que tu restes les bras croisés, d’autres, des personnes normales comme tes voisins, sont dans les rues à combattre, construire des barricades, s’armer et résister. Tu ne peux pas rester assis parce qu’alors tu perdras tout ce que tu as vécu, ta famille, tes compagnes et compagnons, tout ce qu’il t’est arrivé de beau et de moche dans la vie, Et pour finir tu perdras ta vie. Nous ne voulons pas mourir, nous ne voulons pas fuir, nous ne voulons pas obéir, nous n’avons pas ce privilège. Nous sommes en colère et nous voulons notre liberté !
Et je souhaite ajouter que, si nous perdons, les pays européens seront les prochains sur la liste. Gare à la politique et aux activistes pro-Russie dans vos pays (et particulièrement les cocos).

La propagande du Kremlin parle beaucoup du bataillon Azov, dit que toute l’Ukraine serait nazie, etc. En même temps, vous êtes précisément les personnes qui vous êtes impliquées directement dans la lutte contre l’extrême-droite en Ukraine. Quelle est l’ampleur de l’influence de l’extrême-droite et des groupes néonazis en Ukraine ?
Je ne peux parler que de la situation précédant la guerre de Poutine car la nouvelle réalité demanderait une analyse plus approfondie pour dire quoi que ce soit d’objectif. L’influence de l’extrême-droite sur la jeunesse ukrainienne a atteint son apogée entre 2014 et 2016, mais depuis 2017 – plus ou moins – leur mouvement a été coopté par les services secrets ukrainiens et par la police. Les groupes les plus radicaux contre le gouvernement ont été détruits. Leur leader et leurs membres ont été obligés de collaborer, expulsés vers d’autres pays ou bien contraints de retourner à la vie civile, emprisonnés ou même assassinés (parfois de la main de leurs camarades).
En 2022, l’extrême-droite n’avait pas de soutien massif, la plupart des personnes ne partageaient pas leurs idéaux et leur étaient au contraire hostiles à cause de leur rhétorique nazie et de leurs actions (attaques contre les jeunes des cultures underground, etc.). Les personnes les plus âgées qui partageaient une telle idéologie ont été déçues car en 2015-2016 les néonazis ont eu l’opportunité de faire une "révolution nationale". Mais, pour finir, se sont révélés impuissants. En résumé, la présence nazie était forte et c’était un sérieux problème. Mais après 2017, elle a commencé à décliner en pouvoir et en adhésion. Juste avant la guerre, il y avait encore beaucoup de jeunes dans leurs organisations, mais c’étaient des nouvelles recrues politiquement faibles, aux idéaux flous et incertains, des personnes inconsistantes.
A présent, pour ce que j’en vois, la situation est radicalement différente de celle de 2014. Il y a un récit populaire et patriotique qui domine, mais pas leur version du nationalisme. Mais chaque jour supplémentaire de guerre risque d’accroître leur popularité.

Vu de l’extérieur du moins, on dirait que le mouvement anti-autoritaire s’est mieux préparé qu’en 2014 pendant la révolte du Maïdan et juste après. Qu’en penses-tu ?
C’est vrai et c’est tout le mérite de l’organisation des anarchistes et des socialistes libertaires.
Auto-organisation, autodiscipline, approfondissement de la théorie, réflexion et analyse, approche orientée vers les objectifs, planification, responsabilité, une vie sobre, coopération et détermination de réalise une utopie qui a déjà permis d’atteindre de tels résultats. Nous sommes encore loin de notre société idéale, mais ces résultats aussi nous poussent à l’optimisme : nos rêves sont réalisables ! Et, personnellement, je peux le voir tous les jours en pensant à ce que fait OpSol.
Penses-tu que la guerre renforcera l’extrême-droite dans ton pays ? Il semble que l’invasion de Poutine soit un cadeau, une occasion pour elle de gagner des points comme "défenseurs de la patrie", accumuler de l’expérience et du matériel.
Absolument ! Nous l’avons vu en 2014, quand il est devenu très difficile de se déclarer antifasciste en Ukraine. Cela est dû à un mélange de récits. Poutine appelle ses actions "dénazification" et « antifascisme » – c’est n’importe quoi. Les antifascistes ne bombardent pas les enfants et les vieilles personnes, ne lancent pas de bombes sur les civils, n’emploient pas de phosphore, ne laissent pas sur place ou ne brûlent pas les corps des soldats pour me pas payer leurs familles, n’utilisent pas leur peuple comme chair à canon. ne détruisent pas les villes par la tactique de la terre brûlée. Non, ce sont les fascistes qui opèrent ainsi.

Quelle est la situation à Kiev ? Une attaque russe est-elle imminente ? Quel est le moral de la population ?

Il y a une semaine la situation était celle d’un film postapocalyptique. Nous nous nous attendions à être encerclés, à un siège et à l’utilisation d’armes chimiques. Cependant la vie à présent retrouve sa normalité, les bars et les restaurants rouvrent même. L’armée ukrainienne a riposté avec succès et repoussé les envahisseurs de Poutine à 30-70 km de Kiev. Mais la situation reste extrêmement tendue.
Il y a des bombardements toutes les nuits, les gens meurent et les édifices s’écroulent. Hier justement les occupants ont détruit un centre commercial et tué au moins huit personnes. Nous avons entendu la déflagration depuis chez nous. Il y a aussi un couvre-feu, souvent inattendu car il y a des saboteurs, lesquels rendent notre travail plus difficile et nous font perdre un temps précieux.
Tout le monde est persuadé que nous résisterons et que nous vaincrons. Quel qu’en soit le prix.

Comment est-il possible de soutenir votre lutte depuis l’étranger ?
Renversez vos gouvernements inutiles et inadaptés pour créer une société sans guerres, sans misère, sans violence et sans mensonges !
Très honnêtement, nous avons besoin de financement. Cela nous aiderait d’acheter des casques IIIA NIJ, les plates IIIA NIJ/4, des gilets pare-balles, les kits de premier secours individuels, des véhicules. Pour nos compagnes et compagnons, nous avons besoin de refuges et de travail, pour gagner de l’argent et pour soutenir les résistant.e.es. Ce serait magnifique si des compagnon.ne.s pouvaient organiser des coopératives dans le but de nous aider tout en pratiquant activement l’autogestion. On ferait d’une pierre deux coups !
Pour nos compagnon.ne.s, nous avons également besoin de lieux de réunion. Certain.e.s ami.e.s ne parviennent pas à passer la frontière mais ce serait mieux pour eux et elles de quitter le pays. Et je ne peux sans doute pas ajouter grand-chose pour le moment.

Merci beaucoup pour cette entrevue. Voudrais-tu ajouter quelque chose pour conclure ?
Ne laissez pas éteindre la flamme, organisez-vous, restez uni.e.s, épaulez-vous mutuellement, prenez vos vies en main, coopérez, soyez solidaires, n’ayez peur de rien et de personne. Organisez-vous et résistez pour construire un monde meilleur.
Nous vous adressons nos chaleureuses salutations, vous remercions pour tout ce que vous avez fait pour nous. Avec votre solidarité, nous vaincrons !

Traduction de l’italien Monica Jornet Groupe Gaston Couté FA

PAR : collectif antifasciste polonais 161 Crew
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