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par Julien Caldironi le 6 septembre 2025

CHRONIQUES DE VIEUX BOUQUINS, EPISODE 3

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Les compagnons de l’escopette de Victor Méric, Éditions de l’épi, 1930





Henri Fagerolle est un écrivain raté. Réorienté vers le journalisme, il n’a signé que quelques piges chez des patrons de presse voyous qui se débrouillent toujours pour ne pas le payer. Frustré, pauvre, il erre dans Paris pour tenter de récolter une obole quelconque afin de nourrir son foyer. Sa femme maladive et sa petite fille l’attendent dans sa chambre d’hôtel misérable.
C’est alors qu’il est hélé par Tacherot. Tacherot, c’est le bon gros copain du front. Celui qui se débrouillait toujours pour dégoter du rabiot de singe dans les tranchées. Astucieux durant la guerre, il a su se recycler avec talent et opère désormais dans la presse financière. Enfin, la presse… L’information, pour Tacherot, ses commanditaires et ses clients, c’est avant tout un prétexte et un outil. Un prétexte légal et un outil, redoutable, pour faire chanter le petit monde des banques d’affaires et tout le tralala capitaliste. Une brève qui évoque des soupçons pour telle firme et ce sont les actions de celle-ci qui s’effondrent. Alors quand on demande à la compagnie de verser un écot pour un encart publicitaire afin d’oublier de publier le texticule désobligeant, elle s’exécute.

"Un monde de faisans"
Fréquentant le gotha parisien, Tacherot introduit bientôt le pauvre Fagerolle dans ce panier de crabes, lui faisant découvrir autant les rendez-vous d’affaires dans les brasseries chics que les parties fines censées participer au réarmement démographique français après la saignée de la Grande Guerre, les moral’partouzes. Fagerolle prend vite goût au palpage de fafiots, met sa femme en cure, sa gamine au vert, se dégote une maitresse, lance son propre canard… Mais il finit par se demander, si en chemin, lui, l’ancien anarchiste, le rebelle, l’amoureux de l’art, de la création, ne s’est pas un peu égaré dans ce « monde de faisans ». Après l’ascension, c’est forcément la culbute.




Victor Méric est né en 1876, à Marseille et mort en 1933. Compagnon de route des anarchistes du Libertaire, principal contributeur de la fameuse brochure hebdomadaire Les Hommes du jour, sous le pseudo de Flax, Méric est un pacifiste convaincu, que même la guerre ne transformera pas en girouette patriotarde. Il finit par se tourner vers le communisme et le PCF, intègre le comité de direction et le comité de rédaction de L’Humanité. Mais s’enrégimenter aux ordres des bolchéviques, très peu pour lui et il en est exclu deux ans plus tard. Toujours pacifiste convaincu, il crée en 1931 la LICP, la Ligue internationale des combattants de la paix, dans laquelle militera notamment le libertaire Régis Messac, le père des Hypermondes chers aux amateurs de merveilleux scientifique.

De sac et de corde
Dans Les compagnons de l’escopette, roman de sac et de corde, Méric fait bringuebaler son Fagerolle, qui tient parfois, visiblement, de l’alter ego, dans un monde pourri, vicié par l’argent, les petits calculs et les gros profits. Il y a comme les prémisses de La Chute de Jean-Baptiste Clamence de Camus dans ce roman en deux parties. Si la première se déroule avec une narration à la troisième personne, limitée à Fagerolle, la seconde étant littéralement sa confession à la première personne.
L’escopette est une arme à feu ancienne à orifice évasé. Sac et corde ? Les maitres chanteurs de ce monde médiatico-financier sont-ils les bandits de grand chemin modernes ? Ce fusil archaïque et le sous-titre mystérieux sont vite remplacés dans ce texte par les analogies avec les mœurs des faisans ou l’impitoyable jungle.
Polar noir traversé d’un grand éclat de rire jaune, roman archidocumenté sur la presse pourrie de l’entre-deux-guerres, quand des milliardaires s’achetaient, à la chaîne, des journaux complaisants pour propager leurs idées nauséabondes (ça ne vous dit rien, vraiment ?), usant autant de l’argot du titi parisien que de descriptions efficaces, Les compagnons de l’escopette, difficile à trouver, jamais réédité, vaut pourtant le détour.

Merci à Bernard pour cette belle découverte.

Julien Caldironi, individuel FA Maine-et-Loire
PAR : Julien Caldironi
Individuel FA Maine-et-Loire
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