Histoire > PAGES D’HISTOIRE N°99
        Histoire
        
par Sylvain Boulouque • le 31 octobre 2025
                    
                    PAGES D’HISTOIRE N°99
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                        C comme collaboration
Trois ouvrages reviennent sur la collaboration permettant de rappeler quels ont été les principaux éléments du soutien d’une partie de la population, des institutions et de la presse en France à l’Allemagne nazie.
Le Dictionnaire de la collaboration est un outil particulièrement utile, plus proche même d’une encyclopédie que d’un dictionnaire, tant les références et les entrées sont nombreuses. L’auteur propose de présenter les acteurs, les lieux, les faits de la collaboration d’une manière synthétique permettant une première approche avant de se plonger dans d’autres ouvrages.

La collaboration est d’abord un fait politique. Comme on peut l’imaginer nombreux des dirigeants nationaux ayant fait le choix l’entente avec l’Allemagne (Pétain, Laval, Darquier,…). Il rappelle toutes les institutions créées par l’occupation ou mises à son service par l’État français (police, justice, service du travail obligatoire…). Viennent ensuite les idéologues souhaitant délibérément pour la victoire du nazisme (Doriot, Déat, Beugras, Maurras, Blanc), ils s’inscrivent dans la collaboration purement idéologique souscrivant au projet hitlérien. S’en suivent les acteurs de la collaboration de plume qui se superposent et parfois se confondent avec la première (Céline, Drieu La Rochelle, Brasillach, Brigneau) et les supports dans lesquels ils ont pu rependre leur prose (Je suis partout, L’Émancipation nationale, Germinal, Le Rouge et le Bleu…). L’auteur n’oublie pas non plus les acteurs de la collaboration économique (Bettencourt, un temps, Louis Renault, Berliet). Il note également les mots et les thématiques récurrents de la collaboration : anticommunisme, antijudaïsme, antimaçonnisme, antigaullisme, antisocialisme, par exemple et l’exaltation des thèmes travail, famille, patrie, armée. Un autre sous-thème est important, la rupture de ceux qui ont commencé dans la collaboration que l’on qualifie pudiquement de pétainisme pour finir dans la Résistance (François Mitterrand ou Gabriel Le Roy-Ladurie, Benouville, Bettencourt, la liste est longue de ceux qui ont évolué ou ont senti le vent tourner…). Enfin, il poursuit avec l’épuration montrant que si elle a été réelle, elle a parfois blanchi ou a préféré de pas voir l’attitude d’un certain nombre des soutiens au nazisme. L’auteur mentionne également un thème passionnant la mémoire de l’occupation, traité aussi bien par des films comme Lacombe Lucien ou Le dernier métro que par la littérature.
L’ouvrage La France allemande et ses journaux est dense (voir également la chronique de Francis Pian https://monde-libertaire.net/?articlen=8616&article=Lesprit_se_delite_dans_le_chaos). Il compte par le menu tous les épisodes de ce que l’on pourrait appeler la collaboration de papier. 1940 : Paris et plus largement une partie de l’hexagone deviennent des zones ouvertes à l’influence nazie. L’ensemble de la presse est soumis à l’autorité d’occupation. Dans une étude aussi fouillée que minutieuse prend comme point de départ les investissements du groupe financier Hibbelen, qui au fur de l’occupation exerce un contrôle tatillon sur la presse et les activités des maisons d’édition. Pierre-Marie Dioudonnat passe en revue l’ensemble des institutions littéraires, journalistes et éditoriales qui ont participé d’une manière ou d’une autre au soutien à l’Allemagne nazie en portant par la plume la parole de l’occupant.

Les directeurs de presse et des maisons d’édition se sont pressés à l’ambassade l’Allemagne au cours de l’été 1940 pour obtenir le précieux sésame : continuer à publier. Certaines maisons d’édition sont « arianisées » comme Calman-Lévy, remplacé remplacées par les éditions Balzac. Pour certains, la question ne s’est pas posée, ils étaient déjà stipendiés par l’Ambassade d’Allemagne pour d’autres, il a fallu montrer patte blanche, accepter de censurer son catalogue comme par exemple pour les éditions Gallimard, tout en cherchant à faire passer une littérature de contrebande souvent pour aider des résistants comme Albert Camus ou Jean Paulhan. En revanche, tel n’est pas le cas de Denoël dont les orientations dès l’avant-guerre montrent son accointance idéologique. Pour la presse, l’un des dénominateurs communs est non seulement de faire allégeance au nazisme, mais aussi de répandre et de développer l’antisémitisme – Je suis partout, la Gerbe ou les écrits de Céline chez Denoël en témoignent. Si à la Libération les titres sont symboliquement interdits tels n’est pas le cas de nombre de gratte papier qui très vite retrouvent une fonction. Si globalement le monde de l’édition s’est tenu à l’écart d’une collaboration active, une minorité a délibérément choisi un camp pour des raisons idéologiques, mais aussi parfois parce qu’on l’on appelait quelques années auparavant « l’abominable vénalité de la presse ».

Enfin, Tristan Rouquet se penche sur les écrivains collaborateurs, mais aussi sur la manière dont l’époque contemporaine tire en quelque sorte un trait sur leur passé pour les réintégrer dans une sorte de panthéon littéraire des grands écrivains, à l’image de Drieu La Rochelle intégré au catalogue de la Pléiade ou de Lucien Rebatet dont quelques titres sont réimprimés sans oublier, Céline dont certaines œuvres oubliées sont éditées. Pour comprendre cet étranger destin des écrivains qui n’ont rien de maudit, mais qui au contraire ont été des figures de proue de la littérature entre les deux guerres jusqu’en 1944 et qui reviennent aujourd’hui en dans le domaine public, il propose une analyse en trois temps. D’abord, il souligne que dans la France des années 1930 et 1940, ces derniers tenaient le haut du pavé littéraire. Les sanctions prises à la libération ont jeté le discrédit sur la majeure partie d’entre eux, néanmoins le stigmate de la collaboration n’a pas été égal pour tous, plusieurs ont pu rapidement retrouver une place dans le monde littéraire, comme les hussards de la littérature à l’image de Jacques Chardonne, Paul Morand ou Roger Nimier. Ils sont, selon son expression, maintenus dans le groupe des écrivains. Le deuxième groupe est composé des écrivains qui sont stigmatisés pour leur attitude vis-à-vis de l’occupant. Ils doivent pendant un temps se tenir à l’écart du monde des lettres soit parce qu’ils ont été condamnés soit parce qu’ils sont en exil forcé. Pour une grande partie, leur carrière est terminée, ces écrivains de seconde zone restent ce qu’ils étaient avant la guerre. Demeure le cas emblématique de ceux qui parviennent à se faire passer pour victime alors qu’ils ont été du côté des bourreaux l’exemple de Céline est à relever. Alors qu’il a trempé sa plume dans la boue, il réussit à renverser les réalités et à se présenter comme un écrivain maudit par le système (laissant entendre que des forces occultes manipulent ledit système) tout en touchant de magnifiques droits d’auteur de son éditeur. La mise au ban devient alors un facteur de réintégration… Le procédé est à l’œuvre depuis les années 1950, il est aujourd’hui à son apogée. Triste époque…
François Broche
Dictionnaire de la collaboration
Nouveau Monde éditions, 2025, 1136 p. 35 €
Pierre-Marie Dioudonnat
La France allemande et ses journaux
Les Belles lettres, 2025, 788 p. 45 €
Tristan Rouquet
Les écrivains collaborateurs
CNRS éditions, 2025, 446 p. 26 €
                            PAR : Sylvain Boulouque
                            
                        
                        
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