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par Julien Caldironi le 10 août 2024

Chroniques de vieux bouquins, épisode 2

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Le consulat polonais, de Maurice Joyeux, Calmann Lévy, 1957

Ouvrons le Maitron, dictionnaire biographique du mouvement ouvrier… Dans la notice qui lui est consacrée, rédigée par Jean Maitron et revue par Sylvain Boulouque et Rolf Dupuy, on apprend que Maurice Joyeux est né en 1910. Il fait l’expérience de la correctionnelle dès 14 ans, pour avoir cassé une côte au patron qui voulait lever la main sur lui. Touché par la campagne de soutien à Sacco et Vanzetti, il se rapproche des mouvements anarchistes, adhère à la CGTU, fait son service militaire (non sans tâter d’un an de prison pour altercation avec son supérieur) et de retour à Paris, fréquente les comités de chômeurs. Nous sommes alors au tout début des années 1930. La crise de 1929 est passée par là et la misère est terrible.




Joyeux est arrêté une nouvelle fois « le 16 février 1933 suite à l’occupation et au saccage du consulat polonais à Levallois-Perret (Seine) pour protester contre la mort d’un ouvrier polonais dans un baraquement où des rats lui avaient mangé la moitié d’un bras ». Il fera trois mois de prison. S’en suivra le riche déroulé de la vie d’un véritable insoumis, militant anarchiste, syndicaliste à FO et membre clé de la Fédération anarchiste, cheville ouvrière de la reconstitution de celle-ci après la crise interne de 1953, et de la création de son nouvel organe, Le Monde libertaire. Maurice Joyeux fera encore de la geôle pour ses écrits, ses actions militantes, il participera à la fondation de la CNT-F, tiendra une célèbre librairie dans le XVIIIe, le Château des brouillards, … Une existence bien remplie qui s’achève en 1991. Il fut « l’ami d’André Breton, Albert Camus, de Michel Ragon, des frères Prévert, de George Brassens et de Léo Ferré, entre autres ».

Un roman inspiré par son propre parcours militant

Mais Joyeux était aussi romancier et Le consulat polonais, publié en 1957, revient sur l’effroyable expérience qu’il a vécue au côté des privés d’emploi en 1933.
Alfred Liron, qui déteste son prénom et insiste pour qu’on l’appelle Liron, est un clochard. Il ne touche même pas les sept francs des chômeurs, dérisoire obole accordée par l’État. Fréquentant les soupes populaires, il récupère un soir un tract balancé clandestinement par un activiste du comité des chômeurs. Liron est un érudit, il décide de s’intéresser à ce mouvement, y voyant un moyen de s’extraire de ce lumpenprolétariat où il végète. Il s’implique alors, sans renier pour autant son amour farouche de la liberté. Ce qui n’est pas sans créer des conflits avec les autres militants, cornaqués par un Parti communiste français en cours de stalinisation et qui étend ses tentacules dans l’ensemble des structures syndicales et révolutionnaires françaises, chassant sans pitié les anarchistes et les syndicalistes révolutionnaires pour leur substituer des marionnettes dociles aux ordres de commissions secrètes. À ce titre, Liron est témoin de l’entrisme et de la violence des communistes contre les tendances devenues minoritaires, notamment au sein du Comité interprofessionnel du XIVe arrondissement de Paris. Néanmoins, il ne lâche rien et fait figure d’élément perturbateur, toléré par un PC en quête d’authenticité pour séduire les chômeurs.
Tout le roman est traversé par les hésitations de Liron, entre le confort qui lui est offert par sa position de militant, qui le tire de la rue, du froid et de la faim, lui procure un logis, l’amour et la sécurité, et son irréfrénable attrait pour la franchise, la démocratie directe, et l’homme dans son individualité. Redoutant l’effet des masses et leur manipulation aisée, Liron est en fait un anarchiste tellement réticent aux cloisons qu’il ne souhaite pas se qualifier comme tel, même si ces derniers, malmenés par les communistes au sein des organisations, ont nettement sa préférence.

Action directe et roman noir

Rétif au centralisme, porté sur l’action directe, Liron coordonne une première manifestation agitée, se fait des amis, fréquente la belle-sœur de son camarade, croise quelques figures historiques (habilement camouflés), dont l’angevin Bouët, du syndicat des instituteurs. Il trouvera le point culminant de son engagement lors du saccage du consulat polonais afin de protester contre le décès d’un ressortissant laissé à mourir du typhus dans une cabane indigne par la Pologne, parce que communiste. Liron et ses compagnons, en profiteront pour détruire les fiches du gouvernement sur les émigrés pour leur permettre de rentrer au pays s’ils le désirent. Écopant d’un an de prison, il ressortira bien décidé à préserver sa liberté des appareils de parti…

Roman noir, portrait détaillé et réaliste d’un milieu et surtout d’un militant dans lequel il y a énormément de vécu (Joyeux fut lui-même délégué du Comité interprofessionnel du XIVe), Le consulat polonais est un petit bijou d’écriture, un instantané saisissant, humain et authentique d’un anarchiste jeté dans les tourments de la crise économique et sociale mondiale, du péril fasciste et où, en face, il n’y a plus, ou presque, que l’emprise caporalisatrice stalinienne.

Julien Caldironi
Individuel 49
PAR : Julien Caldironi
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