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Histoire

par René BURGET • le 6 septembre 2025
Élisée Reclus Les 101 mots
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La pensée d’Élisée Reclus (1830-1905) est d’autant plus actuelle qu’elle permet de déconstruire les rapports de pouvoir et de domination, tout en incitant à contribuer aux lendemains riants. La géographie et l’anarchie sont les branches maîtresses des idées émancipatrices dans l’espace et le temporel. En effet, Élisée ne juxtapose pas la géographie physique, humaine et politique, mais il les mêle à l’histoire et l’anthropologie, dans une écriture poétique se jouant des étiquettes savantes. D’où le plaisir de cet abécédaire illustré de 101 mots*. Tout sauf du fétichisme. Un grand merci pour leur coordination à Pauline Couteau, Nicolas Éprendre, Federico Ferretti et Philippe Pelletier !
Condamnant les cruautés commises par l’armée française, dont les généraux Bugeaud et Pélissier, génocideurs de tribus entières, Élisée souffre des atrocités commises : « La colonisation est une conséquence du patriotisme ». Le colon ne fait que de piller les trésors, les terres et les populations. Le caractère grégaire des humains, en particulier en situation de meurtre, rappelle l’ivresse en commun prise à tuer lors de la chasse ou sur les champs de bataille.
Reclus insistait auprès de son ami Michel Bakounine (1814-1876) afin qu’ils n’attendent rien du bourgeois : « nous sommes tous des niveleurs » (rappelle Jean-Philippe Crabé).
Missionnaires, militaires et fonctionnaires ramenaient des informations sur les aires les moins « civilisées » de la planète. De quoi attirer la méfiance des géographes anarchistes !
Les faits ont maintes fois démontrés qu’une révolution ne tombe pas du ciel : il y a besoin d’une action ici et maintenant, afin d’imaginer une société nouvelle, une sorte de FMB (fédération municipale de base), expérience communaliste libertaire originale, qui persiste de nos jours à Spezzano Albanese (Calabre).
Reclus a été aimanté par la beauté de l’océan : en regardant les étoiles, « il ne lui restait plus que la faculté de savourer à larges poumons l’air frais de la nuit. » Les éléments font vibrer le corps. La vue du ruisseau « restaure » et « empêche de nous momifier ». Celle de la montagne redonne goût à la vie.
Il marche, escalade, vole en ballon, se baigne… L’être humain fait corps avec l’air, l’eau, la lumière. La vitalité de la peau dépend de cette exposition. Il préfère la nudité même à la simplicité ou à la banalité du vêtement, cette deuxième peau (« nids à microbes nous séparant de l’air pur et de la lumière ! »). C’est de la Terre que « nous tirons notre subsistance ». La déforestation menace nos bronches ! « Et la paix, le calme, la force contenue de la terre et de la mer, qui pourra les décrire ? »
De Louisiane, il envoie des articles sur la guerre de Sécession (1861-65) :
« l’avilissement des esclaves noirs est celui de tous les prolétaires, et leur affranchissement sera la plus belle des victoires pour tous les opprimés des deux mondes. »
Les quatre frères d’Élisée (Élie, Onésime, Armand, Paul), sa mère Zéline et les six sœurs : Suzanne (1824-44), Loïs (1832-1910), Marie (1834-1918), Louise (1839-1917), Noémie (1841-1916), Ionna (1845-1937) et Anna (1844-51), ont joué un rôle important ainsi que parfois leurs conjoints. Toutes et tous ont été instruits dans la pratique protestante et parlent une ou plusieurs langues. Respectant la délicatesse et la pudeur, il note que : « le langage grossier est toujours inspiré par des idées grossières. »
« Après avoir détruit la vieille patrie des chauvins, la province féodale, le département et l’arrondissement – machines à despotisme –, le canton et la commune actuels – inventions des centralisateurs à outrance – il ne restait que l’individu et que c’est à lui de s’associer comme il l’entend. » Ces associations sont les vraies fondations du fédéralisme (bravo à Gaetano Manfredonia de le souligner !)
La frontière n’est qu’un moyen de dessiner des marchés au sein du capitalisme, donc de manipuler les travailleurs d’un pays à l’autre : Reclus pointe l’habileté avec laquelle se débrouillent « les grands industriels pour éviter les frontières ».
