Charles d'Avray est mort !
Derniers souvenirs qui s'ajoutent à ceux qu'il me contait il y a quelques mois et dont je faisais part à nos lecteurs. D'autres traceront de l'artiste, du militant, de l'homme, des portraits plus fouillés. Le temps le consacrera à la place où sa génération l'avait hissé. Ici, je voulais parler de l'homme, tracer une esquisse, remuer des documents ! À quoi bon ! La biographie de d'Avray ? Mais elle est là, toute entière dans ses chansons ! L'homme ? il est là ! L'histoire de d'Avray, mais écoutez-la. Il l'a lui-même écrite. Il a chanté des espoirs, des rêves, des joies, des colères et sa vie ne fut faite que de rêve, de joie, de colère et d'espoir.
Et tout d'abord ce couplet de « Loin du rêve ».
J'ai vu briser les aciers, 
J'ai vu brûler les préfectures, 
J'ai vu crever les policiers 
Et sombrer les magistratures. 
J'ai vu les parlements sauter, 
Disparaître la galonnaille 
J'ai vu le mot humanité 
Remplacer celui de canaille.
Cet autre où il fustige les robins aux ordres dans « Magistrature ».
Vous, messieurs de la cour, c'est ainsi qu'on vous nomme, 
Le bas métier de juge en vous détruit l'homme. 
Cerveaux vils et mauvais que le mal féconda, 
Vous me représentez de vieux Torquemada. 
On peut lire un arrêt sur vos gueules sinistres, 
Comme un crime, messieurs, sur celles des ministres, 
C'est un frisson d'horreur que tous vont éprouver 
Quand le mot de la fin par vous sera bavé.
Ou en cette bluette empreinte de tendresse de « Quelques brins de muguet » :
O ! brin de muguet clochettes fragiles 
Précurseurs discrets des premiers beaux jours 
Les lois de l'amour sont vos évangiles 
Et vous possédez cette odeur subtile 
Qui vient embaumer les chambres d'amour 
Le bonheur en amour O ! clochettes fragiles 
Comme votre parfum ne dure pas toujours.
J'ai devant les yeux la dernière lettre qu'il m'écrivit et que je ne reçus qu'après sa mort. Commentant mon article sur le cinéma, il se propose d'écrire pour notre page littéraire une étude sur les rapports entre le cinéma, le théâtre et la photographie. Ainsi le vieil artiste, que les ans courbaient, a conservé jusqu'au bout cette extraordinaire agilité intellectuelles qui lui permit d'écrire des milliers de chansons que les travailleurs ont chantées les jours de colère où le feu brille dans les yeux. J'ai dans la mémoire les dernières paroles de l'homme tout entier préoccupé par le sort qui guettait d'autres hommes.
Puis ce cri d'allégresse dans le « Joie ».
Lorsque la joie éclate enfin 
Que l'homme s'impose d'office 
Laissant le mal, faisant le bien 
La joie est de toute justice, 
Attendre le Grand lendemain 
En aidant toujours son prochain, 
Et vivre pour l'Ère nuvelle, 
Que la joie est belle !
Enfin ce refrain des « Réprouvés », morceau qui fait penser à Gaston Couté.
Vers le terrain des macchabés 
Lentement ils sont voiturés 
Et pour ne pas qu'on les confonde, 
Dans le trou des déshérités 
Sont descendus les Éprouvés 
Pour l'autre monde.
Comme ceui-ci, tiré de la « Moisson rouge », évoque toute une époque qui fut celle de Bruant, de Montéhus et que d'Avray domina.
Paysans pas de révolte 
Que ton bras puissant 
Tout rouge de sang 
Coupe la récolte 
Si ton blé produit cet été 
Au moulin d'Aline 
Mouds tout en farine 
Pour blanchir la société
Ici, dans les « Penseurs », écoutez ce chant mélancolique de sa nature sensible :
Les penseurs moins audacieux 
Sont devenus silencieux 
Et leur seul bonheur sous les cieux 
Est de contempler la jeunesse. 
Puis, ils s'endorment un beau jour, 
Bercés par les bruits d'alentour 
Soupirant des doux mots d'amour 
Dans lesquels s'éteint leur vieillesse.
Six mille chansons, des centaines de conférences, toute une longue vie consacrée aux couplets humanitaires, révolutionnaires, anarchistes. Mais qui donc a dit qu'il faudrait entretenir le souvenir du poète ! Le souvenir de Charles d'Avray vivra aussi longtemps qu'il existera de shommes pour chanter leurs colères et leur espoir. Mieux que le souvenir des foules fantasques, ce sont ses vers et sa musique qui lui assurent une place dans l'Olympe de la chanson entre Ange Pitou et Béranger, sous l'œil bienveillant du grand Villon.
 
	 
				
