Histoire > PAGES D’HISTOIRE N°77
Histoire
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par Sylvain Boulouque • le 23 février 2025
PAGES D’HISTOIRE N°77
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Les nazis, Vichy et l’antisémitisme
L’un des meilleurs spécialistes du régime de Vichy, Laurent Joly, propose une remarquable mise en perspective sur l’histoire de l’histoire de la déportation en France. Il montre comment à travers quatre grandes périodes s’est construite l’historiographie du régime de Vichy et de sa participation à l’extermination des Juifs. D’abord entre 1945 et 1951, les témoins et les victimes ont, souvent seuls, accumulé souvenirs, documentations et archives pour proposer une première vision globale. Ses humanistes. Georges Wellers, Joseph Billig, Léon Poliakov dont une partie de la famille a été assassinée ont permis l’éclosion de la recherche en fondant le Centre de documentation juive contemporaine. Ils ont publié leurs premières études qui demeurent des références et lancent aussi une revue de recherche de type universitaire, Le Monde juif. Parallèlement, la « Pétainophilie » n’a jamais cessé en France, depuis le procès du Maréchal en 1945. Ce dernier s’est toujours présenté comme une victime, jamais sa responsabilité dans les déportations n’est réellement acceptée, par ses thuriféraires. Le phénomène devient plus important dans les années 1950, des auteurs comme Robert Aron ou Henri Amouroux publient des ouvrages défendant la théorie du bouclier alors que De Gaulle aurait représenté l’épée défendant la France. En outre, bien que marginale apparaît aussi à cette période la première vague des négationnistes (Bardèche, Rassinier). Les historiens continuent à travailler, aidés par une jeune génération souvent venue d’Amérique (comme Robert Paxton ou Michaël Marrus).
Les travaux de vulgarisation et parfois de recherches précisent les connaissances comme l’ouvrage de Claude Levy sur la rafle du Veld’hiv. La thèse de la collaboration et de la responsabilité de Vichy dans le génocide s’impose et devient consensuelle. Le dernier temps décrit est ce que l’auteur appelle « le moment Klarsfeld », dont il distingue les travaux de recherches et les prises de position actuelles, s’impose comme des références incontournables : Le Mémorial de la déportation et Vichy Auschwitz. Ses travaux et de ceux d’autres historiens permettent et accompagnent la reconnaissance officielle de la responsabilité de l’État français et de la police française dirigée par le régime de Vichy. Au point qu’aujourd’hui, sauf exception le thème ne devrait plus faire débat. L’ouvrage d’Alexandre Doulot en est la preuve.
C’est en effet une véritable somme qui complète les travaux de Klarsfeld. Il a analysé les dossiers des 74 070 Juifs déportés de France et propose un renouvellement à la fois quantitatif et sociologique de la politique nazie d’extermination. Si plusieurs éléments peuvent sembler secondaires, ces travaux viennent préciser un certain nombre de points.
Premier élément, il souligne que la population juive en France représente 267 000 et non 300 000 personnes soit 28 % d’entre eux et non 25 % ont été déportées. Sur les 74 070 déportés dont le nom a pu être identifié, 4 000 ont survécu. Ces déportés sont majoritairement des hommes (41 770). Il met de fait un terme à tout débat 16 % d’entre eux sont Juifs français (dont de nombreux enfants) tout en montrant qu’après la rafle du Veld’hiv, les autorités de Vichy se sont montrées réticentes à procéder à des rafles contre les Juifs français tout en continuant à pourchasser les Juifs étrangers. Il souligne que la majorité d’entre eux l’a été en région parisienne. En effet, plus 40 000 d’entre eux sont déportés, sur environ 150 000 Juifs vivant en zone nord. Il revient également sur les lieux d’internement d’abord Pithiviers et Beaune la Rolande avant que Drancy ne devienne le centre principal des départs vers les camps d’extermination. Après le Veld’hiv, les rafles ont touché des « publics cibles » par nationalité (roumains, bulgares, grecs, argentins, etc.). La rafle n’a pas été le seul moyen de déportation. Une proportion importante des Juifs l’a été suite à des arrestations individuelles – entre 37 % et 42 % en zone occupée et 57 % dans la zone libre. Il montre aussi la diversité régionale de la politique raciale ainsi dans la région de Nancy alors que les autres régions participent activement à la politique d’arrestation et d’internement.
La vie devant moi vient illustrer les difficultés de survie en région parisienne. Le livre est le synopsis du film éponyme de Nils Tavernier. Guy Birenbaum y raconte l’histoire de sa mère Tauba et de ses grands-parents, Rywka et Moshé qui pendant toute la guerre ont vécu cachés dans une chambre de bonne au 209 rue Saint-Maur (1), propriété d’une famille de catholiques conservateurs, qui les a sauvés. Paris juillet 1942, la famille apprend les rafles, se cache plusieurs jours dans un premier appartement avant de trouver asile dans le réduit. Récit quotidien d’un enfermement de 3 ans pour survivre. La famille doit apprendre à vivre à trois dans une pièce de 6 mètres carrés. Le film comme le livre décrivent un huis clos avec les angoisses du quotidien, les moments de joie, les visites clandestines. Récit d’une solidarité et finalement d’un retour à la vie.
Si la famille de Tuba Zylberstejn a vécu une fin heureuse pouvant récupérer son appartement néanmoins entièrement pillé, en contraignant le propriétaire à relouer. Tel n’a pas été le cas pour de nombreuses familles de survivant comme le montrent magistralement Isabelle Bakouche, Sarah Gensburger, Éric Le Bourhis. À partir de 1941, les Juifs parisiens sont progressivement chassés de leurs appartements. L’objectif des autorités de Vichy et des occupants loger uniquement la population parisienne non juive et livrer les Juifs à la vindicte en les accusant insidieusement d’être responsables des malheurs des Parisiens. L’arsenal légal permet au propriétaire de rompre les contrats locatifs, les autorités réquisitionnent les logements soit pour les transmettre à des Parisiens soit pour les faire occuper par des organismes collaborationnistes. Une spoliation méconnue et de grandeur ampleur, à la Libération que les rescapés découvrent que leur appartement a été réquisitionné et est occupé. Ils tentent de les récupérer parfois en intentant des procès, parfois en cherchant à négocier. Les réactions de la population montrent que l’antisémitisme en vogue sous Pétain n’a pas disparu, bien au contraire. La majeure partie des anciens locataires ne peuvent revenir dans le lieu qu’ils avaient habité avant-guerre, comme une autre victoire posthume du nazisme.
• Laurent Joly.
Le Savoir des victimes.
Grasset 2025 446 p. 25 €
• Alexandre Doulut
La déportation des Juifs de France
Changement d’échelle
CNRS éditions 2025 484 p. 28 €
• La vie devant moi
Guy Birenbaum
Flammarion 2025 188 p. 21 €
• Appartements-témoins
La spoliation des locataires juifs à Paris 1940 - 1946
Isabelle Backouche, Sarah Gensburger, Éric Le Bourhis
La Découverte 2025 444 p. 24 €
(1) Ruth Zylberman, Les Enfants du 209 rue Saint-Maur, Arte, 2018 dont le synopsis a aussi été publié en livre (Seuil 2020)
PAR : Sylvain Boulouque
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