Son ami Léon Metchnikoff a mis en avant l’aptitude des humains à dépasser l’adversité de leur environnement. Les cultures dans les archipels (îles japonaises ou philippines), où les puissantes forces océaniques et le courroux des tempêtes rendent l’existence précaire, sont aussi les endroits les plus enviables pour une éthique de coopération sociale avancée (écrit Konishi Shô).
Reclus précise que les soulèvements aveugles et instinctifs génèrent de nouveaux despotismes. Une barricade dressée, la répression rapplique : qu’on « imagine point résoudre la moindre question par le hasard des balles. »
« C’est dans les têtes et les cœurs que les transformations ont à s’accomplir avant de tendre les muscles. »
D’où l’urgence du rôle des centres de documentation anars, portes ouvertes pour les recherches personnelles…
Tout oppresseur s’expose à la violence, comme explosion de vengeance primaire. Reclus écrit : « mon œuvre, mon but, ma mission est de consacrer toute ma vie à faire cesser l’oppression, à faire arriver la période de respect de la personne humaine. » Pour parvenir à la conquête du pain pour toutes et tous, il n’est nullement question de s’approprier la terre, ni de la posséder, mais de bénéficier de ses fruits.
Il s’impose d’appliquer le principe de la cohérence entre la fin et les moyens. « Nous les anarchistes, on ne veut pas émanciper le peuple. On veut que le peuple s’émancipe par lui-même. Nous ne croyons pas dans le bien qui vient d’en haut et qui est imposé par la force. » (Errico Malatesta, 1853-1932)
La violence, arme du pouvoir est à bannir. Elle doit être utilisée le moins possible : elle ne promet que mort, flammes, ruines et tombes !
La réalité topographique d’une montagne s’impose aux sens et à la raison. Pourtant « les vallons fermés […] sont des éléments conservateurs dans l’histoire de l’humanité », voire porteurs de de goitre et crétinisme.
Reclus, pédagogue hors pair, s’élève contre l’apprentissage de l’alphabet sans lien direct avec la langue parlée, le bourrage de crâne ou l’histoire écrite par les dominants. Il qualifie les collèges et lycées de prisons. Privilégiant les écoles de plein vent, il rejette les examens et l’obtention de diplômes, au profit d’un appétit joyeux de connaissances tout au long de la vie. « Il nous faut commencer par voir, observer, étudier ce qui se trouve sous nos yeux, sous la prise même de nos sens et de notre expérimentation. »
La clef de l’éducation est de servir la vie, sinon « les années consacrées à l’enseignement ne vaudront-elles pas le service militaire actuel, employé à l’étude du meurtre scientifique ? »
Pour sortir des périodes d’exterminations, de haine guerrière et de la férocité extrême des bourgeois, il rappelle l’invention et la révélation de Pierre-Joseph Proudhon (Du principe de l’art et de sa destination sociale). L’esthétique joue un rôle premier dans le processus d’émancipation sociale. Dessins, peintures, photos, participent pleinement au projet anarchiste-Reclus.
L’hymne à la vie, les rondeurs concaves et convexes des paysages bordant les ruisseaux prouvent que l’art vient avant la science. À condition de ne plus transformer la gaie rivière en un immonde égout !
« Celui qui commande se déprave, celui qui obéit se rapetisse. »
Les identités nationales restent totalement artificielles. Il faut être aveugle pour ne pas voir l’enrichissement culturel, gastronomique, intellectuel et linguistique ajouté par les immigrants, ainsi que le rôle capital de leur main d’œuvre dans de nombreux secteurs y compris ceux considérés comme ˝inférieurs˝ par le RN. Contre l’esprit de clocher, le chauvinisme et le fascisme, la géographie enseigne les principes de fraternité universelle (Guilherme Ribeiro).
Tant qu’il l’a pu, Reclus a usé sous lui ses souliers. Plus de 175 voyages (dont 65 tournées) et ses innombrables amis ont permis un ouvrage monumental, pour aider chacune et chacun à suivre son propre sentier.
René Burget
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Élisée Reclus Les 101 mots, les presses du réel, 30 €, 507 p.
PAR : René BURGET
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